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De la bêtise intelligente...
Belinda Cannone   La Bêtise s'améliore
Stock - L'autre pensée 2007 /  18.50 € - 121.18 ffr. / 209 pages
ISBN : 978-2-234-05947-4
FORMAT : 12,0cm x 20,5cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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Les deux citations inscrites au commencement du livre de Belinda Cannone sont magnifiques. L'une est de Courteline et l'autre de Robert Musil. Un beau programme s’annonce. En effet, s'occuper de la bêtise est un exercice redoutable et périlleux dans le sens où, tentant de comprendre la bêtise ou de la cerner, on risque très rapidement de croire qu'on est à l'abri de cette même bêtise et donc de se classer comme plus rusé ou pire, «suprêmement intelligent» ! Est-ce si sûr ? A court terme, on risque plutôt bel et bien d'être le bête de l'histoire, et même d'être épinglé un jour dans une histoire de la bêtise qu'un autre écrivain écrirait...

Dans ce petit livre brillant, on a tout d'abord l'impression délicieuse de faire une promenade tout en étant entretenu de choses plus ou moins sérieuses, et parfois même fort sérieuses. Cependant, le ton n’est jamais tout à fait grave ni tout à fait léger. On oscille entre le roman et l'essai sans jamais tomber ni dans l'un ni dans l'autre. La volonté de Belinda Cannone est claire dans la mesure où elle ne tient visiblement pas à écrire un livre philosophique sur la bêtise, ni de faire un roman avec la bêtise comme propos principal. Nous sommes plutôt dans une espèce de "badinage philosophique" si l’on ose dire (un certain esprit XVIIIe siècle flotte sur le livre), non pas évidemment pour délivrer des choses insignifiantes, mais dans la façon élégante, gracieuse et légère d'agrémenter une conversation. Pour cela, le livre est fort agréable à lire, ce qui était au départ un pari difficile à réaliser, car il n'est pas aisé d'être léger et profond à la fois. Il y a là une authentique virtuosité que de parvenir à un tel équilibre.

Ensuite, que veux dire ce titre étrange, La Bêtise s'améliore ? Est-ce à dire que la bêtise serait moins "bête" ? Mais elle ne pourrait plus s'appeler bêtise dans ce cas ! Non, l'auteur veut simplement signifier que : "Là est le danger : la bêtise s'est renouvelée, elle a adopté des idées qui étaient intelligentes, c'est-à-dire vives, quelques générations plus tôt, et qui sont pur conformisme depuis plus de cinquante ans." (p.38) En ce sens, la bêtise "s'améliore", progresse, car elle est plus trompeuse, moins ouvertement visible, frontale, empruntant des idées intelligentes ou qui paraissent intelligentes. Belinda Cannone s'intéresse donc à la bêtise des gens intelligents. Il est vrai qu'avec la bêtise, il y a toujours anguille sous roche. Comme l'écrit Robert Musil : "Il n'est pas une seule pensée importante dont la bêtise ne sache aussitôt faire usage."

Belinda Cannone met en scène trois personnages (le narrateur, Clara et Gulliver) et ceux-ci discutent, enquêtent tout en se promenant. Ils flânent, vont dans les cafés, et dînent tout en dissertant sur la bêtise. On note au passage le grand plaisir de vivre de ces personnages, ce qui a son importance. Peut-on séparer nourritures terrestres et spirituelles ? Ils commencent tout d’abord par interroger le terme de réactionnaire qui a pullulé ces dernières années et qui sert à épingler vite fait bien fait ceux avec qui on n'est pas d'accord ou qui ne vont pas dans le sens du vent progressiste. Le terme ne veut plus dire grand chose alors qu'à l'origine, ce sont des gens qui veulent revenir à l'ancien régime. Ce n'est pas seulement un simple retour en arrière, si cela était même possible et quand bien même, un retour en arrière n'est pas obligatoirement une régression. D'ailleurs, on égratigne au passage la façon d’utiliser habilement des mots. Par exemple comment la droite politique a repris des termes comme changement, dialogue, liberté, réforme, notions initialement brandies par la gauche. "Mais pourquoi accepterait-on un changement qui ne signifie en réalité qu'adaptation à un monde qui se précipite vers l'avant pour le seul bénéfice des privilégiés ?" (p.53), dit l'un des personnages. Si l'on peut faire remarquer que cette politique "progressiste" favorise autant la gauche que la droite dans cette adaptation, il est urgent de dire que le néo-libéralisme n'a surtout plus rien de réactionnaire.

