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| Pierre Jacquemain Ils ont tué la gauche - Postures et imposteurs au sommet de l'Etat Fayard 2016 / 16 € - 104.8 ffr. / 198 pages ISBN : 978-2-213-70154-7 FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm
L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, romancier, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a publié entre autres, aux éditions Le Temps des Cerises, Programme pour une gauche française décomplexée (2007). Imprimer
Après la mobilisation sociale contre la loi El-Khomri au premier semestre de cette année, beaucoup de militants de gauche ont dû attendre avec intérêt la publication de ce témoignage de Pierre Jacquemain, qui fut au cabinet de la ministre du travail Myriam El-Khomri et sut claquer la porte à temps pour ne pas être associé à cette modification du code du travail qui passe pour une des plus grandes trahisons de lélectorat de gauche par François Hollande et Manuel Valls. Beaucoup sy intéresseront, mais beaucoup seront aussi déçus.
Car, si lon pourrait croire que Pierre Jacquemain fut aux premières loges de la mécanique infernale qui transforma le projet de loi «progressiste» en diktat néolibéral, en réalité il sy trouva comme Fabrice à Waterloo
et ne vit donc pas grand-chose. De la fumée, des coups de feux. Il raconte ainsi seulement à grands traits ce que la presse nous avait déjà dit.
Comment la réforme, mal enclenchée en partant dun rapport de JD Combrexelle, qui avait été lhomme fort du ministère du travail à lépoque de Sarkozy, a été confisquée par un comité Badinter (le bilan politique de Robert Badinter étant ce quon sait depuis la guerre de Yougoslavie
) et par Emmanuel Macron qui y insuffla tout ce que le patronat souhaitait, sans même que la ministre du travail eût son mot à dire. Lauteur ne peut rien nous dire de ce qui se disait entre les véritables décideurs Valls, Macron, Gattaz , parce quil ny était pas, son cabinet nétant même pas destinataire dune copie du projet de loi avant son examen par le Conseil dEtat. Il nétait dailleurs même plus dans la confidence de son directeur de cabinet, quil accuse de sêtre vendu au point de vue des néo-libéraux et avec qui il a échangé moins de 10 mails en six mois.
Dès lors, le livre doit se rabattre sur des éléments assez anecdotiques comme lorganisation dun «team building» avec weekend gastronomie et karaoké au côté de sa ministre (encore doit-il avouer que son éditeur la censuré à ce sujet), et des considérations idéologiques assez convenues sur le règne de la technocratie et des experts, le monolithisme des médias, la médiocrité des politiques, la dictature de la com, labsence du peuple, et la marginalisation des intellectuels critiques.
Rien de nouveau sous le soleil, sauf des marqueurs identitaires : léloge de la Nuit Debout, la mention des sujets fétiches de la revue de Clémentine Autain Regards dont lauteur est rédacteur en chef adjoint, linvocation des mânes du sociologue Pierre Bourdieu cité plusieurs fois, encensé, même dans ses propos les moins scientifiques et les plus contestables notamment lorsquil prétend déduire la dérive «droitière» de Hollande et Royal de leur habitus familial et scolaire, mais Fidel Castro et Ernesto Che Guevara navaient pas des origines moins bourgeoises
Néanmoins, par-delà les tentatives de théorisation maladroites, souvent formulées dans un style oral à la limite de lincorrection («le taux na que très sensiblement évolué», p.107 ; «cest la gauche qui est en responsabilités», p.112 ; «le monde se fout de savoir si Myriam El Khomri connaît le code du travail», p.154), il y a quelque chose dhumainement poignant dans ce face à face amer entre le collaborateur de cabinet engagé et la jeune ministre du travail, Myriam El-Khomri, en laquelle il a cru parce quelle avait été une élue de terrain, une femme vraiment de gauche, et qui semble avoir abandonné toutes ses convictions sur un claquement de doigts du premier ministre, parce que le système usait savamment sur elle à la fois de la peur et de la flatterie. En dautres temps, on en eût fait un roman.
Et puis, à défaut de constituer un document historique dimportance, le livre a surtout la valeur dun acte militant. Cest une pierre que, depuis le rivage de la gauche de la gauche, Pierre Jacquemain lance dans le marécage social-libéral, une étape dans la guerre des gauches, «pour ne pas désespérer Billancourt», pour ne pas laisser la société française s «ubériser». «Parce que la gauche est vivante», conclut lauteur
malgré les coups de poignard dans le dos
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 30/09/2016 ) Imprimer | | |
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