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Au prix fort
Natacha Tatu   La Fabrique des bébés - Enquête sur les mères porteuses dans le monde
Stock 2017 /  18 € - 117.9 ffr. / 208 pages
ISBN : 978-2-234-07793-5
FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm
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Voilà un essai à l’opposé de celui du libertaire anti-capitaliste Alexis Escudero, intitulé La Reproduction artificielle de l’humain (Le Monde à l’envers). Autant le premier était engagé et s’opposait catégoriquement à cette marchandisation généralisée avec une argumentation logique et des faits, autant l'essai de Natacha Tatu, derrière une absence d’a priori idéologique annoncée, évoque simplement anecdotes et situations.

L'auteure retrace les difficultés de ce ''baby business''. Heureux ou malheureux, complications ou pas, elle donne un aperçu, parfois critique et parfois pas, de tout ce périple porteur d'un marché en plein boum. Un immense marché en effet : 80 millions des couples seraient aujourd’hui concernés par l’infertilité dans le monde. Hétérosexuel, homosexuel ou lesbien,  elle expose le parcours tortueux ou torturé de ceux qui, coûte que coûte, et à travers différentes formules (PMA ou GPA, dons de spermes ou d’ovocytes), veulent avoir un enfant ; en France, aux États-Unis ou dans des pays du ''Sud'' comme l'Inde ou la Thaïlande qui ont développé des filières low cost.

En fonction des diverses règlementations, ce périple est souvent ardu et couteux, pouvant atteindre aux ノtats-Unis jusqu'à100000 dollars et plus. Dans ce parcours, ce sont les traumatismes qui ressortent  : femmes qui décident de garder l'enfant, femmes qui subissent un accouchement difficile avec perte de sang, familles qui repartent en oubliant la mère porteuse (elles deviennent rarement amies), on a l'impression d'une tractation au goût amer, au nom du désir d'enfant. On parle peu de ces enfants qui, qu'on le veuille ou non, subissent ce contrat sans que soit pris en compte leur devenir. Des situations deviennent même fort compliquées comme pour ce petit garçon, en 2012, qui a été retiré à un couple gay belge, les autorités de leur pays refusant de lui octroyer un passeport, et l'Ukraine empêchant sa sortie. Autre cas : la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a condamné la France qui a refusé de transcrire à l'état civil français les actes de naissance d'enfants nés à l'étranger par GPA.

La dimension kafkaïenne de ces imbroglios s'explique par ce désir d'un enfant coûte que coûte et le fait de l’imposer au nom du droit à la parentalité même si cela mène à des situations dramatiques. On accusera alors certains gouvernements de ne pas admettre un tel état de fait, comme s’ils devaient obligatoirement obtempérer sans prendre en compte les tenants et les aboutissants d’une volonté aussi subjective. Il est facile d’enrober tout cela d'un «amour» qui serait beau par nature... alors qu’il s’agit avant tout d’un contrat libéral en bonne et due forme. Parfois, les justifications paraissent fausses comme quand cette femme qui dit  : «Je n’ai pas voyagé, je n’ai rien créé. Là, je vais pouvoir réaliser le rêve de quelqu’un. C’est énorme. J’ai l’impression d’être un superhéros. Il y a tant de famille qui ne veulent rien de plus au monde qu’un enfant, et moi, la petite Lettie, simple ménagère du fin fond du Midwest, je détiens la clé de leur bonheur. C’est un sentiment extraordinaire». Mais on apprend qu’elle ne l’aurait pas fait gratuitement... Où est le don de soi alors ?... Certaines sont des stakhanovistes comme Meredith Olafson qui a eu quatre enfants avec son mari et en a porté quatorze autres qui n’étaient pas les siens. Elle est conductrice de bus.

Ce commerce n'est pas établi de façon claire dans cet essai, à l'inverse de celui d'Alexis Escudero qui montrait que cette marchandisation rentrait tout à fait dans le cadre d'un capitalisme qui ne cesse de toucher au ''vivant'' pour le profit et par les contrats. Il s'agit non seulement d'un problême d'argent, mais aussi de l'enjeu d'une dérégulation d'un marché humain. Il est à relever que, infertilité ou pas, les couples ont de plus en plus recours à ces méthodes à cause d'un fait scientifique avéré. En 1992, une équipe de recherche danoise dirigée par le professeur Shakkebaek (endocrinologue) publiait une étude qui jetait un froid  : la concentration du sperme humain en spermatozoïdes a diminué de moitié entre 1938 et 1990, passant de 113 à 66 millions par millilitre de sperme. D'autres études suivent, aboutissant au même résultat, et chaque année, cette baisse s'accentue. Le tout serait dû à la pollution et autres produits délétères responsables des perturbateurs endocriniens. C'est dire si le libéralisme commet des dommages irrémédiables qu'il tente de réparer par la suite toujours au nom du profit... Tout fait alors systême : scientifiques, agences de recrutement, publicitaires, contrats, pour de gros chiffres d'affaires. Mais au nom de quelle humanité ? On se rappelle la phrase cynique de Pierre Bergé: ォNous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l'adoption. Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant !. Ce sont effectivement les plus riches, qui, par confort, demanderont aux plus pauvres de faire des enfants à leur place. Et la compétition risque d'être ardue entre les pays pour cette marchandisation humaine.

