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Un grand homme... discret
Jacques Delors   Mémoires
Plon 2004 /  25 € - 163.75 ffr. / 511 pages
ISBN : 2-259-19292-0
FORMAT : 16x24 cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Discret, Jacques Delors a pourtant, malgré ou à cause de cette discrétion, été en 1994 le favori socialiste des enquêtes d’opinion dans le combat des présidentielles qui devaient avoir lieu l’année suivante. Après mûre réflexion, il refusa de s’engager dans la campagne électorale et s’en expliqua à la télévision lors de l’émission d’Anne Sinclair, «7 sur7», le 11 décembre 1994 en commentant : «Les déceptions de demain seraient pires que les regrets d’aujourd'hui» (p.22).

Il revient aujourd’hui sur les raisons de son choix, en présentant les grandes lignes de sa carrière dans des entretiens accordés à Jean-Louis Arnaud, écrivain et journaliste. Ces Mémoires s’ouvrent sur trois citations, dont la dernière - «le monde est divisé en deux : ceux qui veulent être quelqu’un et ceux qui veulent réaliser quelque chose.» (Dwight Morrow) -, fut souvent reprise par Jean Monnet ; une façon de placer ces propos sous le patronage de l’un des pères fondateurs de l’Europe.

Le livre débute avec une biographie à grands traits de Delors par J-L Arnaud : Ce Parisien (né en juillet 1925), est le fils unique d’un père employé à la Banque de France et d’une mère qui a renoncé à son travail pour l’élever, choix que fera plus tard l’épouse de J. Delors. Sa jeunesse est sans histoire, marquée par l’engagement à la JOC et le militantisme chrétien. La guerre survient ; il entreprend alors des études de droit à la faculté de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand. Un retour précoce à Paris pour éviter le STO le conduit à interrompre ses études. Au lendemain de la guerre s'ouvre la vie adulte : l’entrée à la Banque de France, sur les traces de son père, le mariage, deux enfants. Le militantisme tient une part importante dans sa vie, l’engagement dans les groupes catholiques (la Vie Nouvelle) et la volonté de participer à la rénovation de la démocratie ; après un bref passage décevant au MRP, puis à diverses petites formations (Jeune République, Front républicain), il décide de participer à l'expérience du club Citoyen 60, préférée à l'inscription dans des partis alors affaiblis et peu convaincants. Il y affine les principes qu’il défendra par la suite : le rôle de l’Etat dans la vie économique, la solidarité nécessaire des différents groupes de la société (producteurs, chefs d’entreprise, salariés…) pour assurer l’expansion économique, la stabilité monétaire, l’indépendance extérieure. En fait, c’est dans le milieu syndical qu’il est le plus à l’aise : à la CFTC, devenue en 1964 la CFDT, Confédération française et démocratique du travail, lorsque ce syndicat chrétien fait le choix de la déconfessionnalisation.

Ces quelques pages dressent le portrait d’un chrétien convaincu, homme de devoir, qui est aussi un homme de sa génération, celle des années trente, marquée par le Front Populaire, la Seconde Guerre mondiale et les espoirs de la Libération, la confiance placée en l’Etat et la haute définition du rôle des hommes qui le servent, ceux qu’on appelle alors non pas des «technocrates» mais les «grands commis de l’Etat». Autres temps, autres mœurs, autres figures…

Austère (de ce point de vue, il y parfait adéquation entre la maquette du livre et l’idée que l’on se fait de l’auteur !), Jacques Delors apparaît comme atypique dans la classe politique française du second XXe siècle. Atypique, il l’est par sa décision de renoncer à l’ambition du plus haut poste politique national, alors même que les sondages le donnaient gagnant (mais on salue le caractère qui le mène à préférer l'analyse raisonnable à l’enthousiasme d’un moment). Atypique, il l’est aussi par son parcours qui l’a conduit d’un militantisme syndical au sein de la Banque de France, marqué tout à la fois par l’inspiration chrétienne de gauche et la confiance en Pierre Mendès-France, aux travaux du Commissariat général au Plan (1962). L’étape décisive, celle de la rencontre avec le pouvoir vient ensuite lorsque Jacques Chaban-Delmas le choisit comme conseiller aux Affaires sociales dans son cabinet , pour réaliser le projet de «Nouvelle société». D’un gouvernement de droite, il évolue tout naturellement vers la rencontre avec un PS renouvelé (1974). En 1981, François Mitterrand le nomme ministre de l’Economie et des finances, poste qu’il occupe jusqu’en 1984 avant d’être nommé en juillet 1984 président de la Commission européenne à Bruxelles. C’est dans ce dernier poste qu’il donne toute sa dimension.

