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Confessions d’un cinéphile | | | Michel Jacquet Travelling sur les années noires - L'occupation vue par le cinéma français depuis 1945 Alvik éditions 2004 / 19 € - 124.45 ffr. / 141 pages ISBN : 2-914833-20-2 FORMAT : 12x21 cm
L'auteur du compte rendu : Raphaël Muller, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, est allocataire-moniteur en histoire contemporaine à l'université de Paris I. Imprimer
Voici un bien étrange ouvrage, que viennent de publier les éditions Alvik. Travelling sur les années noires nest pas un livre dhistoire, à savoir une tentative patiente et méthodique pour conceptualiser, dans leur complexité, les rapports entretenus par le champ cinématographique, dans son ensemble, avec la France de lOccupation. Il sagit plutôt dun récit, et plus précisément dun emboîtement de récits.
Récits innombrables tout dabord : Michel Jaquet prend en effet le parti de nous raconter tel est bien le mot juste - les films qui lui plaisent, qui le touchent. Dune à deux pages chacun, ces propos sassemblent pour composer un autre récit, plus ample, celui de soixante années de fascination cinématographique pour cette période troublée de lhistoire de France. Sur le mode anecdotique (le premier chapitre sintitule «Mes dimanches soir avec Bourvil»), lauteur décrit et raconte plus quil nanalyse, faisant la part belle aux jugements de valeur. Le Corbeau est de la sorte un «film génial inspiré dun fait divers réel», le «happy-end» du Retour de Louis est «plus ou moins convainquant», et Le Caporal épinglé, un «superbe roman de Jacques Perret». Lauteur en profite pour régler au passage quelques comptes personnels, pourtant bien éloignés du propos. Il est ainsi question de «la tontonmania plus ou moins spontanée qui commençait à sévir chez les jeunes», dans les années 80
Certaines formulations posent vraiment problème : lorsquil évoque le personnage joué par Gérard Jugnot («acteur assez «cru», issu du café-théâtre et voué aux personnages de français «très moyens» - râleurs impénitents et éternels insatisfaits») dans Monsieur Batignole, Michel Jacquet note qu«un certain nombre de péripéties montrent alors de quoi peut être capable un type des plus ordinaires, commerçant sans relief particulier, lorsquil choisit de mener un juste combat». Or un film ne montre rien et ne peut surtout pas servir de clé explicative pour comprendre la sinuosité des chemins de lengagement ou du non-engagement entre 1940 et 1944.
En revanche, il peut savérer passionnant de tenter de comprendre pourquoi une société donnée, à un moment précis, représente sa propre histoire de telle ou telle manière, et surtout tenter de comprendre pourquoi cette représentation du passé évolue. Cette problématique, brillamment traitée par Sylvie Lindeperg dans Les Ecrans de lombre ou par Henry Rousso dans Le Syndrome de Vichy, est bien entendu présente dans louvrage de Michel Jacquet, elle affleure de temps à autre, mais demeure le plus souvent implicite, recouverte par le flot anecdotique du récit.
Il ne sagit en aucun cas de reprocher à lauteur de ne pas sêtre attelé à lexamen de cette problématique. Dailleurs, il faut lui savoir gré de délimiter très précisément le cadre de son propos : «on aura bien compris que cest ladmiration qui a guidé cette balade sur pellicule, avant toute autre considération. Il ne pouvait donc être question, sous prétexte dobjectivité, de se livrer à un nivellement qui put être perçu comme une profanation des «objets du culte»». On a bien compris, effectivement, quil sagit des confessions dun cinéphile qui ne cherche pas à faire uvre dhistorien, mais pourquoi avoir attendu la conclusion pour préciser la nature du projet, qui aurait gagné à être défini dès les premières lignes ?
Confessions donc dun cinéphile qui nhésite pas à avouer sa «vénération» pour Le Vieil homme et lenfant et qui, comme dans une cérémonie de remise de prix, prend le soin de préciser, à la toute fin de louvrage : «Nous saluerons donc les acteurs avec tous les égards qui leur sont dus, puisque cest à eux que saccrochent le plus solidement nos représentations personnelles. Plus encore quà des scènes, cest à des visages quest arrimée la conscience que nous avons de certaines époques. Les acteurs sont les intermédiaires vivants dune réalité recomposée qui leur doit sa crédibilité et son pouvoir émotionnel. Grâce à eux, le cinéma a recréé lHistoire dune façon beaucoup plus convaincante que ne le feront jamais les manuels scolaires». Les acteurs apprécieront sans doute le compliment, mais précisons tout de même que le projet des historiens nest pas de recréer lhistoire.
Travelling sur les années noires est en fait un bon guide pratique pour celui qui voudrait regarder un film sur la France de cette épouqe troublée ou de limmédiat après-guerre, et qui ne saurait lequel choisir. Dommage toutefois que lauteur ait pris le parti de raconter également le dénouement des films quil évoque
Raphaël Muller ( Mis en ligne le 07/11/2004 ) Imprimer
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