Natacha Tatu évoque cette situation sans aller au bout de son raisonnement, tentant de minimiser sans oblitérer toutefois le côté dramatique de certains cas. Un exemple. Elle prend parfois fait et cause, notamment en Inde, pour des femmes ayant recours à la GPA et qui refusent d’être jugées : «ces femmes font ce qu’elles peuvent  pour donner une chance à leurs familles, pour changer le cours d’un destin tout tracé forcent l’admiration» (p.116). Sauf que si cela améliore leurs revenus, cela n’améliorera pas leur pauvreté de base. Elles resteront pauvres... sans quoi elles n’auraient pas recours à de telles méthodes. Elles subissent le système une fois de plus.

Les implications sont donc sociales, économiques et symboliques. Par exemple, en terme d'identité : certains bébés pourront avoir trois mères, celles qui vont les élever, celles qui les porteront et celles qui auront fait don de leurs ovocytes. Les implications se compliquent si l'on pense aux adoptions d'embryon, un cas délicat si l'on pense que ce surplus provenant de mêmes couples peut se répandre et que des enfants nés et élevés dans différentes familles peuvent un beau jour se rencontrer, se marier et vouloir un enfant à leur tour.. On peut évoquer aussi des couples ou des célibataires désirant avoir des enfants à des âges fort avancés, ou privilégier un sexe sur un autre... Natacha Tatu pense que «dans le secret des cabinets médicaux, tous les gynécologues ont affaire à des cas d'arrangements clandestins entre un couple et une mère porteuse. Une interdiction pure et simple a toutes les chances d'amplifier des pratiques clandestines vieilles comme le monde» (p.177). Mais là aussi, il y a une différence entre quelques arrangements occasionnels et la légitimation d'un systême par la loi et la dérégulation.

Natacha Tatu prend position quand, au détour d’une phrase, elle écrit que Taubira «va courageusement prendre position dans le même sens», en 2013, en acceptant que les enfants nés par GPA ou PMA à l’étranger ne pourront plus se voir interdire la délivrance de certificats de nationalité française. Cela devient plus net quand elle parle des opposants à l’homoparentalité qui sont forcément «déchainés». Les associations homosexuelles ou lesbiennes pro-PMA ou GPA ne le sont-elles pas tout autant  quand elles interdisent Alexis Escudero de faire des conférences ? C’est que le débat fait rage, témoin le chapitre «Féministes contre féministes» qui voit s’affronter, d’un côté Sylviane Agacinski (femme de Lionel Jospin), et de l’autre Élisabeth Badinter ainsi que des associations. Le débat prendra sans doute une plus grande ampleur dans les années futures. Surtout que la chose ne va pas s’arrêter là  : les recherches scientifiques ne cessent d’aller de l’avant, comme avec ces fœtus se développant hors de l’utérus. On est étonné du constat de Nathalie Tatu : «Certes, cette technique futuriste sera dans un premier temps réservée aux cas médicaux, mais rien n’interdit de penser qu’elle devienne un jour un instrument de libération des femmes» (p.189). Est-ce vraiment une libération  ?

Parfois, de vraies questions surviennent, mais elles sont rares  et sans aller plus loin : «Quelle distance sépare la sélection de l’eugénisme?». Car, avec ce désir d’enfant, la sélection va s’effectuer de plus en plus en fonction de critères discriminants : poids, taille, maladies, morphologie, etc., éliminant des individus n’obéissant pas aux stéréotypes de la société de consommation (et des plus riches occidentaux), là où la reproduction naturelle offrait une diversité du vivant. On sait, par exemple, que le sperme d'hommes roux n’est pas apprécié… et donc refusé. L’humanité veut devenir parfaite. La bataille fait rage aussi parmi les chercheurs.

«Aujourd’hui, c’est l’amour qui fait l’enfant, et de moins en moins la nature !» (p.191), écrit Natacha Tatu. C’est plutôt l’argent... et c’est tout le problème. Là où la nature offrait le jeu du hasard, l’être humain tente de remédier à une «fausse injustice» de celle-ci. Sans doute, au fond, le vrai débat est-il là, entre accepter son sort d’humain avec son lot de bonheur et de malheur (infertilité ou non), et celui de combler son fantasme de complétude qui, par la technique et le libéralisme, n’a plus aucune limite et débouchera sur le transhumanisme, l’homme amélioré, voire le clonage.

On apprend ainsi qu’en 2015, une Suédoise a donné naissance à un petit garçon grâce à la transplantation de l’appareil reproductif de sa propre mère. On évoque non seulement la possibilité pour des hommes transgenre de donner naissance et de connaître l’expérience de la grossesse, ou encore de la reproduction homosexuelle. En décembre 2014, des chercheurs britanniques et israéliens ont réussi à créer des cellules reproductibles mâles et femelles à partir de cellules de la peau. Un couple hétérosexuel ou homosexuel pourra donc enfanter sans passer par l’autre sexe, ni même d’ailleurs avoir l’expérience physique de la sexualité et avoir un enfant de soi-même, voire même comme célibataire. Au final, se débarrasser de l’homme ou de la femme. Une mort de l’altérité crainte par Jean Baudrillard qui avait compris que le libéralisme avait colonisé la subjectivité humaine pour la mettre à son service sous l’injonction du «libre choix». Arrivé à ce point, on peut se demander s’il est encore utile de se reproduire...


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 03/04/2017 )
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