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Divers, plastique, indémodable | | | Suzanne Liandrat-Guigues Jean-Louis Leutrat Splendeur du western Rouge Profond - Raccords 2007 / 32 € - 209.6 ffr. / 235 pages ISBN : 978-2-915083-28-6 FORMAT : 21,5cm x 26,0cm
L'auteur du compte rendu : Professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes, Sylvain Roux est l'auteur, chez LHarmattan, de La Quête de laltérité dans luvre cinématographique dIngmar Bergman Le cinéma entre immanence et transcendance (2001). Imprimer
Le western ? Un genre cinématographique mort il y a plus de trente ans. Les westerns ? Des productions états-uniennes formatées et ultra codifiées offrant une vision mythique de lOuest américain et mises au service dune idéologie manichéenne très contestable. Dès lors, pourquoi revenir aujourdhui sur ce moment apparemment révolu et secondaire de lhistoire du cinéma ?
Précisément parce que trop nombreuses, et particulièrement en France, sont les idées reçues sur un genre en réalité toujours vivant et dont certaines créations du passé et du présent constituent de véritables chefs-duvre. Dune part, le thème de sa propre disparition, de sa mise à mort permanente a, depuis longtemps, assuré au western sa survie. Si le nombre de films sest bien raréfié, on réalise toujours des westerns pour le cinéma ou la télévision (Into the West). Dautre part, cette raréfaction sest accompagnée dune richesse stylistique et idéologique qui donne lieu à des réalisations aussi captivantes que variées (Dead Man, The Jack Bull, Lonesome Dove, Open Range). Or, à lexception de quelques films qui ont rencontré le succès auprès du grand public, le western souffre sinon dun étrange discrédit, du moins dune indifférence dont témoigne labsence douvrages, en France, sur le sujet depuis plus de vingt ans. Il devenait urgent de révéler cet indéniable éclat dun genre plus complexe dans sa vision et plus ouvert dans son expression quil ny paraît.
Dans leur remarquable essai, Splendeur du western, Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat tentent brillamment de réparer cette injustice alimentée par une foule de préjugés. Porté par une impressionnante érudition et jalonné de références à la critique américaine peu connues en France, louvrage a limmense mérite déchapper à la littérature réservée aussi bien aux seuls spécialistes en études cinématographiques quaux cinéphiles amateurs de westerns. Lanalyse est aussi passionnante que savante parce quelle renvoie à un amour du cinéma qui affleure à chaque page. Le parcours soffre comme une «promenade réflexive une flânerie esthétique où les films réalisés pour le cinéma sont prioritaires, mais où ne sont pas ignorées les séries télévisées (
) ou les téléfilms» (p.11).
Comme lindique le titre, il sagit avant tout de souligner la grandeur dun genre et de faire partager un enthousiasme pour des créations dont la richesse formelle et thématique reste trop souvent insoupçonnée. Pour ce faire, récusant tout dogmatisme théorique et toute réduction idéologique, les auteurs se proposent de mettre en évidence les traits dominants et les caractéristiques moins visibles du western en sappuyant toujours sur la considération des films singuliers. Ainsi, la démarche consiste à éclairer le fonctionnement du genre à partir des uvres considérées dabord en et pour elles-mêmes, et non à forcer ces dernières à rentrer dans un cadre général prédéfini. Le corpus choisi, tributaire dune approche ressortissant de lexercice dadmiration, est le western nord-américain, mais les essayistes refusent détablir des «lignes de démarcation strictes quant à lappartenance nationale des films» (p.10).
Cette exploration à la fois libre (rien de systématique dans cette promenade) et complète (aucun coin du territoire westernien nest négligé) sorganise autour de trois grands axes précédés dun «A propos» essentiel consacré à la problématique de lapproche du genre.
Avant de pénétrer dans lunivers du western, Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat sinterrogent en effet sur la définition du genre. Caractérisé par son ouverture, sa perméabilité et sa réceptivité à toutes les formes dhybridation, ce dernier nest pas susceptible dune «définition stable» (p.14). Si le mot «western» renvoie à lun des points cardinaux et à une région des États-Unis, tous les films dont laction se déroule dans lOuest ne sont pas des westerns (Le Rôdeur, 1951) et tous les westerns ne se déroulent pas dans lOuest (Hidalgo, 2004). Les déterminations fondées sur lHistoire (période sétendant entre 1850 et 1890) et celles qui se réfèrent à la géographie (lOuest réel ou mythique des États-Unis) ne résistent pas à lexamen et à la contradiction des contre-exemples. Partant des films et de leur incroyable diversité, les auteurs sattachent ainsi à montrer la fragilité des définitions trop rigides et figées.
