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Le sionisme à l'épreuve des faits | | | Susan Nathan L'Autre côté d'Israël Presses de la cité 2006 / 20 € - 131 ffr. / 330 pages ISBN : 2-258-06760-X FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
Traduction de Jacques Martinache Imprimer
Alors que certains journalistes français invoquent leur judaïsme pour expliquer quils nont «plus envie» de critiquer Israël et sont fiers de célébrer leur solidarité (ethnique ? raciale ? religieuse ?) envers et contre tout, les Presses de la Cité publient lexpérience dérangeante dune Juive anglaise de gauche, devenue Israëlienne. Un livre qui risque de passer inaperçu. La raison ? «Les obstacles sont énormes. Lapparente incapacité des Juifs dIsraël et de la diaspora à sen prendre aux racines même du conflit du Moyen Orient et à reconnaître leur rôle dans les souffrances des Palestiniens trouve un alibi dans leurs peurs, alimentées par des articles des médias sur la menace toujours présente de lantisémitisme, (
). Une partie disproportionnée des articles sur lantisémitisme sattache à coller aux critiques dIsraël cette étiquette déplaisante. Quiconque a des choses dérangeantes à dire sur ce quIsraël fait aux Palestiniens est, selon cette interprétation, un antisémite. Je suis convaincue que dans de nombreux cas, la motivation des défenseurs dIsraël est de faire taire ces critiques, quelles soient justifiées ou non. Ma position envers Israël, cest quun Etat qui prône une vision profondément raciste des Arabes et impose pour les terres un système dapartheid entre deux populations risque dêtre traité de la même manière. Alors comment toucher dautres Juifs et éviter cette accusation dantisémitisme ?» (p.85).
Pourtant on na pas affaire à une vieille pasionaria de la cause arabe, mais à une sioniste qui a perdu la foi dans son idéologie et veut provoquer une prise de conscience en faisant appel à la raison et aux sentiments élémentaires de justice, notamment dans une communauté qui ne cesse de mettre en avant ses souffrances. Susan demande seulement légalité de traitement pour les Arabes dIsraël, la reconnaissance de leurs souffrances depuis 1948 et de leurs droits ! Même si le livre parle des Arabes dIsraël et non des Palestiniens des territoires occupés, les premiers ne sont guère mieux lotis en terres depuis lexpropriation violente de 1948 et leur situation est intimement liée à celle des Palestiniens. Le seul privilège des Arabes dIsraël : être des «citoyens de seconde classe» (chapitre 3) dans un Etat discriminatoire et dans une société éduquée à les mépriser. Limmigration massive des Juifs vécue par les Arabes comme une invasion, la fondation dun Etat sioniste «viable» au détriment des Arabes, lexpropriation violente des terres, engendrerait une mauvaise conscience insupportable, si la vérité en était reconnue, car Israël ne peut se fonder explicitement sur la violence, le droit du plus fort, le colonialisme, le racisme, alors quil prétend découler dun droit à la sécurité contre le racisme meurtrier des nazis ! La faute doit donc être refoulée et la bonne conscience sarmer de justifications détestables. LArabe doit mériter son statut inférieur. Susan montre ce quest la discrimination légale la plus choquante dans tous les domaines (école, mariage, recrutement de fonction publique, etc.). Hannah Arendt avait déjà dit à Golda Meir son indignation devant les lois discriminatoires de type raciste qui lui rappelaient le droit nazi de Nuremberg.