Le plan de l’ouvrage est chronologique, avec des titres simples et explicites (les années d’apprentissage, les belles années du Plan, l’aventure de la Nouvelle société…), Plus de la moitié des entretiens (pp.171-430) sont consacrés au parcours européen. Des photos personnelles illustrent le propos dans un encart central. L’amateur d’anecdotes croustillantes, de révélations ou même d’éclairages neufs sera sans aucun doute déçu. À aucun moment, Jacques Delors (ni son interlocuteur) ne cède au sensationnel ; on ne saura rien des tensions au sein des équipes gouvernementales, ni chez J. Chaban-Delmas, ni en 1981-84 ; rien sur les désaccords qui l’opposent à ses adversaires. Lorsque les aléas de la politique le renvoient à l’Université (dont il sortira grâce à l’élection comme député européen), Jacques Delors insiste encore sur l’aspect enrichissant de l’expérience.

Les aspects les plus intéressants portent sur sa présentation européenne. Il rappelle de façon didactique (mais non inutile) le fonctionnement des institutions européennes, les grands enjeux, en particulier la question monétaire et le dossier de la politique sociale. Ses dix années de présidence sont marquées par une indéniable relance européenne, dont il attribue une partie du mérite à François Mitterrand (p.180 : François Mitterrand débloque l’Europe). Pour lui l’alternative est simple : la survie ou le déclin, et il mettra tout son art à assurer la survie européenne, consolidée par l’Acte unique. Les grandes options de sa politique se résument dans ce que l’on a appelé le «paquet Delors» : donner à l’Europe des ressources budgétaires renforcées, réformer la politique agricole, fonder la cohésion économique et sociale inscrite dans l’Acte unique, aider au développement régional et à l’harmonisation européenne dans ce domaine, contraindre les participants à respecter la discipline budgétaire. Sur ces différents points, les sujets d’affrontement ne manquent pas, en particulier avec l'Angleterre. Joue aussi, au fil des années, la divergence croissante des idéologies au pouvoir dans les différents pays européens. Au passage sont esquissées les principales silhouettes des dirigeants européens : Helmut Kohl, Margaret Thatcher, etc.

Tout un paysage européen est ainsi esquissé par petites touches : celui des commissions, des entrevues, des horizons de l'élargissement, de la politique extérieure, du dossier social auquel Jacques Delors est particulièrement attaché, poursuivant sur le terrain une politique et des engagements auxquels il croit depuis sa jeunesse. Se dessinent aussi de fortes ambitions : pour la France qui doit trouver dans le champ européen un relais à son universalisme, pour l'Europe. Jacques Delors rêve d'une "Europe des citoyens" dont, à la fois, il note les progrès et déplore les lenteurs. A cette Europe neuve, il propose "trois ambitions raisonnables, […] un espace de paix active, un cadre pour un développement durable, et enfin un espace de valeurs vécues dans la diversité de nos cultures et de nos traditions" (p.461).

L'ouvrage répond certes aux lois du genre : c’est un plaidoyer pro domo. Cependant, il s'en écarte aussi par la volonté affichée de son auteur d'apparaître le moins possible au premier plan, et la citation qu'il donne d'Apollinaire pour exprimer ses sentiments lors de son départ en janvier 1995 est très éclairante :

"Un jour, je m'attendais moi-même…
pour que je sache enfin celui-la que je suis..
et d'un lyrique pas s'avançaient ceux que j'aime
parmi lesquels je n'étais pas.."
(Cortège, cit.p.434)


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 02/04/2004 )
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