|
Essais & documents -> People / Spectacles |
| Robert Bresson Bresson par Bresson : Entretiens (1943-1983) Flammarion - Ecrire l'art 2013 / 23 € - 150.65 ffr. / 338 pages ISBN : 978-2-08-129858-3 FORMAT : 15,2 cm × 23,5 cm
Entretiens rassemblés par Mylène Bresson Imprimer
Robert Bresson n'était pas un mondain et encore moins un habitué des médias. Ce réalisateur français, considéré comme austère et janséniste, est l'auteur de films particuliers comme Un condamné à mort sest échappé (1956), Pickpocket (1959), Au hasard Balthazar (1966), Mouchette (1967), Une femme douce (1969) ou LArgent (1983). Il est aussi lauteur dun petit livre, Notes sur le cinématographe (Folio) sur sa «méthode» singulière de réalisation.
Il distingue dailleurs le cinéma (théâtre photographié) du cinématographe par lequel il cherche le vrai en «mécanisant» ses «comédiens» (plutôt des modèles ; il utilisait des non-professionnels), et cest précisément là que surgit lémotion. A première vue, cette méthode déconcerte le spectateur qui a lhabitude dune naturalité du jeu dacteur. Robert Bresson faisait répéter ces «modèles» des dizaines de fois pour les déshabituer au contraire de toute naturalité. Comme il le dit lui-même, il ne cherche pas ce que les acteurs peuvent lui montrer mais ce quils cachent.
De plus, le cinéaste opte pour le hors-champ, le son, histoire de capter par limaginaire ce que limage ne peut montrer. «La grande difficulté, cest que tout art est abstrait et en même temps suggestif. Il ne faut pas tout montrer. Quand on montre tout, il ny a pas dart. Lart va avec la suggestion. La grande difficulté dans ce cinématographe, cest justement de ne pas montrer. Lidéal serait de rien montrer du tout, mais ce nest pas possible. Il faut donc montrer les choses sous un angle, un seul angle qui évoque tous les autres angles, mais ne pas montrer tous les autres. Il faut peu à peu laisser le spectateur deviner, espérer, deviner, et le tenir tout le temps dans une espèce dattente
Il faut garder le mystère. Nous vivons dans le mystère» (p.196). Précisément, linverse de la majorité des films daujourdhui qui exposent tout dans une obscénité intégrale.
Ce livre dentretiens est donc essentiel pour non seulement découvrir ou redécouvrir ses films mais aussi pour appréhender sa méthode de travail. Bresson dit ainsi : «Je pense que lécart se situe surtout en ceci : le cinéma copie la vie ou la photographie, tandis que moi, je recrée la vie à partir déléments aussi nature, aussi bruts que possible. (
) Ou si vous voulez, cest le système de la poésie. Prendre des éléments aussi écartés que possible dans le monde, et les rapprocher dans un certain ordre qui nest pas lordre habituel, mais votre ordre à vous. Mais ces éléments doivent être bruts. Le cinéma, au contraire, recopie la vie avec des acteurs, et photographie cette copie de la vie. Donc, nous ne sommes absolument pas sur le même terrain» (p.182). Pour Bresson, on ne peut pas copier la vie et il faut arriver à trouver un angle pour parvenir à la vie sans la copier.
Au hasard Balthazar est sans doute le film où le réalisateur a mis le plus de lui-même. Lhistoire d'un âne qui subit tous les péchés des hommes, sans réagir, un film magnifique et bouleversant car Robert Bresson évite tout sentimentalisme ou tout pathos facile. Le film va tellement à lencontre de ce que lon peut attendre dune telle histoire que le spectateur doit se déshabituer de ces réflexes affectifs. Au hasard Balthazar est si «rugueux» que, par réaction, toute la brutalité du monde envers cet âne (qui a quelque chose dhumain) nous apparaît comme insoutenable. C'est dautant plus fort que le cinéaste noffre aucun exutoire ou sentimentalisme pour nous consoler. On en ressort comme écorché vif. Mais derrière cette sécheresse apparente, quelle leçon dhumanité, quelle sensibilité nous livrent les images du film !
Robert Bresson ne procède donc pas comme tout le monde. Son «système» lui appartient en propre. Ceux qui ont tenté de suivre sa démarche se sont enfermés dans une parodie sous prétexte de «recherches» au point de désincarner leurs films. Sans doute cette méthode ne fonctionne-t-elle pas à chaque fois et sans doute aussi Robert Bresson condamne-t-il un peu rapidement les films de cinéma dont certains ne peuvent pas être écartés aussi facilement. On peut aussi dire le vrai en «copiant» la vie.
Il nempêche que Robert Bresson a trouvé une voie si personnelle dans lart cinématographique que son uvre brille d'un éclat tout particulier. Ce nest pas au cinéaste de descendre au niveau du spectateur mais bien aux spectateurs de se hisser selon lexigence du cinéaste, en se débarrassant du mécanisme psychologique et affectif dans lequel ils sont trop confortablement installés pour accéder au vrai par lintermédiaire dune méthode «mécanique» ou non-naturaliste leur permettant de faire jaillir subrepticement lémotion. Robert Bresson est donc unique et ce livre constitue un objet rare pour nous aider à comprendre sa démarche à travers ses films.
Yannick Rolandeau ( Mis en ligne le 11/07/2013 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Coffret Robert Bresson : L’argent de Robert Bresson , Christian Patey , Vincent Risterucci , Caroline Lang Coffret Robert Bresson : Le procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson , Florence Delay , Jean-Claude Fourneau , Roger Honorat , Marc Jacquier Coffret Robert Bresson : Pickpocket de Robert Bresson , Martin La Salle , Marika Green , Pierre Leymarie | | |
|
|
|
|