Après six ans de vie à Tel Aviv, Susan décide de vivre avec les Arabes. Dans le chapitre 1, «Sur la route de Tamra», elle raconte son déménagement, malgré la grande inquiétude du transporteur qui croit à une erreur ou à de linconscience. De son appartement loué, elle se fait peu à peu des amis dans une population arabe étonnée et raconte son sentiment de grande proximité culturelle et religieuse avec le monde musulman, par-delà les différences secondaires. Comment en est-elle arrivée à un acte dune telle audace dont la société israélienne se scandalise? Le chapitre 2 raconte «La fin dune histoire damour». Dabord avec la Grande-Bretagne : horrifiée par lextermination nazie, Susan et sa famille se passionnent pour leur identité, et malgré la dette envers leur pays, ne pardonnent pas au mandat britannique ses réticences devant la fondation dun Etat sioniste en 1947. Seconde histoire damour mise à mal : ses idées romantiques sionistes léloignent même de son époux juif orthodoxe, moins enthousiaste. En 1999, elle décide de demander la nationalité israélienne. Mais cest surtout du cliché hagiographique dIsraël et du sionisme que Susan va devoir par honnêteté faire son deuil. Le massacre de Djénine en fournit loccasion. Ou plutôt un film controversé et interdit en Israël sur Djénine. Les Arabes quelle rencontre alors lui reprochent un manque de remise en question radicale de son idéologie sioniste. Sétant rendue sur place, elle se persuade que quelque chose de monstrueux a eu lieu à légard des Arabes, qui na rien à voir avec la version officielle rassurante. Cest le déclic dune décision courageuse et audacieuse : se rendre compte par elle-même de la possibilité dune paix juste et loyale en sinstallant en zone arabe (hors des zones militarisées interdites).
Le chapitre 5, «La gauche manquante», raconte la découverte par notre sympathique Candide dun fait qui na pas échappé aux observateurs de la politique israélienne : labsence de réelle alternative politique en Israël entre une fausse gauche «travailliste» avec ses variations dérisoires et verbales et une droite Likoud clairement nationaliste et militariste. Le fait que le parti travailliste ait régulièrement formé des coalitions avec la droite comme actuellement, pour mener des politiques dures, est un fait éloquent sur ce quimplique lunion nationale dans le pays ! Certains des chefs travaillistes historiques restent dans la mémoire collective comme les meilleurs champions du combat anti-arabe : les premiers ministres Golda Meir et Rabin, jusque peu avant sa mort, qui passe pour un martyr de la paix dans son camp et en occident. En vérité lopposition des «colombes» et des «faucons» est difficile à saisir pour les Arabes (Shimon Pérès serait une colombe, mais ce fut le responsable du programme nucléaire et cest le vice Premier ministre dOlmert). Quant à la gauche du parti travailliste, il suffit de dire que son chef, le syndicaliste Peretz, rival de Pérès, est lactuel ministre des armées et un va-t-en-guerre de lactuelle coalition sur le Liban. Bref : qui veut accéder à la respectabilité ne doit pas être suspect de compréhension envers les Arabes, comme il est impossible de sopposer à la peine de mort pour un candidat à la présidence aux Etats-Unis.
Mais si la gauche est souvent prisonnière dune surenchère démagogique avec le Likoud, les milieux considérés comme favorables à «la paix maintenant» sont souvent décevants : ils ne fréquentent pas les Arabes de peur de se discréditer et se permettent de leur donner des leçons paternalistes, se présentant comme les seuls pacifistes sincères, sans mesurer les risques dune action politique pour un Arabe en Israël ou dans les territoires palestiniens. La journaliste du journal de gauche Haaretz qui vient interviewer Susan comme une excentrique («élitiste ashkénaze» !) sans doute habitée cest la seule explication, non ? de la fameuse «haine de soi» du Juif, cache mal son dégoût de la voir vivre au milieu des Arabes. Face à cette psychologie réductionniste commode, Susan invoque
son expérience du racisme de ses propres parents envers les Noirs en Afrique du Sud au temps de lApartheid, situation qui présente des analogies frappantes avec Israël. La relation sexuelle illégale quelle y avait eue avec un Noir lui rend odieux les préjugés dominants contre les amours entre Juifs et Arabes et la législation sur le mariage (voir chapitre 4 : «Des échos de lapartheid»). Mais qui a fait son «Retour» de Juif en Israël et se permet de critiquer lEtat et la société se voit aussitôt reprocher son ingratitude et inviter avec agressivité à quitter le pays : le sens du dialogue... dans «la seule démocratie du Proche Orient.» Pour Susan, la gauche se caractérise avant tout par son hypocrisie et sa bonne conscience sur la question arabe. Elle retrouve, sans le savoir peut-être, la critique que le sioniste quasi-fasciste Jabotinsky (auteur de La Muraille dacier) adressait à la gauche sioniste : nous au moins, nous prenons les Arabes au sérieux et nous leur disons franchement quil ny a pas de place pour deux donc pour eux, que nous allons les chasser de Palestine, nous avons le respect de penser quils résisteront comme des hommes et quil ne peut y avoir que la guerre.
