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Humaine révolte
Bertrand Vergely   Le Silence de Dieu - Face aux malheurs du monde
Presses de la Renaissance 2006 /  21 € - 137.55 ffr. / 283 pages
ISBN : 2-7509-0131-6
FORMAT : 14,0cm x 22,5cm

L'auteur du compte rendu : Professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes, Sylvain Roux est l'auteur, chez L’Harmattan, de La Quête de l’altérité dans l’œuvre cinématographique d’Ingmar Bergman – Le cinéma entre immanence et transcendance (2001).
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«Si Dieu existe, comment peut-il tolérer la souffrance des enfants ainsi que celle des innocents ?». Ce cri d’Ivan Karamazov, le héros de Dostoïevski, déchire la conscience tourmentée de l’homme moderne. Lorsque le mal se présente comme un scandale absolu qui ne peut plus être rédimé, la foi en un créateur infiniment bon se trouve profondément ébranlée. Dès lors, dans un monde qui ne cesse de proclamer la «mort de Dieu», la révolte et le désespoir sont-ils les réponses ultimes face à l’injustifiable ?

Dans son nouvel essai, Le Silence de Dieu face aux malheurs du monde, Bertrand Vergely se propose d’affronter à nouveaux frais cette question essentielle du mal et de Dieu. Sa réflexion entend relever le défi de la modernité qui, devant l’excès du mal, tend à prendre le visage de l’incessant reflux général du sens. Car si l’interrogation est d’origine théologique – Comment concilier la bonté et la toute-puissance divines avec la souffrance de l’innocent et du juste ? –, l’intensité de sa brûlure, alimentée par des injustices toujours plus inacceptables, n’en continue pas moins de consumer toutes nos illusions. C’est pourquoi, s’il reste possible de dépasser le désespoir et le nihilisme, en envisageant autrement le silence de Dieu, il convient d’abord de reconnaître la réalité irréductible du mal, c’est-à-dire de faire droit au cri proprement moderne du révolté.

La première partie de l’ouvrage – «Les limites de la sagesse» – s’efforce de révéler le mal comme un scandale absolu qui exclut toute justification possible. Cette reconnaissance de la souffrance dans son irréductibilité, qui en fait un irrationnel existentiel, suppose un refus radical, porté par une révolte légitime, des systèmes philosophiques et théologiques qui ont tenté de justifier le mal, d’en supprimer la profondeur et donc de «tricher» avec la réalité, en cherchant à innocenter Dieu et à culpabiliser l’homme. Ainsi, l’impassibilité du sage antique qui s’évertue à épouser les desseins de la Providence, constitue une forme de résignation qui, au nom d’une indifférence supérieure, permet à la violence de se déployer. De même, les théodicées, qui entendent innocenter Dieu de l’accusation d’être responsable de la douleur du monde, désubstantialisent le mal en en faisant un simple instrument du bien : par là-même, elles rendent admissibles toutes les souffrances. Enfin, le rationalisme optimiste du philosophe débouche sur un relativisme qui engloutit le bien autant que le mal. Mais l’être sensible qui souffre sans raison dans son corps et son âme, à l’encontre de toutes les (im)postures intellectuelles, manifeste, dans sa révolte contre le fait de ne pas se révolter, qu’il y a de l’injustifiable. Dans cette perspective, le cri du révolté qui succède à la logorrhée des penseurs offre-t-il une véritable alternative ?

La deuxième section – «Les limites de la révolte» – montre brillamment comment la révolte, salutaire dans son pouvoir de révélation de l’inacceptable, est en même temps porteuse d’un message destructeur : non contente de refuser la religion de culpabilité, elle conduit à rejeter toute foi et à nier la vie. Le paradoxe de la révolte consiste en ce que le refus de la violence finit par produire «une violence plus grande encore que la violence passée» (p.10), si bien que le révolté se résigne finalement à celle-ci. Dans le sillage du Camus de L’Homme révolté, l’auteur s’efforce de manifester les inconséquences et les dangers d’une révolte conçue comme fin en soi : en mettant l’homme à la place de Dieu, l’athéisme, porté par le ressentiment, fait passer «de la servitude à la tyrannie de l’homme» (p.71), et le déchaînement de la violence contre l’innocent ne peut que redoubler. Dans cette perspective, Bertrand Vergely développe une critique sans concession – mais hélas ! ô combien pertinente – de la démocratie contemporaine : le processus démocratique, dans son refus de la transcendance, désacralise tout et tend à «ériger la rancœur en principe métaphysique en confondant la colère d’un consommateur irrité avec la pensée d’un penseur» (p.76). La révolte contre Dieu appelle l’avènement d’un monde où l’homme tout-puissant se permet tout, «sans plus aucun respect de rien» (p.78), et «la terreur est inscrite dans la logique de l’athéisme» (p.113) en ce sens que «tuer Dieu (…) légitime que l’on tue l’homme» (p.120).

