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La droite par deux des siens | | | Jean-François Chiappe Eric Vatré Histoire des droites françaises - Tome 2, De 1889 à la condamnation de l'Action française Editions du Rocher 2003 / 20 € - 131 ffr. / 263 pages ISBN : 2-268-04583-8
L'auteur du compte-rendu : Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris, titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, y poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Imprimer
Anatole France sert à avertir le lecteur en préambule à ce second volume de LHistoire des droites françaises : «Or comment un historien juge-t-il quun fait est notable ou non ? Il en juge arbitrairement.» Sil est vrai que lHistoire est uvre des historiens dont il importe de connaître les penchants politiques et spirituels, que lhonnêteté scientifique leur somme dafficher par ailleurs, le devoir dobjectivité et de vérité historique prime avant tout. Sans quoi, il ny a pas dhistoire.
Jean-François Chiappe, aujourdhui disparu, et Eric Vatré se soumettent à cette double exigence : louvrage ici proposé, dun indiscutable souci de précision historique, est néanmoins le point de vue affiché de deux hommes de la «galaxie droitière» (p. 10). Jean-François Chiappe y propose une analyse toute personnelle, mais qui ne manque pas de sel, des événements survenus au tournant du XXe siècle, entre 1889 et le milieu des années vingt. On y verra donc un essai historique plutôt quun ouvrage dhistoire à proprement parler, lobjectivité scientifique étant parfois durement égratignée par des considérations et des choix personnels.
Il est vrai que la République panamiste et anticléricale de ces années prête le flanc à une critique ébréchant quelque peu la mythologie républicaine forgée au même moment. Marianne, «petite-bourgeoise» (p. 14), en prend un coup ! Lépisode de laffaire Dreyfus est sans doute celui où les penchants de lauteur se font le plus jour, hélas. Un historien nécrit pas que la France des années 1900 est «atteinte dune maladie, la dreyfusite »(p. 50.)
On regrettera de même les indulgences de lauteur envers Drumont ou Gobineau, fortes têtes littéraires, certes, mais maîtres à penser du racisme et de lantisémitisme modernes
Ailleurs, leffort de sortir lAction française de la droite en montrant du doigt les réflexions sociales menées dans la nébuleuse maurrassienne nest pas convaincant non plus : se réclamer de Comte, de Proudhon ou de Sorel (rarement des trois à la fois dailleurs) ne suffit pas à changer de camp.
Cest donc une plume chauffée dans une encre bien bleue, teintée de blanc, qui guide lauteur : les railleries envers la gauche («ladversaire, pour ne pas dire lennemi», p. 209) accompagnent quelques indulgences pour la droite. Chez les Jules, si Grévy et Ferry sont conspués, Mélines, plus modéré, est plus acceptable. «Les hommes de la IIIe apparaissent comme des monstres sacrés, mais le côté monstre lemporte sur laspect sacré.»(p. 185).
Lantiparlementarisme chez un homme au maurrassisme sous-jacent, mais bien perceptible, est palpable : il ressent «le besoin de voyager ailleurs quautour de la Chambre» (p. 76). Plus loin, il écrit encore : «Allons-nous retourner tout de suite au Luxembourg et au Palais-Bourbon ? Cela ne vous tente guère, eh bien, pour tout vous dire, nous non plus» (p. 120).
Mais lauteur, homme de droite, rend aussi compte des mécanismes de cet univers culturel et politique, dune certaine «culture politique» encore aujourdhui vivace. «Les droites manoeuvrent mal» (p. 82) explique-t-il, rendant compte de la difficile union des diverses formations de la droite française. De même, il précise justement quen cette veillée de guerre, «lhistoire des droites ne se confond point avec les nationalismes» (p. 161). Homme de droite, il semble y être venu par les lettres, à la hussarde. Le cur de louvrage est un vibrant hommage aux grands écrivains de lépoque : Barbey dAurevilly, Villiers de lIsle-Adam, Léon Bloy, Gyp ou le dramaturge aujourdhui quelque peu oublié Victorien Sardou. Barrès avant tout
Quant à faire de Gide un adhérent à lAF, cest vite dit
Cet essai est donc sans surprise : il offre le point de vue maintes fois exposé de la droite sur une période riche de notre histoire. Le propos de lauteur fut sans doute de lutter contre les «lieux de mémoire» républicains, en oubliant sans doute que ceux-ci ont perdu de leur lustre depuis la «République des Jules», que cette mémoire a changé et que, surtout, les historiens de métier nen sont plus tributaires.
On lira donc cet ouvrage avec amusement. Ecrit dune plume cavalière, classique et tranchante, il ne remplace évidemment pas deux uvres de référence : Les droites en France de René Rémond (Aubier, 1982) et les trois volumes de LHistoire des droites en France, dirigés par Jean-François Sirinelli (Gallimard, 1992). La mort a emporté trop tôt lauteur, interrompant une histoire qui attendait son troisième volet. On aurait été curieux de connaître les vues du neveu du préfet Chiappe sur les années trente et lOccupation
Thomas Roman ( Mis en ligne le 17/09/2003 ) Imprimer
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