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Clément Rosset et son double | | | Clément Rosset Une passion homicide... et autres textes - Chroniques au Nouvel Observateur (1969-1970) PUF - Perspectives critiques 2008 / 10 € - 65.5 ffr. / 107 pages ISBN : 978-2-13-056540-6 FORMAT : 14,0cm x 20,0cm
L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est lauteur de Le Cinéma de Woody Allen(Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman(Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal. Imprimer
Roger Crémant est l'un des pseudonymes de Clément Rosset, le double du philosophe en quelque sorte, un philosophe impertinent qui n'a cessé d'écrire sur le réel et son double, ou comment l'être humain invente des mondes virtuels ou moraux pour nier et biffer le monde réel.
Clément Rosset, né en 1939, est un ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de philosophie, et a enseigné la philosophie à l'université de Nice. Il est l'auteur tout d'abord de livres consacrés à Schopenhauer et à la philosophie tragique : La Philosophie tragique(PUF, 1960), Shopenhauer, philosophie de labsurde(PUF, 1967) ou même un de ses chefs d'oeuvres, LAnti-nature(PUF, 1973). Par la suite, il consacrera la majorité de ses essais aux lubies qui caractérisent l'être humain dans la faculté qu'a celui-ci d'adorer ce qui n'est pas pour détester ou nier ce qui est. Suivront donc des livres réjouissants et piquants comme Le Réel et son double (Folio essai, 1993), Le Réel, Traité de lidiotie(Minuit, 1978), Le Philosophe et les sortilèges(Minuit, 1985) ou encore Le Régime des passions et autres textes (Minuit, 2001).
C'est lui encore qui commit cette plaisante farce intitulée Lettre sur les chimpanzés (LImaginaire, 1999) où il se moquait des écologistes en prétendant en faire l'apologie. Chez Clément Rosset, on adore et on cultive férocement l'ironie. Il y a aussi de la farce moliéresque chez lui, Molière étant un auteur qu'il adore évidemment. Au point de collaborer à un hebdomadaire de gauche, Le Nouvel Observateur, tout en étant complètement réfractaire à l'idéologie de cet hebdomadaire. C'est en 1969, après avoir lu ses Matinées structuralistes, que Maurice Clavel eut l'idée de proposer à Clément Rosset de tenir une chronique littéraire et philosophique dans ce journal. Le loup était dans la bergerie. Et les brebis allaient bêler ! Il ne pouvait manquer de provoquer des dégâts. On aurait dû le savoir puisque Clément Rosset, déjà sous le pseudonyme de Roger Crémant, dans Matinées structuralistes, raillait dans un article intitulé Discours sur l'écrithure le style de Jacques Derrida, provoquant la colère de ce dernier.
Les Presses Universitaires de France décident donc de republier quarante ans après leur première parution ces quelques chroniques
Elles sont en général drolatiques et féroces, lapidaires souvent. Dans la postface, Clément Rosset a quelques regrets, d'une part d'avoir manqué de recul, ce qu'il attribue à l'urgence rédactionnelle du journal (néanmoins, il s'agit bien de sa propre faute) et dautre part, d'avoir manqué ici ou là d'impartialité, voire même d'avoir fait des coups bas (sur Adorno par exemple). L'homme est honnête. Néanmoins, il rappelle le terrorisme intellectuel de cette époque, avec surtout l'épisode où, suite à son article Sexe à gauche ! se moquant d'un livre de Willem Reich, une célèbre romancière (il dit avoir aimé deux de ses romans) le menaça de mort : elle allait trouver son véritable nom et lui envoyer ses sbires pour lui "couper les c"... !
Effectivement, l'article le plus drolatique et le plus incisif est celui-là : "Le Dr Reich fait alors une découverte capitale, appelée à des développements infinis : si vous empêchez un enfant de s'abonner à la masturbation, il virera, politiquement à droite ! En revanche, si vous le laissez sans contrainte, le développement harmonieux de ses facultés sexuelles l'inclinera spontanément vers la gauche. Qu'on laisse donc l'enfant libre de se masturber tranquillement : alors seulement il pourra "prendre au sérieux les idéaux démocratiques". Reich pressent ainsi, dès 1928, une loi structurale bien connue aujourd'hui : on ne fait bien l'amour qu'à gauche ; à droite on est tout rabougri, égoïste et vicieux." (pp.33-34) Vieux problème : le libertaire qui devient curé ou moraliste ! Ce qui est bon ou mauvais change de main selon un "coefficient d'"authenticité morale" totalement arbitraire. On reconnaît la critique de Clément Rosset dans la façon denvelopper dune barrière moraliste tout ce qui dérange lesprit humain. Cela ne peut évidemment que lui donner raison. Surtout dailleurs quand on a voulu couper ses «attributs» au philosophe ! Et quest-ce quun philosophe sans ça, nest-ce pas ?!
Certes, ce petit livre n'est pas important dans luvre du philosophe, mais pour ceux qui aiment le persiflage, l'humour, les traits acides et qui connaissent l'oeuvre de Rosset, un sourire persistant flottera sur leurs faces.
Yannick Rolandeau ( Mis en ligne le 19/03/2008 ) Imprimer
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