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C'est dans la rue qu'on la veut, la poésie
Michel Arbatz   Hourrah l'Oral !
Le temps qu'il fait 2014 /  19 € - 124.45 ffr. / 168 pages
ISBN : 978.2.86853.600.6
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Dans «Muss es sein, es muss sein», Léo Ferré s'écrie :

''La musique... Où elle est la musique ?
Dans les salons lustrés aux lustres vénérés ?
Dans les concerts secrets aux secrets crinolines ?
Dans les temps reculés aux reculs empaffés ?
Dans les palais conquis aux conquêtes câlines ?
C'est là qu'elle se terre, c'est là qu'elle se pâme la musique... ?
Nous c'est dans la rue qu'on la veut la musique''


A la lecture d'Hourrah, l'oral, on ne peut pas ne pas penser à ce texte qui, déjà, critiquait la tentative de mise au pas de la musique et, plus généralement, de toute création, par la bonne société, par des institutions sclérosées ou par ceux qui veulent en faire un outil de pouvoir. Le livre dont il s'agit ici est un manifeste pour l'art oral. Notez que son titre ne contient pas de coquille et qu'il ne s'agit aucunement d'un commentaire du poème prosoviétique d'Aragon (et encore moins d'une glose autour du poème canin de Ferrat)... S'il faut trouver Aragon dans ce livre, c'est plutôt pour songer à ses «Fourreurs» dont l'''amer plaisir'' était de ''vitupérer l'époque''. En effet, l'auteur commence par dresser un tableau peu flatteur de la période actuelle. Il ne s'en contente heureusement pas : l'ouvrage est également constructif – condition nécessaire à ce que l'amertume soit réellement plaisante – et il ouvre des perspectives pour que l'avenir soit moins sombre.

Hourrah l'oral contient d'abord, on l'a dit, une critique de la situation présente. Cette détestable tentative de domestiquer la musique pointée du verbe par Ferré se double de - si elle ne se confond pas avec - celle d'apprivoiser la poésie, dont elle est d'ailleurs cousine proche. C'est une bien mauvaise habitude de notre société que d'essayer de mettre sous le boisseau ces arts qui risquent de la déstabiliser, en les reléguant dans les ''salons lustrés''. Quoi de plus dangereux en effet qu'un art qui glisse sur toutes les règles, instille des idées, qui n'accepte pas la notabilité, qui résiste à l'ordre établi, apprend la liberté et trouve parfois parmi les enfants du peuple ses meilleurs artisans ?... Le livre dresse d'amers constats sur l'école, l'université ou l'institution littéraire, de sorte qu'il relève presque du tableau général d'une société qui ne sait plus trop ce qu'est la parole libre. On ne peut, malheureusement, qu'être d'accord avec l'auteur à ce sujet. Il n'a échappé à personne que la mode est au vide politique et culturel en même temps qu'au règne du brassage de vent de la «com'» aseptisée. Espérons que cette frime qui, comble du ridicule, se prend au sérieux et nous fait sans cesse la leçon, n'en ait plus pour trop longtemps. De l'air !

Dans un tel environnement, même les poètes cherchent le succès social à tout prix. Certains veulent être récupérés, sponsorisés, invités dans les dîners en ville et passer – signe de reconnaissance suprême – à la télévision. D'autres pensent démontrer leurs qualités en s'enfermant dans les nombreuses plaquettes universitaires par lesquelles ils existent (le syndrome du ''publish or perish'' universitaire). Mais qu'on soit client des services de l’État ou de ceux des grandes entreprises éditoriales, il y a dans ces quêtes-là une contradiction avec l'état de poète. Ces poètes déclarés tels par le système au pouvoir ne peuvent à vrai dire prétendre qu'au titre de leurre. Ni les tirés-à-part en papier glacé, ni le battage médiatique ne suffisent à faire le poète. Quand on songe à Villon ou à Rimbaud, qui sacrifièrent tout à leur poésie, qui vécurent réellement en poète de leur propre vie, ces soi-disant poètes font sourire. L'auteur a le courage d'être précis et de donner l'exemple de textes creux et verbeux estampillés «poétiques» par le comité central des bonnes mœurs.

Autre point central du livre, la poésie à l'école soulève aussi de nombreuses interrogations. Comment la poésie entre-t-elle à l'école ? Qui sont les poètes enseignés ? Quels textes sont couramment choisis ? On peut presque se demander pourquoi on pratique encore la poésie à l'école. Bien sûr pour l'exercice salutaire de la mémoire mais pour quoi encore ? La volonté absolue de faire de l'explication de texte ne devrait-elle pas faire place au texte pur et ouvert vers plusieurs interprétations ?... Là encore, on en est réduit à espérer des intuitions individuelles de la part des enseignants. Heureusement, cela existe encore.

Mais ce livre ne se complaît pas dans la déploration, la flagellation et l'accablement. Michel Arbatz est un praticien de l'oral depuis plusieurs décennies. Il joue, chante ou dit selon les occasions, c'est-à-dire qu'il résiste à l'inertie ambiante. Avec ce livre, il plaide positivement en faveur de l'oralité en en rappelant toute l'importance et surtout l'humanité. Toute la nécessité également ainsi que ses diverses expériences le lui rappellent. Et ce plaidoyer se double d'un témoignage sur la poésie vivante. A ce titre, c'est une lecture parfaitement roborative qui rappelle des évidences souvent oubliées.

Les parties les plus passionnantes du livre concernent le récit des expériences personnelles de l'auteur, et notamment dans les écoles ou au sein des Brigades d'Intervention Poétique. Expérience de poésie dite, sans préavis et en équipe, dans des lieux publics, à des personnes qui n'en entendent ni n'en lisent, pour la plupart, jamais. Et les gens en redemandent. Ils vivent une expérience forte, une aventure rare. Quels adultes «sérieux» s'autorisent encore la poésie ? Mais alors quel salaire reçoivent les membres de ce commando lorsqu'une foule applaudit, lorsqu'un enfant d'un quartier pauvre s'ouvre à un nouveau langage et en découvre physiquement toutes les possibilités, lorsqu'une personne plus âgée retrouve des vers enfouis en elle depuis plusieurs décennies. Oui, d'évidence, la poésie nous est nécessaire, mais peu le savent. Et on peut dire qu'Arbatz fait bien plus œuvre de service public en disant de la poésie dans l'espace public, loin de tout académisme, en transmettant le plaisir physique pur des mots, que les éditeurs et enseignants vivant dans l'entre-soi.

Mais alors, s'il faut dire la poésie, il faut que la poésie supporte la haute voix. A bas la poésie blanche, abstraite, ampoulée, calligraphique, frimeuse. Évidemment, dans ce tableau, la chanson a un rôle particulier. Il existe bien heureusement encore des chanteurs qui portent de la poésie, non seulement au travers des textes de leurs chansons parfois empruntés à d'autres poètes, mais aussi par les textes dits. Allain Leprest récitait son «Mec», Rémo Gary dit «Les pieds de singes» (long texte de 17 strophes). Jacques Bertin propose en parallèle à ses concerts des lectures de poésies. Rappelons que la forme normale de l'expression poétique jusqu'à il y a quelques siècles fut la chanson.

Notre époque a besoin de poésie, de poésie dite, récitée, répétée, de poésie dans la rue. Pas de la poésie momifiée et fadasse mais de la poésie vivante, subversive, de la poésie torsion des mots, torsion des idées, invention, nouveauté... Alors, poésie partout ? ''Muss es sein ?Es muss sein !''


Alexandre Pavin
( Mis en ligne le 09/07/2014 )
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