De la même façon, ils mettent au jour les limites des approches trop dogmatiques proposées par les grands courants de pensée : la nouvelle critique, le structuralisme, les gender studies, la psychanalyse, lanthropologie, la sociologie, etc., réduisent, chaque discipline à sa manière, les films au reflet dune idéologie, dune société, dune civilisation. Pour éviter ces réductions, il convient de «renoncer à définir une essence du genre» (p.21) afin de rendre compte de «scansions qui dans le temps ont marqué de leur pulsation lhistoire du genre» (p.22). Puisque ce sont les films qui font les genres, et non linverse, la splendeur du western renvoie, en dernière analyse, à la beauté des uvres particulières.
La première section de lessai, «The Times They Are A-Changin» titre emprunté à Bob Dylan et leitmotiv dans nombre de westerns , est la moins inattendue, même si les découvertes ne sont pas moins nombreuses que les remises en questions. Les essayistes reviennent dabord sur lorigine et les histoires du genre. Ils sefforcent ensuite de dévoiler les innombrables alliances que noue sans cesse le western et qui, contrairement à limage de productions sclérosées quil véhicule, innervent son exceptionnelle ouverture et sa réelle fécondité esthétique. Sont étudiées, dune part, les alliances avec dautres expressions artistiques, comme la littérature, la peinture et, plus particulièrement, la musique. Dautre part, sont développées les hybridations avec différents registres, comme le merveilleux, le fameux «crépusculaire», le comique (parodique). Il ressort de cette enquête que les films présentent une diversité formelle et thématique souvent méconnues et que le genre doit sa pérennité à son extraordinaire plasticité.
La deuxième section, «Totems», se veut pleinement fidèle au principe méthodologique explicité dans l«A propos» : seule lattention à la singularité des uvres permet non seulement de découvrir les déterminations génériques, mais surtout de les envisager pour elles-mêmes comme lexpression dune vision unique du monde. Dans cette perspective, Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat centrent leur exégèse très précise sur deux chefs-duvre : La Rivière rouge (1948) dHoward Hawks et La Prisonnière du désert (1955) de John Ford. Si ce dernier film est à juste titre célèbre, le western dHawks est, en revanche, beaucoup moins connu (et malheureusement toujours pas édité en DVD pour la zone 2). Ces deux études, placées au centre de louvrage, démontrent aussi bien la grandeur et linépuisable richesse de certains westerns désormais classiques chefs-duvre au même titre que les grandes créations des autres genres que la nécessité denvisager le genre à partir des films qui lont modifié et lont fait évoluer.
La dernière section, «Trumbleweeds» du nom du chardon sauvage, symbole du cowboy , se veut encore plus libre, mais non moins rigoureuse que les précédentes, et sapparente à une déambulation à travers plusieurs films (notamment Grand Frère, Quarante Tueurs, Open Range, Le Nouveau Monde, John McCabe, Into The West), un questionnement sur des motifs et des figures (piste suivie par deux hommes, par exemple) du western passé et contemporain. Ce parcours en apparence désordonné répond au caractère obsessionnel du genre qui «progresse à la manière du ressac : apparemment toujours semblable à lui-même et, de fait, jamais le même» (p.216). Lévocation dune uvre renvoie indéfiniment à dautres sur le mode dune rêverie vagabonde : cest en se laissant porter par une modulation perpétuellement variable que lon peut re(découvrir) une composante essentielle de lhistoire du cinéma.
Plus fondamentalement encore, la belle réussite de lessai consiste à nous persuader que ce voyage dans le temps et lespace dun genre, dont la splendeur nous est a priori étrangère, nest pas une évasion hors de soi, mais une plongée au plus intime de nous-mêmes. Avec les auteurs, nous pouvons affirmer au terme du périple : «ce monde étranger flotte en nous, ce lointain est ce qui nous est le plus proche» (p.218).
Ainsi, Splendeur du western vient enfin combler un étonnant vide critique. Éloigné de toute perspective systématique, lessai constitue une superbe synthèse sur un genre cinématographique trop souvent déconsidéré : léclairage original proposé par Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat (sans doute le meilleur spécialiste du western en France) nous convie, au-delà des préjugés, à ouvrir notre regard sur des chefs-duvre qui parlent de notre être-au-monde. Mais si lon sen tenait à saluer son texte admirable, on naurait pas pleinement rendu justice à louvrage édité par Rouge Profond dans la collection Raccords : litinéraire est autant visuel que textuel, et les quelques six-cents (!) magnifiques photographies qui accompagnent la lecture redonnent vie à de nombreux films. Une double flânerie dont le plaisir esthétique nexclut pas la confrontation aux interrogations les plus profondes sur la condition humaine.
Sylvain Roux ( Mis en ligne le 06/02/2008 ) Imprimer
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