|
Essais & documents -> Politique |
| Éric Aeschimann Christophe Boltanski Chirac d'Arabie - Les mirages d'une politique française Grasset 2006 / 19.90 € - 130.35 ffr. / 430 pages ISBN : 2-246-69121-4 FORMAT : 14,0cm x 22,5cm Imprimer
Dans lavalanche douvrages portant sur Jacques Chirac, sa vie, son uvre, ses casseroles, ses pensées, son entourage
il y a un peu de tout : de lanalyse politique, du règlement de compte entre copains, du témoignage inspiré (ou instrumentalisé), du pamphlet, des souvenirs. Certes, le ton vire souvent au procès à charge
typique dune fin de règne, qui voit même les anciens hagiographes se détourner vers de nouvelles idoles (la solitude de Moïse face au veau dor a pu ressembler à cela). A lévidence, Eric Aeschimann et Christophe Boltanski, journalistes à Libération, ne relèvent pas de cette dernière catégorie : à Libé, le procès Chirac est depuis longtemps en cours dinstruction (avec des fortunes diverses) et le travail a été fait sérieusement (lectures et interviews), non sous le coup de lamour bafoué. Cest ce qui fait de Chirac dArabie un ouvrage foisonnant et fort intéressant. Sans passion, sans virulence et de manière très professionnelle, les auteurs dressent un tableau riche de Jacques Chirac en diplomate dinstinct autant que de raison, au crible dune «politique arabe» qui, sans avoir été la grande pensée du règne («fracture sociale», ques-tu devenue ?), aura marqué par de nombreux épisodes la «génération chirac».
Louvrage explore les diverses faces «arabes» de cet homme complexe. Cela commence dans le bled : lexpérience algérienne est fondatrice (car Chirac, homme de terrain, a en Algérie senti une première fois le terrain arabe). Puis vient le modèle gaullien, où comment dépasser le sionisme du Général pour exister en tant que gaulliste du renouveau et, quelque part, tuer ce faux père (et puis Colombey na jamais été la Mecque du Chiraquisme). Du reste, et très logiquement, les deux auteurs se penchent parallèlement sur le rapport au judaïsme (qui mèle paradoxalement une fascination pour la culture juive, des arrières pensées très éléctoralistes, notamment auprès de la communauté loubavitch, et une forme de paranoïa à lencontre du Mossad). Mais bien évidemment, le gros de luvre est consacré à ce monde arabe, à cette «rue arabe» (heureuse expression quil faudra historiciser) que le président apprécie, aux représentations chiraquiennes en général (et les auteurs démontent bien le cocktail Chirac, fait dinstinct, de sentiments, de raisonnement plus ou moins cohérents, de grosses ficelles et de quelques calculs).
On assiste ainsi aux prémisses dune politique extérieure pro-arabe tonitruante, bâtie depuis ses débuts dans les gouvernements, renouvelée à la mairie de Paris dans un pas de deux entre les communautés juives et musulmanes, et renforcée une fois au pouvoir. On observe par ailleurs, dans la coulisse, quelques grands moments de lhistoire politique et diplomatique récente : les accords nucléaires avec lIrak jusquà la création du réacteur Osirak (en particulier les liens noués avec Saddam Hussein, niés par la suite, mais parfaitement logiques dans latmosphère des années 80), la crise des otages au Liban en pleine période électorale (où comment se téléscopent, dans le dos des otages, la crise iranienne et lavenir national du RPR), les affaires de financement du parti (le monde arabe aura finalement bien mérité de la patrie) et les services rendus aux copains (il ny a pas eu que des oubliés en Chiraquie). Le morceau de roi (ou démir) étant fourni par les affaires irakiennes et palestiniennes, qui voient le président esquisser une politique de la grandeur (la France en alternative aux Etats-Unis en Mediterranée/Proche Orient), et tenter de concilier intérêts bien sentis et prises de positions affirmées.
Louvrage ne se contente pas danalyser lhomme et son processus décisionnel, aussi compliqué soit-il : au fil de la lecture, on croise les réseaux (diplomates, officines et barbouzeries diverses), les entourages, les conseillers, les copains (Rafic Hariri, icône de lamitié chiraquienne, Saddam Hussein, le complice ambitieux des jeunes années, Hassan II, lhôte au grand cur, Charles Pasqua, le mentor des coups tordus, Villepin, le Chateaubriand du pauvre) et les adversaires (Bachar el-Assad, récemment), lâge qui finit par peser, lego qui trouble lentendement
Si lon reconnaît un bon ouvrage politique à ce quil restitue la complexité dun individu, de ses décisions, de ses choix et de ses goûts, alors Chirac dArabie est un excellent ouvrage, en ce quil fait leffort de cerner la logique du personnage Chirac. Celui-ci nest ni un arabophile absolu, ni un politicien absolument cynique, ni un homme politique qui ne se guide quà linstinct, ni un sentimental qui réagit aux hommes plus quaux politiques : il y a en lui de ces personnages, sappliquant à élaborer dans un monde mouvant (ô combien !) une politique arabe complexe, trop complexe. Après toutes ces années, lOrient reste décidément mystérieux
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 08/11/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:D'un Chirac l'autre de Bernard Billaud Chirac, l’homme qui ne s’aimait pas de Eric Zemmour La Tragédie du président de Franz-Olivier Giesbert | | |
|
|
|
|