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Portrait d’une profession en crise
Philippe Coulangeon   Les Musiciens interprètes en France - Portrait d'une profession
La Documentation française - Questions de culture 2004 /  25 € - 163.75 ffr. / 350 pages
ISBN : 2-11-094278-9
FORMAT : 16x24 cm
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Rédigé au cœur de la crise des intermittents, Les Musiciens interprètes en France de Philippe Coulangeon - publié par le département des études et de la prospective du Ministère de la Culture - vise à dresser le portrait sociologique d’une profession polymorphe et ayant connu des mutations de grande ampleur dans les dernières années. C’est donc un ouvrage clairement dicté par l’actualité, mais qui n’en constitue pas moins un éclairage inédit sur une profession très méconnue et peu étudiée dans toute sa diversité. Sociologue, Philippe Coulangeon aborde son étude à travers deux outils : une analyse des tendances de la profession (à partir des données statistiques fournies par la Caisse des Congés Spectacles), et une approche plus qualitative, basée sur une série d’interviews individuelles menées avec des personnes choisies pour la variété de leur profil.

L’analyse se construit dans un premier temps sur les dichotomies qui déchirent cette profession : musiques savantes / musiques populaires, permanents / intermittents, exclusivité du répertoire / polyvalence, etc. Très peu d’études se penchent par exemple à la fois sur les musiciens classiques et sur ceux qui abordent d’autres répertoires. Mais plutôt que d’admettre que ce type de différences peut porter entrave à une analyse globale de la profession, Philippe Coulangeon les utilise pour faire ressortir les caractéristiques de chacun de ces groupes professionnels. De plus, le fait de se pencher successivement sur ces oppositions permet de dégager des caractères communs à des situations en apparence irréconciliables : c’est ainsi qu’on peut comprendre qu’un «baroqueux» peut être soumis aux mêmes nécessités de polyvalence et de flexibilité qu’un jazzman, même si leur engagement, leur temps de répétition ou encore les rapports qu’ils entretiennent avec leurs collègues sont en totale opposition.

Présentées dès le premier chapitre de l’ouvrage, ces divisions fondamentales traversent toutes les questions abordées : la formation initiale, l’héritage sociologique des musiciens («héritiers» ou «rebelles»), l’intégration dans leur univers professionnel, les différents aspects d’une précarité plus ou moins bien assumée et voulue, ou encore les récentes mutations de la profession (notamment liées à la décentralisation culturelle). La dernière partie de l’ouvrage, plus brève, recense quasi-exclusivement les résultats de l’analyse des données des Caisses de Congés Spectacle. Enfin, à noter, une série d’annexes passionnantes présente la méthodologie utilisée pour l’enquête, jusqu’au questionnaire proposé aux musiciens interrogés.

S’appuyant principalement sur les résultats de cette enquête, Philippe Coulangeon n’hésite pas à rappeler et illustrer les conclusions des études de ses confrères, comme celles, remarquables, de Bernard Lehmann sur les musiciens d’orchestre. Forte d’une très grande précision et d’une richesse de données statistiques inédite, l’étude de Philippe Coulangeon, réussit à s’articuler autour de la brûlante question de l’intermittence sans prendre le risque de «dater» trop rapidement dans l’hypothèse où le conflit conduirait à une remise à plat de grande ampleur du système. On notera également, en début d’ouvrage, un encadré récapitulant l’état des débats au moment de la parution de l’ouvrage – restant fort utile à ce jour pour y voir plus clair dans ce conflit à répétitions. L’un des intérêts de cette étude au regard de la crise des intermittents est également de donner la parole à des musiciens «lambda», dans un combat où les syndicats sont naturellement les détenteurs légitimes et quasi-exclusifs du temps de parole. Il est ainsi parfois surprenant d’entendre leur opinion sur le nombre trop important de bénéficiaires de ce système ou sur les dérives que celui-ci a entraîné dans le mode de rémunération que pratiquent certains producteurs de spectacle.

On pourrait se pencher sur les nombreux biais que les méthodes d’analyse choisies par Philippe Coulangeon portent en elles – mais il le fait lui-même au fil des pages ! On pourra néanmoins regretter que les entretiens individuels cités soient souvent réalisés avec les mêmes interlocuteurs, ou que certaines catégories de musiciens y soient surreprésentées (dans l’univers classique, les témoignages des musiciens d’orchestres symphoniques et des enseignants, groupes qui ont tous deux la caractéristique de la permanence, sont ainsi très largement dominants). On pourra enfin, et surtout, déplorer que cet ouvrage ne soit pas paru avant que la crise des intermittents ne se soit ouverte, tant il aurait pu éclairer les politiques sur la façon d’aborder cette épineuse question…


Blandine Malefant
( Mis en ligne le 19/11/2004 )
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