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Petite femme et grande dame | | | Madeleine Albright Madame le Secrétaire d'Etat... - Mémoires Albin Michel 2003 / 25 € - 163.75 ffr. / 652 pages ISBN : 2-226-14194-4 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu : agrégé et docteur en Histoire, Adrien Lherm est maître de conférences à luniversité de Paris IV où il enseigne la civilisation des Etats-Unis. Il est lauteur de La culture américaine (Editions du Cavalier Bleu, 2002). Imprimer
Le titre le dit sans ambages, ces mémoires dune vie fort active ont pour but de relater la prouesse réalisée en 1996 par Madeleine Albright : celle de devenir «la» première Secrétaire dEtat des Etats-Unis, et de ne pas démériter de cet honneur, le plus haut jamais octroyé à une femme dans ce pays. Comme le lui dit le sénateur Barbara Mikulski, «nous avons mis 25 ans à réussir du jour au lendemain» (p.10). Voire : la dame a la diplomatie dans le sang. Et na eu de cesse de développer et dentretenir ce penchant.
Née en 1937 à Prague, de père diplomate, elle fuit avec sa famille larrivée des nazis en 1939, passe la guerre à Londres auprès du gouvernement tchèque exilé, retourne en Tchécoslovaquie à la Libération puis à Belgrade où son père est nommé ambassadeur, avant de gagner avec les siens lAmérique, quand les communistes prennent le pouvoir dans son pays natal en 1948. Cest à Denver, où son père est professeur de relations internationales à luniversité, que la petite Madlenka se mue en Madeleine. Elle entre à Wellesley, lun des plus prestigieux colleges pour jeunes filles, par où passera plus tard Hillary Clinton, avec laquelle elle se liera ensuite. Elle obtient sa naturalisation en 1957 et épouse bientôt Joe Albright, un héritier du tycoon de Chicago, Joseph Medill, mariage doù naîtront trois filles. Ses recherches et sa thèse sur lURSS ainsi que ses nombreuses activités associatives la conduisent à prendre part aux campagnes électorales démocrates de 1972 et 1976 et à travailler pour le compte du sénateur Muskie, avant dentrer une première fois à la Maison Blanche, appelée par le conseiller de Jimmy Carter. Le récit de cette formation marquée par la curiosité, le travail, un sens de lorganisation très étudié, une énergie et une volonté débordantes, un patriotisme à fleur de peau, nest pas dépourvu dhumour, de recul et dironie, non plus que de sentiments : à preuve la place que tiennent dans le récit ses filles ou limpact de son divorce. Dans ces épanchements aussi, elle cherche à faire entendre à la fois son américanité et sa féminité, deux identités quelle est terriblement attachée à défendre, peut-être parce que sa trajectoire a fait douter certains de lune et que son parcours ultérieur la obligée à simposer dans un univers largement masculin.
En effet, la seconde partie rend compte de sa nomination comme ambassadrice des Etats-Unis à lONU en 1992 par le président Clinton (à lissue de sa victoire, étrangement absente du livre) et elle est la seule femme présente au Conseil de Sécurité. Cest pour elle loccasion de mettre en pratique ce quelle enseignait à ses étudiants de Georgetown dans les jeux de rôles diplomatiques quelle leur soumettait. Mais aussi de faire lépreuve du terrain et de gagner ses galons. A son actif, comme à celui des Nations unies, lintervention en Haiti en 1994, la mise en place du TPI, le règlement de la question bosniaque. Il est aussi des regrets, dont elle ne se cache pas, comme au sujet de la Somalie en 1993 et du génocide au Rwanda en 1994. Le tout, non sans lancer quelques coups de griffe, notamment à légard de Boutros Boutros-Ghali, quelle semploiera à ne pas faire réélire. Bref, elle sacquitte de sa mission, qui est de défendre les intérêts et le leadership de son pays, «seule nation indispensable», comme le souligne le Président, dans une formule quen bon soutier elle fera sienne, non sans nuances. Dotée de cette expérience, et de convictions fortifiées par ce baptême du feu, à 59 ans, elle est enfin nommée à la tête de la diplomatie du pays, Secrétaire dEtat.
