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Matthew Carr   La Mécanique infernale - L'Histoire du XXe siècle à travers le terrorisme, des nihilistes russes à Al-Qaida
Editions Héloïse d’Ormesson 2008 /  25 € - 163.75 ffr. / 558 pages
ISBN : 978-2-350-87078-6
FORMAT : 14cm x 20,5cm

Traduction d'Agnès Michaux.

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

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La «mécanique infernale» que le journaliste Matthew Carr (The Observer, The Guardian) entend démonter sous nos yeux, c’est tout à la fois la bombe des terroristes, les idéologies qui légitiment la «propagande par le fait» et la violence politique, qu’elle émane d’un État ou d’une minorité qui se perçoit comme «consciente»… et également le poids des rumeurs et des constructions fantaisistes, qui finissent, plus que l’acte lui-même, par terroriser la populace. Cette Mécanique infernale est un essai en forme de pari : peut-on saisir le XXe siècle à la seule lumière du phénomène terroriste ? Ou plutôt, que nous révèle le terrorisme sur notre société et sa modernité ? Et surtout, peut-on proposer une analyse originale du phénomène ?

Sujet complexe donc, et dans un prologue problématisé, M. Carr montre la difficulté qu’il y a à définir le phénomène : quelles différences en effet entre la guérilla révolutionnaire, le terrorisme, la résistance… L’histoire – et la dénomination – sont certes, souvent, le fait des vainqueurs, et l’on se souvient que les résistants de la Seconde Guerre mondiale furent assimilés à des terroristes. Un problème donc, que ni le contexte, ni la typologie des victimes (le terrorisme visant des cibles civiles «innocentes», indistinctes, avec l’objectif de propager une terreur aux conséquences politiques) ne résout entièrement. Le détour même par l’histoire (la révolution française comme matrice de la «terreur») n’offre pas une définition plus définitive.

Donc un phénomène large, mal défini et soumis à des conceptions très subjectives. D’où une certaine ambiguïté, persistante, qui suppose, pour l’auteur, de ne pas franchir la frontière entre empathie et sympathie, une ambiguïté qui justifie la forme même de l’essai. Du reste, c’est justement cette difficulté qui fait sens et inspire à M. Carr un projet cohérent : abandonner le manichéisme et tenter – réellement - de comprendre les motivations, les conceptions, les représentations… qui guident les poseurs de bombes, hors syndrome de Stockholm. Montrer également les rapports de violence/connivence qui s’établissent entre terrorisme et contre-terrorisme d’État, jusqu’au «blowback» (le contrecoup) théorisé par le FBI au lendemain du 11 septembre.

On entre ainsi dans la longue galerie des ancêtres du terrorisme mondial, en commençant par Netchaïev et son catéchisme terroriste» - histoire de montrer que la violence politique, comme le pouvoir, comporte une part de sacralité – pour s’étirer jusqu’à un «empire du mal» encore en vogue et son incarnation – plus ou moins contestable – Oussama Ben Laden. On croise les diverses familles de la violence politique et leurs rameaux dégénérés : depuis l’anarchisme russe des années 1880 jusqu’aux weathermen américains des années 1960, dont les «combats» furent plus anecdotiques que politiques, en passant par l’IRA, l’ETA, les FARC, la RFA, la bande à Baader ou les groupes islamistes... Et bien évidemment, c’est dans le contexte que M. Carr cherche les premières pistes d’explications : l’autocratie tsariste, la doctrine de sécurité nationale brésilienne (puis sud-américaine), les impasses des dictatures et la mauvaise conscience des démocraties au temps d’un marxisme triomphant. Dans ce lot, on revient inévitablement, dans le cas européen, sur le phénomène gauchiste, ses impasses et ses crimes (l’affaire Aldo Moro notamment, et la grande manipulation politique qui coûta la vie au leader de la DC). Bref, un tableau hétéroclite, l’esquisse d’une taxinomie de la violence politique et des doctrines de haine à la fin du XXe siècle. Bizarrement, certains mouvements lui sont manifestement sympathiques (les Tupamaros uruguayens) pour des raisons qui ne sont pas toujours claires : le piège de la subjectivité se referme parfois sur l’auteur, pourtant précautionneux.

M. Carr sait d’ailleurs ne pas se limiter aux faits, et dans ce long siècle qu’il démarre en 1880, il observe également les jeux des représentations, littéraires, journalistiques, cinématographiques, propagandistes même : le contre-terrorisme aura nourri, à l’heure de la guerre froide, des théories du complot largement aussi incendiaires que les bombes elles-mêmes, et contribué à façonner la figure – et la phobie - du terroriste, en passant sous silence le terrorisme d’État (les exemples de l’Irgoun israélienne, de l’Algérie contemporaine ou des dictatures sud américaines sont pourtant éclairants et de notoriété publique). En cela, son ouvrage, qui comporte une vraie réflexion d’histoire des représentations, présente une facette originale de l’histoire du terrorisme et invite le lecteur à s’interroger non sur la légitimité de la violence mais sur les perceptions diverses et les manipulations indiscutables. Car M. Carr, dans son bilan, ne ferme pas les yeux sur les méthodes des États, qui s’apparentent, quand elles ne les plagient pas, à celles des terroristes, dans un jeu de manipulation morbide.

Le 11 septembre et ses suites, la Global War against Terrorism et ses coulisses, font bien évidement l’objet d’un chapitre propre, et quasi conclusif, illustration de toutes les dérives envisagées (le rôle des États, les rapports troubles avec la nébuleuse terroriste, jusqu’au façonnement – tant par la presse que par les États - d’une Al Quaïda mythique, véritable internationale noire) : M. Carr souligne les ambiguïtés de certaines vérités officielles, se penche sur les diverses contradictions des politiques contre-terroristes, explorant les tactiques – terroristes et institutionnelles – au prisme d’une stratégie plus ancienne qui fut celle de la guerre froide, et ses «dommages collatéraux», l’islamisme revivifié par l’Amérique et la «4eme guerre mondiale»… La fin de l’histoire n’est pas encore pour demain !

On appréciera donc cet essai large sur une question complexe, le style enlevé sans être militant, au profit d’un questionnement solide sur les racines historiques et philosophiques, les schémas mentaux et les discours politiques, religieux… qui peuvent entraîner un individu à donner la mort gratuitement, au nom d’une conception dévoyée de la liberté. Certes, il faut déplorer par moment quelques inexactitudes (la Rank corporation pour la Rand corporation), un goût – récurrent – de l’anecdote un peu macabre… Mais la perspective historique, soignée, en fait un ouvrage de référence sur un phénomène qui demeure encore plus stigmatisé qu’analysé.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 26/08/2008 )
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