L'écriture de Belinda Cannone est délicate et c'est avec beaucoup d'esprit qu'elle débusque le souffle de la bêtise de l'époque. Cela nous mène, de fil en aiguille, à ces personnes qui se déclarent subversives tout en s'affichant dans les musées nationaux et les maisons d'édition huppées. Ou qui répètent le geste de Duchamp avec sa fontaine des dizaines d'années plus tard, même si l'on peut se demander si le geste de Duchamp ne faisait pas en propre partie de la bêtise même. Il y a effectivement de quoi s'interroger sur cette subversion devenue publique, affichée et subventionnée. Rappelons tout de même qu'en décembre 2004, la Fontaine de Duchamp a été élue l'œuvre la plus significative du XXe siècle par cinq-cents hautes personnalités du milieu britannique de l'art ! Nous sommes sortis de l'acte subversif pour entrer dans de la copie indéfiniment dupliquée de l'acte subversif. A ce titre, Jean-Pierre Raynaud, avec ses pots, n'est pas épargné. Est-ce à dire que le conformisme et l'académisme se sont intégrés dans la modernité et dans la rébellion ? Car on peut se demander pourquoi ce «modernisme» n'aurait brusquement plus rien d'académique ? Un prétendu art échapperait comme par magie à l'académisme en ayant lui-même authentifié que l'académisme, c'était avant, c'était l'autre car lui était nouveau, profond, révolté, décalé, sensationnel ? Ou n'aurait-on pas plutôt une nouvelle variation de l'académisme ? C'est en ce sens que la bêtise s'améliore aussi. Et c'est le problème avec la "bêtise intelligente" que de s'abreuver à des sources plus élevées, pour mieux berner son interlocuteur.

Le livre aborde bon nombre d'autres thèmes comme l'égalitarisme, le relativisme (comment passer au culte du moi-moi ?) le reliant avec pertinence à l'exhibition publique de son ego. Mais aussi le féminisme (la position victimaire chez certains féministes) ; à ce titre, la romancière allemande Elfriede Jelinek est prise en défaut de stigmatiser facilement et démagogiquement le "pouvoir mâle". Ne laissant pas grand chose sur sa lancée, il s'en prend au théoricisme (à ceux qui empruntent des théories où il est facile de manipuler des concepts riches mais flous) et à des expressions faciles comme quelque part (genre "Il souffre quelque part."), manière de ne rien dire et de ne rien situer tout en se donnant l'air profond. Et pour notre plus grand plaisir aussi, Belinda Cannone repère des faits "hénormes" comme celui relaté dans un quotidien où une grande fête caritative à Londres a vu de généreuses personnes faire don de leur générosité en se livrant à une "immense séance publique de masturbation collective." Il fallait tenir le plus longtemps possible et quelqu'un a tenu huit heures ! On a même du mal à y croire...

Belinda Cannone, et c'est là son atout, n'hésite pas à aborder les sujets qui fâchent. Peu à peu, ce "petit" livre creuse son sillon, cherche le mécanisme intime de la bêtise intelligente, dynamite avec élégance quelques dogmes présents que certains prennent pour la vérité vraie. A déconseiller pour les dîners tranquilles et un tantinet hypocrites ! Car au fur et à mesure de notre lecture, on se rend compte que la bêtise, c'est la pensée confortable, l'élimination des nuances, la réduction de la complexité et de l'ambiguïté au simplisme. Et sur ce terrain, nous sommes un jour ou l'autre, tous plus ou moins coupables. On croit que... mais non. Qui n'a pas fanfaronné en reprenant des idées à d'autres puis en les simplifiant pour se donner raison ? Qui n'a pas fait des raccourcis grossiers pour donner une belle image de sa personne ? Etc. Voilà l'ennemi ultime, et le pire sans doute, celui de ne pas le reconnaître (c'est-à-dire manquer d'humour). Certes, il y a particulièrement ici la devanture intellectuelle qui fait que la bêtise parvient à se cacher plus facilement et plus intelligemment...

La courte bibliographie que nous donne l'auteur à la fin du livre révèle où elle se ressource : Léon Bloy, Gustave Flaubert, Robert Musil, Philippe Muray, etc., mais aussi Clément Rosset dont on ne dira jamais assez que ses livres sont remarquables. Il est regrettable, cependant, que Belinda Cannone ne mentionne pas les deux petits ouvrages de Georges Picard, parus chez José Corti, et qui abordent plus ou moins le même thème : Petit traité a l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison et De la connerie (même si la connerie n'est pas la bêtise, convenons-en). Cela dit, rassurons-nous, la bêtise est consubstantielle à l'être humain, il y a donc de quoi faire avec un tel livre car comme le dit le romancier Gonzalo Torrente Ballester, fort peu connu hélas : "Un homme qui n'est jamais idiot n'est pas tout à fait humain."


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 09/01/2008 )
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