«Madame le Secrétaire dEtat» ouvre la troisième partie du livre et retrace ses premières charges et initiatives dans ses nouvelles fonctions. Elle nélude pas le choc qui la saisie à la suite de la révélation par la presse de ses origines juives et de la disparition dans les camps de la mort de membres de sa famille, toutes choses dont elle affirme quelle ne les avait jamais sues ni même soupçonnées. «Il ny a quune leçon à tirer de lHolocauste : nous avons connu le mal absolu et cela pourrait se reproduire, à moins que les vivants ne se souviennent» (p.308). Les précédents, lointains ou plus récents, et le devoir de mémoire, habitent en permanence le Secrétaire dEtat, qui cherche à tirer des leçons de lhistoire vécue ou enseignée. Lélargissement à lEst de lOTAN en 1997, comme pour contrer tout renouveau de la menace russe, limplication américaine dans les Balkans et une politique de fermeté envers les dictateurs, comme pour conjurer toute tentation munichoise, lobtention à larraché daccords entre Israëliens et Palestiniens en 1998, comme pour attester le rôle central de la puissance américaine dans la pacification du monde : voilà quelques-unes des entreprises menées avec détermination par Madeleine Albright.
A la lecture de louvrage, il ressort que dans la définition de la politique de Washington, les défis du moment sarticulent avec des orientations générales plus ou moins enracinées dans les traditions de Foggy Bottom, et que les impulsions déterminées par lAdministration en place rencontrent également les idées du Secrétaire dEtat. Mais il nest pas question que de grande histoire ; des anecdotes émaillent le récit : ainsi dune tache sur une robe bleue une tache de vinaigrette, quon se rassure ! sétalant sur la jupe du tailleur bleu lavande que portait Madeleine Albright le jour de la signature de lActe fondateur OTAN-Russie à Paris, le 27 mai 1997. Souci des principes et des apparences, désir de rester soi : cest cette double injonction qui semble dicter la conduite de Madeleine Albright, dans la vie comme tout au long de ces 621 pages. Elle ne manque pas de le souligner : «A en croire Dean Acheson : «La première condition requise pour être un homme dEtat, cest dêtre insignifiant.» Acheson nayant rien dit à propos des femmes dEtat, je ne me sens pas concernée par sa recommandation" (p.420).
Dans la dernière partie du livre, prenant un peu de hauteur, Madeleine Albright restitue la fin de ses fonctions et livre quelques clés de la stratégie américaine. On ly voit donc partir en guerre contre la Serbie de Milosevic, tâcher de concilier les fortes susceptibilités dun Arafat et dun Barak en vain cette fois, entériner lidée dintervention préemptive, continuer à clamer haut et fort le leadership américain. En somme, décrypter le présent et sinquiéter de lavenir : «la dernière décennie du millénaire a été qualifiée dère post-guerre froide, ce qui nous apprend seulement ce quelle na pas été. On a aussi parlé dère de la mondialisation, qui me paraît mieux décrire une époque caractérisée par une plus forte interdépendance, un chevauchement des intérêts nationaux, et des frontières perméables à tout : terrorisme, technologie, maladies et idéaux démocratiques» (p.527). Tout en manifestant son approbation de la déclaration sur lIrak et une éventuelle intervention internationale faite par le président Bush le 12 septembre 2002 devant lONU, le bilan quelle dresse du second mandat de Clinton en matière de politique extérieure nest pas quun plaidoyer pro domo dusage, mais le constat de tout ce qui le sépare de laction de lactuelle présidence : alliances resserrées avec les Alliés européens, asiatiques et américains, entente avec la Russie et même la Chine, intérêt pour lAfrique, implication forte dans les questions du Proche-Orient, saine gestion macro-économique qui fait de lAmérique un moteur de lactivité mondiale, politique des droits de lhomme, coopération avec lONU, mise en place du TPI, réduction de la menace des mines antipersonnelles, souci environnementaliste. En somme, la conciliation de lidéalisme et de la Realpolitik, du multilatéralisme, du leadership et de linitiative unilatérale, quitte à ce que la politique générale élaborée par Washington manque parfois de cohérence en bon reflet cependant dune époque qui semble en être singulièrement dépourvue
Elément fort attachant du récit quelle dresse, à côté des anecdotes savoureuses rapportées sur elle-même, les situations quelle a vécues ou les personnalités quelle a rencontrées : le souci de rendre honneur aux soutiers, à ses conseillers, à ceux qui avaient vu juste. Où pointent les petites manies dune universitaire (dailleurs ces remarques figurent en notes de bas de page) ! Et les leçons de F. Garcia Marquez : «Quand vous écrirez vos mémoires, souvenez-vous : ne soyez pas en colère» (p.416). En un mot, un livre copieux et consistant, où lon ne trouvera pas de théories belles et bien faites, mais bien plutôt le compte-rendu des petites cuisines qui participent de la diplomatie et de la prise de décision politique, ainsi que le portrait dune petite femme bien déterminée, au caractère trempé, à lénergie inépuisable, et au destin exceptionnel le portrait dune grande dame en somme.
Adrien Lherm ( Mis en ligne le 09/01/2004 ) Imprimer
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