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''Le prince des confusions''
Raphaëlle Bacqué   Richie
Le Livre de Poche 2016 /  6.90 € - 45.2 ffr. / 256 pages
ISBN : 978-2-253-09898-0
FORMAT : 10,8 cm × 17,8 cm

Première publication en avril 2015 (Grasset)
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Sciences–Po Paris : aujourd’hui, le nom se suffit à lui-même, chacun le reconnaît et voit en «Sciences-Po» une école de la réussite, éventuellement l’antichambre du pouvoir, un lieu d’excellence qui assure à ses étudiants un destin enviable. Cette célébrité de Sciences-Po est cependant relativement récente, elle s’affirme depuis une vingtaine d’années seulement - dans le paysage universitaire et dans le paysage français - et elle est largement due à l’esprit d’initiative et au talent remarquable de communication d’un homme, Richard Descoings (né en 1958), directeur de Sciences-Po de mars 1996 à sa mort le 3 avril 2012 dans un hôtel de New York. Personnage hors du commun ? C’est à retracer sa biographie que s’est attachée Raphaëlle Bacqué, grand reporter au Monde. Pari difficile tant l’homme était à la fois extraverti et secret. Mais un pari réussi.

Avec intelligence et finesse, Raphaëlle Bacqué a remonté le fil d’une vie, celle de ce fils de médecins aisés du VIIe arrondissement de Paris, qui a connu une jeunesse lisse en apparence : études honorables dans les lieux d’excellence de la République, lycées prestigieux (Louis-le-Grand, Henri IV), entrée à Sciences-Po Paris, puis réussite au concours de l’ENA. Là, une scolarité discrète ; deux de ses anciens «camarades» de promotion répondent aux questions de Raphaëlle Bacqué : «Non, vraiment, le Descoings de l’ENA, c’était l’homme sans qualités». Sans qualités à leurs yeux sans doute, néanmoins Richard Descoings, à la surprise générale, sort en tête de la promotion Léonard de Vinci ce qui lui permet d’entrer au prestigieux Conseil d’Etat. Il s’y ennuie vite, y rencontre celui qui sera le compagnon d’une vie, Guillaume Pepy, et mène déjà deux vies : sage membre du Conseil le jour... mais le soir : «Le soir, lorsque le sage énarque enlève son costume et sa cravate pour enfiler pantalon de cuir et tee-shirt moulant et plonger dans la nuit, il ne sait plus très bien laquelle des tenues est un déguisement» (p.25). Ces années 1980 sont aussi celles du SIDA et Richard Descoings s’engage sans réserves à AIDES, l’association militante contre ce que l’on nomme alors le «cancer gay».

Revenu à Sciences-Po comme conseiller du directeur Alain Lancelot, celui-ci le fait nommer directeur adjoint en 1992 puis, lorsqu’il devient membre du Conseil Constitutionnel, met toute son influence à obtenir que Richard Descoings lui succède à la direction. C’est alors à ce poste, dans une maison qu’il connaît bien, mais au milieu d’universitaires qui ne le reconnaissent pas nécessairement, lui qui n’est «qu’énarque», que Richard Descoings se révèle et en quelques années modifie profondément la physionomie de Sciences–Po Paris... mais également celle du paysage universitaire français.

Il se montre brillantissime, séducteur, formidablement intelligent, excellent stratège, homme de pouvoir qui s’entoure d’une cour, homme de réseaux qui sait comment servir Sciences-Po en lui amenant noms célèbres (par exemple Dominique Strauss-Kahn, à l’époque présidentiable possible…), argent, influence... Son modèle : les universités américaines - en particulier Harvard - et les rémunérations fastueuses, insensées pour des universitaires français, de leurs présidents. En quelques années, Richard Descoings fait passer la scolarité de Sciences-Po de 3 à 5 ans pour s’aligner sur le modèle LMD (convention de Bologne), monte les conventions ZEP qui autorisent les lycéens de zones sensibles à se penser en étudiants du temple de la bourgeoisie parisienne, fonde une école de journalisme, décentralise Sciences-Po Paris en ouvrant des sites en province (Poitiers, le Havre, etc.), augmente les droits d’inscription, fait venir les étudiants étrangers. Excellent communiquant, il sait le poids d’une adresse et se refuse à «délocaliser» Sciences-Po hors de Saint-Germain-des-Prés (alors qu’au même moment la Sorbonne s’exile dans le XIIIe ou en banlieue…), rachète les locaux de l’ENA. Sciences-Po Paris, à plus d’un titre, surpasse les universités françaises et quelques grandes écoles… Ces réussites incontestables s’accompagnent d’une communication sans précédent avec ses étudiants qui le surnomment Richie, l’acclament telle une rock star, suivent son profil Facebook, ses tweets...

La réussite est donc incontestable, elle comporte également des zones de fragilité indéniables : un pouvoir discrétionnaire, une place sans précédent accordée à ses proches, en particulier son épouse Nadia Marik, des rémunérations pour les privilégiés qui finiront par attirer l’attention de la Cour des Comptes tant elles sont hors-normes dans le paysage universitaire français. Lorsque Richard Descoings prend un avion pour New York où il doit intervenir à l’ONU, son dernier message envoyé à ses proches est tristement prémonitoire : «Si l’on s’écrase, la messe aura lieu à Saint–Sulpice. Mozart à tue-tête. Pas d’argent pour le cancer. Tout pour les fleurs». Si l’on en pèse bien les termes, il dit l’homme davantage sans doute que de longs discours....

Le travail de reporter de Raphaëlle Bacqué est absolument passionnant ; bien écrit, il apprend beaucoup sur Richard Descoings, mais davantage encore sur une époque, ces années 1980-2010, années de profondes mutations de la société française observées ici à travers le prisme de la formation des élites. Richard Descoings, héros romanesque d’un XXIe siècle qui s’ouvre, séduisant et séducteur, brillantissime, mais aussi «prince des confusions», est peut-être mort à temps, avant que les fragilités sur lesquelles étaient aussi construites son parcours n’apparaissent au grand jour.

Une lecture tout à fait passionnante, que l’on s’intéresse ou non à Sciences-Po Paris…


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 31/10/2016 )
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