La partie suivante – «Les limites du désespoir» – approfondit la réfutation de l’athéisme destructeur, désormais d’origine morale et non plus scientifique, et tente d’indiquer la voie à suivre pour surmonter la prétendue fatalité du nihilisme. Tout en rendant hommage au «désespoir actif» (p.125) de Camus, l’auteur s’attache à en dévoiler les limites : la conscience vivante qui prétend donner du sens à l’existence tout en refusant Dieu n’offre qu’une solution «intellectuelle» et «esthétique» (p.137) à la question de la souffrance. La mise au jour de la «misère de l’athéologie» (p.141), qui se sert de façon idéologique de la douleur du monde comme preuve de l’inexistence de Dieu, s’accompagne d’une mise en question de la «frénésie humanitaire» (p.160), ainsi que de la dénonciation de la trahison des Droits de l’Homme «devenus les Droits de l’égoïsme contre l’Homme» (p.170).

Mais comment, dès lors, envisager le problème du mal sans céder au désespoir ? Bertrand Vergely avance une réponse qui peut de prime abord déconcerter par sa modestie : il s’agit de vivre malgré la souffrance, sans vouloir la justifier ni perdre tout espoir, et c’est en refusant d’identifier la vie et la douleur qu’il devient possible de faire reculer les malheurs du monde. Cette attitude, qui implique de se tenir dans la vie avec foi, est plus difficile qu’il n’y paraît et ne se satisfait pas de la seule assistance humaine. Elle suppose, contre la religion du Dieu extérieur et contre l’individualisme nihiliste prisonnier de la violence de l’ego, d’avoir foi en sa propre profondeur intime, en son «Je Suis», d’être à l’écoute du Dieu intérieur, source de toute vie. Etty Hillesum, jeune femme juive morte à Auschwitz en 1943, qui a confié dans son bouleversant journal son amour de la vie, incarne cette foi exceptionnelle en l’humanité, en dépit des pires horreurs commises par des hommes.

La dernière section – «Les logiques invisibles» – explore cette voie aujourd’hui si peu empruntée de la réconciliation de l’homme avec la vie et, donc, avec Dieu. Cette ouverture au monde, qui est avant tout une ouverture à soi-même, passe par la reconnaissance des «limites» (p.236) de l’homme : le moi libre est celui qui, libéré de son pouvoir grâce à sa confiance en la vie, retrouve l’innocence de l’enfant. La conscience et l’acceptation des limites – l’homme n’est pas tout – renvoient le sujet à lui-même et lui montrent que la vie ne «se trouve pas dans le monde que l’on a en face de soi et que l’on n’est pas, mais en soi dans l’homme que l’on est malgré le monde que l’on n’a pas» (p.244). C’est dans la profondeur infinie de son intériorité que chacun peut vivre la réalité de l’action divine : Dieu n’est ni silencieux ni absent, mais il agit par l’être en s’identifiant à la vie la plus intime de l’humanité. L’au-delà du désespoir repose sur une conversion : celle qui fait quitter la posture stérile de celui qui se demande passivement ce que Dieu fait face au mal, pour tourner l’homme vers l’action vivante qui fait apparaître Dieu comme une évidence dans ce faire même. La raison et son bavardage ne peuvent rien contre le mal ; seule la douceur, incarnée par le Christ mort sur la croix, répond aux malheurs du monde et révèle Dieu comme «un élan de vie vers la vie avant tout sens» (p.261).

Le Silence de Dieu face aux malheurs du monde constitue un essai iconoclaste adressé à une époque, la nôtre, qui a arbitrairement décrété que «Dieu est politiquement incorrect». Non seulement l’auteur renvoie dos à dos les avocats fanatiques de Dieu et ses détracteurs nihilistes dont les impostures alimentent la violence, mais il met en lumière les travers de notre démocratie : nous vivons à l’ère de «l’avènement de l’individu contre l’Homme, de la Démocratie contre la République, de l’homme sans référence, sans religion de Dieu ou de l’Homme» (p.210). En ce sens, son appel à une «révolution intérieure» (p.234), à vivre le mourir, comme son invitation à passer de la logique de l’avoir à l’ordre de l’être ont de quoi irriter beaucoup de contemporains qui, fuyant leur intériorité, préfèrent se réaliser, ou plutôt se perdre, dans la «culture du narcissisme» (Christopher Lasch). Cependant, le propre de la pensée, toujours intempestive, n’est-il pas de bousculer les certitudes conceptuelles ou existentielles afin que (re)naisse le sentiment philosophique par excellence, à savoir l’étonnement devant ce qui est hors de nous, mais aussi en nous ? Les tentatives de dépassement du nihilisme ne sont pas légion : il convient de saluer le geste audacieux de Bertrand Vergely.


Sylvain Roux
( Mis en ligne le 07/03/2006 )
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