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Starlette sulfureuse
Jean-Luc Marret   Pornification
Intervalles 2015 /  19 € - 124.45 ffr. / 216 pages
ISBN : 978-2-36956-022-7
FORMAT : 14,0 cm × 22,5 cm
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«Tu nous voyais des stars mondiales, Karin ? Nous sommes les Richard Burton et Elizabeth Taylor des mauvais films italiens… Nous sommes kitsch… Nous le serons toujours… Nous n’avons tourné que dans de mauvais films… Tu n’es pas une actrice ! Juste une belle fille qui se dénude. Avoir un corps ne suffit pas à faire de toi une artiste… Juste quelqu’un de doué pour faire l’amour… Parfois…» (Paolo Magalotti)

Karin Schubert (née en 1944) est l’archétype tragique de la blonde sulfureuse au potentiel certain, dont le destin cinématographique s’est transformé en mélodrame personnel. Combien a-t-on vu de ces midinettes sorties de la classe moyenne pour gravir les échelons grâce à leurs silhouettes appétissantes et qui se sont vues choir lamentablement parce qu’un sein ne réfléchit pas et que l’homme est un loup pour la femme ?...

Karin est une jolie allemande de l’ouest dont la beauté va très vite constituer le curriculum vitae. D’abord collégienne, puis secrétaire, enfin mannequin sur papier glacé ; les collègues ou les photographes sont au petit soin mais ils veulent surtout «se farcir» la petite assistante qui tranche avec la morosité des bureaux hambourgeois. Jean-Luc Marret insiste sur l’aspect peu reluisant des dragues féroces mais Schubert voit cela comme le moyen d'une progression sociale. A l’instar de son homonyme autrichien, elle compose sa propre symphonie et débarque un jour sur les plateaux de tournage, avec toujours sa sensualité et une exhibition charnelle de plus en plus marquée : on commence par les cuisses, pour montrer un sein et, au final, ne plus refuser les scènes suggestives.

Elle croit en une carrière confortable mais à part trois rôles plus ou moins marquants, dans La Folie des grandeurs (1971), Barbe-bleue (1972, avec Richard Burton) et L’Attentat d’Yves Boisset (1972), les propositions déclinent ; elle est contrainte de trouver en Italie les occasions de tournage. Sa filmographie devient, pendant plus d’une décennie, un grand n’importe quoi où westerns spaghettis, films de genre et de série Z se mêlent, avec toujours, pour marque de fabrique, des rôles de plus en plus dénudés et des scènes clairement érotiques. Jusqu’à ce que sa vie se transforme en cauchemar ; le vrai point de départ symbolique est une relation tarifée avec Mohammad Reza Pahlavi, le Chah d’Iran (!), puis l'entrée dans le monde du cinéma pornographique pour subvenir à ses besoins et à la dépendance de sa fille à la drogue dure. Elle a alors 40 ans, l’âge où, d’habitude, on commence à se rhabiller définitivement.

Le travail à la fois littéraire et culturel de Jean-Luc Marret, qui a pris le parti romanesque de tracer ce portrait tout en contradiction, mérite intérêt et reconnaissance ; un portrait entre éclat et souffrance, grâce et misère, générosité et fric facile. Le style de l’auteur est très virulent, à l’image de ce destin tracassé, tout autant que la construction du récit qui mêle des tonalités différentes (narration, citation, entretien, style emphatique, etc.). Marret ne juge pas son actrice et décrit un monde terrifiant où sévissent la médiocrité socio-culturelle et une certaine violence. Du coup, on le sent véritablement incarné par ce drame banal sur le show-business et ses égéries d’un soir. Même les Marilyn, Jean Seberg et Natalie Wood n’ont pu échapper à ces outrances, en dépit des carrières bien plus accomplies.

Le corps de la femme est une marchandise que l’homme désire et que la femme exploite (et réciproquement). Karin Schubert – dont on nous révèle au final qu’elle fut abusée par son père étant jeune ; un parcours chaotique dès lors typique, où le sexe et la séduction sont les clés de l’échec – se retrouve à 70 ans à traîner cette carrière (pas vraiment honteuse même si la dernière étape est très mal vue par l’auteur) comme un fardeau. Sa filmographie est en quelque sorte le parallèle symbolique et ironique de son existence minée par l'illusion et la déchéance où tous les rêves de gloire se sont effondrés. En soi, la comédienne n’est pas à plaindre ; l’important dans ce récit passionnant, c’est le talent de Marret qui projette le lecteur averti dans l’univers libéral et porno de ces années charnières, quand le mauvais cinéma commercial côtoyait l’érotisme sulfureux, émergeait la vidéo et sourdait un mépris des artistes au nom de l’argent roi. Pornification est le récit de cette starification du pauvre, une destruction de l’humain au nom des idées (soi-disant) libertaires et émancipatrices de 1968.

Schubert, pour gagner sa vie, est donc contrainte (mais jusqu’à quel point l’est-on ?) au milieu des années 80 d’entamer une carrière dans le X. Le Hard. A plus de 40 ans, elle qui ne transigeait pas avec la pudeur, se lance à force zooms dans des orgies filmées et des scènes de sexe tout à fait explicites. Elle gagne même un prix, celui de la «Meilleure performance de l’année femme mûre 1991» (elle aura joué durant près de 10 ans dans un certain nombre de films).

Lucide et désabusée, elle témoigne de son expérience cinématographique, au sens large : «Je pense que j’ai incarné l’époque… La libération sexuelle… L’individualisme au-dessus de tout… Le narcissisme au-dessus de tout… L’érotisme à la portée des brutes !... J’ai cru, on m’a fait croire, que baiser était sans conséquences, juste bien, une affaire d’affirmation personnelle… (…) Les hommes m’ont traitée comme un objet parce que je me suis montrée nue et que j’ai baisé avec tout le monde… De tout cela, il ne reste – à moi – que la souillure… Le sperme… Pas la liberté ! Pas une haute estime de soi !... J’ai été au bout de 1968, moi ! Jusqu’au bout ! (…) Au-delà de la morale, il n’y a rien… Rien que de la sauvagerie, rien que la barbarie».

A 70 ans, usée mais entourée de ses trente chiens, Schubert vit une retraite apparemment paisible. Marret lui rend, dans une langue imagée, violente, et documentée, un hommage sensible et mérité.


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 05/10/2015 )
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