Dans ce contexte, on mesure lintérêt de lapparition dun nouveau parti dit «centriste» : Kadima («Forza Israel» en quelque sorte) rassemblant ailes «gauche» du Likoud et «droite» des travaillistes, créé par le faucon Sharon devenu «réaliste». Mais Susan Nathan découvre aussi le «racisme mou ou libéral» qui habitent les mentalités de gauche, fait de mépris pour lArabe tenu pour primitif, inapte à lagriculture, indigne de sa terre, cruel et lubrique, bref le contraire du civilisé. Nathan en est dautant plus choquée que ces propos émanent même de nouveaux citoyens, qui, à peine arrivés, se trouvent favorisés juridiquement, trouvent cela parfaitement normal et le justifient en multipliant les clichés colonialistes. (Le poète et traducteur Philippe Jaccottet spécialiste de Hölderlin, Musil et Rilke, raconte cette même expérience dans Israël, Cahier bleu, Fata Morgana). Même les kibboutzim socialistes résonnent de propos condescendants pour les voisins arabes spoliés. Le paradoxe (apparent) est que la seule parole damour du prochain et douverture aux Arabes lui vient dun rabbin ultra-orthodoxe de Jérusalem : «Ce que tu fais est la forme extrême du judaïsme, cest lessence même du judaïsme !» (p.207). On envoie ici le lecteur au beau livre de Yakov Rabkin, Au nom de la Torah.
Susan redécouvre que lidéologie identitaire du pays est un étrange judaïsme officiel ni le judaïsme libéral américain ou anglais (dont elle est), ni lorthodoxe spirituel et pieux méfiant envers lEtat - mais compatible avec le sionisme laïque et socialiste, bref une définition ethnique héréditaire de soi qui suffit à faire exclure de la citoyenneté les Arabes et doit éviter que le «problème démographique» de la fécondité arabe nentraîne de fâcheuses répercussions politiques et mémorielles.
Car le peuple de la mémoire veut décider de lhistoire de souffrance dont le monde doit se souvenir. Rejoignant par dautres voies les analyses dEdith Zerthal sur le rôle de la Shoah, Susan voit une «société traumatisée» qui se voile la face sur sa violence et dont lagressivité est dautant plus terrible quelle se pose en victime par excellence et dispose de moyens importants pour décharger ses pulsions. Le thème du terrorisme sert à évacuer toute réflexion sérieuse sur les origines de cette réaction arabe, dont la dimension suicidaire nest jamais analysée comme un message de désespoir mais comme un signe méprisable de fanatisme ; on ne veut pas savoir non plus que les Arabes vivent la politique israélienne comme un terrorisme permanent. Quiconque tente dexpliquer à Israël sa véritable histoire est classée dans une extrême-gauche sulfureuse, dont Susan salue lexistence et admire laction pacifique de témoin de la vérité pour la vraie réconciliation à venir. On ne dira pas au lecteur ce que dit le chapitre 7 : «Où aller maintenant ?».
Le livre souvre sur un jeu de cartes simples et pratiques pour se repérer. Au milieu du livre, quelques photos de la condition arabe aujourdhui. A la fin du texte, un glossaire très utile de Jonathan Cook et une bibliographie avec des références de sites web.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 18/09/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Au nom de la Torah de Yakov-M. Rabkin Aux origines d'Israël de Zeev Sternhell | | |
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