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Aux sources de la laïcité
Eric Dubreucq   Une éducation républicaine - Marion, Buisson, Durkheim
Vrin - Philosophie de l'éducation 2004 /  26 € - 170.3 ffr. / 236 pages
ISBN : 2-7116-1643-6
FORMAT : 14x22 cm

L'auteur du compte rendu : Laurent Fedi, ancien normalien, agrégé de philosophie et docteur de la Sorbonne, est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la philosophie française du XIXe siècle, parmi lesquels Le problème de la connaissance dans la philosophie de Charles Renouvier (L'Harmattan, 1998)ou Comte (Les Belles Lettres, 2000).

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Depuis quelques années, on observe un intérêt croissant pour la question des fondements et des sources philosophiques de la laïcité. Les travaux de P. Cabanel, Y. Déloye, P. Hayat, L. Loeffel ou O. Rudelle ont permis, à un siècle de distance, de mieux cerner les idées mères de l’enseignement républicain, mises en pratique par Ferdinand Buisson, Jules Ferry et les maîtres de la pensée pédagogique de la Troisième République, ceux-ci, plus ou moins connus.

L’ouvrage d’Eric Dubreucq s’inscrit dans ce champ de recherche en abordant dans une approche comparative les théories respectives de Marion, Buisson et Durkheim. Sans doute cette tripartition oblige-t-elle à quelques acrobaties, en raison du déséquilibre entre les doctrines représentées : Marion et Buisson incarnent en effet, globalement, l’option psychologique, rationaliste et individualiste de l’éducation, à laquelle Durkheim est chargé à lui seul de donner la réplique, laquelle sera, comme on sait, sociologique, fondée sur l’exploration d’une psychologie sociale, collective. Mais la chronologie permet à l’auteur d’organiser sa matière autour de l’évolution doctrinale repérable entre les deux éditions du célèbre dictionnaire pédagogique de Buisson, évolution témoignant d’un glissement vers la critique sociologique, qui signale l’apparition d’une génération nouvelle.

Dans les années 1880, à l’époque où la réorganisation du système éducatif impose l’invention de nouveaux principes, les théoriciens de l’éducation rencontrent le problème de l’articulation entre l’aspect descriptif des sciences de l’éducation – naissantes et encore inchoatives - ou de la psychologie de l’enfant, et l’exigence normative - ou du moins prescriptive - de toute éducation. D’une part, la pédagogie est une mise en situation, donc une action, et non pas simplement l’application d’une règle générale à des cas particuliers – vieux problème, qui remonte au moins à Aristote. D’autre part, l’éducation en général vise la transformation de la société et non la reproduction idéologique du donné social – problème classique cher aux «utopistes». Les «théories pratiques» dont parle Durkheim, intermédiaires entre la science et l’art, doivent en principe exercer un pouvoir critique. Ainsi trouve-t-on chez Durkheim une analyse de l’idéologie qui n’a rien à envier à celle des marxistes. L’éducateur doit savoir, s’il est un peu sociologue, que les idées d’humanité, de progrès, de personne, de vérité, sur lesquelles il s’appuie ou qu’il veut inculquer, proviennent d’un devenir collectif, comme Auguste Comte l’avait déjà dit dans des pages que Durkheim n’avait probablement pas oubliées.

Si les auteurs convoqués dans ce livre partagent un même projet «républicain» en matière d’éducation, il est clair qu’ils soutiennent des positions différenciées. Eric Dubreucq les spécifie et les classe comme suit. Au modèle «psycho-éducatif» de Marion, dans lequel les règles de la méthode éducative sont supposées rationnellement déductibles des lois de la psychologie, s’oppose le modèle «socio-critique» de Durkheim, réclamant que les conceptions pédagogiques soient elles-mêmes thématisées et étudiées pour pouvoir accéder au rang d’outils scientifiques. L’«humanisme républicain» de Buisson, qu’on aurait pu rattacher avec profit à la nébuleuse du protestantisme libéral (bien étudiée par P. Cabanel), relève, quant à lui, d’une «foi laïque» qui remplace le salut de l’âme par l’espoir d’une société plus juste. Les articles et conférences de Buisson, tel que l’auteur les analyse, s’ordonnent autour de cinq motifs typiques de l’enseignement laïque mis en place par Jules Ferry : l’universel (mise au premier plan de la liberté du jugement critique et de l’exercice autonome de la raison), la personne (au-delà des généralités sur la nature humaine, il s’agit d’éduquer des hommes ayant chacun une individualité), la spiritualité (le mouvement intérieur de la conscience équivaut à une religiosité sans dogme), le peuple (l’égalité et la liberté exigent une forme de justice sociale), et l’émancipation par la solidarité (le courant «solidariste» affirme l’interdépendance des individus et la responsabilité de chacun à l’égard de tous). Par delà les nuances, la cohérence du projet est mise en évidence dans un chapitre consacré à la critique des châtiments corporels : on ne pouvait pas éduquer à la démocratie en utilisant des méthodes tyranniques ; Eric Dubreucq nous permet à cette occasion de découvrir un intéressant corpus de réflexions sur l’histoire des pratiques punitives.

La tension entre la doctrine sociologique et la tendance rationaliste et individualiste - en partie héritée du criticisme français parfois appelé aussi «néo-kantisme» -, se résout en définitive chez Durkheim par la distinction de deux figures de l’individualisme. Si Durkheim rejette l’atomisme (suivant en cela Comte qui disait déjà qu’un individu isolé n’est qu’une abstraction), il admet en revanche comme un fait auquel on peut adhérer consciemment, la valorisation moderne de l’individu pris désormais comme une fin à laquelle on tend en libérant les consciences et en favorisant l’exercice de la raison. A ce titre, l’engagement de Durkheim pour les Droits de l’homme concorde avec sa vision de la pédagogie : si une nouvelle religion émerge, tendanciellement, c’est celle de l’homme, religion laïque proche de ce que Kant avait appelé le règne des fins.

Eric Dubreucq, qui enseigne à l’IUFM de Basse-Normandie, saisit l’occasion pour rappeler que la pédagogie individualiste et démocratique actuellement pratiquée est, dans sa réalité duale, quelque peu ambiguë, vu que l’émancipation effrénée du moi «authentique» et singulier (culte de la différence) ne s’accorde pas forcément avec les règles communes et abstraites de la citoyenneté (apologie de l’égalité). Cette simple remarque montre assez l’actualité – on serait tenté de dire l’actualité problématique - de ces théories de l’éducation. Durkheim peut même être rapproché, dit E. Dubreucq en conclusion, des «philosophies du soupçon». C’est ici peut-être que l’auteur va trop loin, car ce qui sépare Durkheim des déconstructeurs d’aujourd’hui, c’est son holisme, qui est certes une méthode, mais aussi une conviction. L’incompatibilité éventuelle de la pédagogie et de la déconstruction serait par ailleurs une piste à suivre, pour approfondir, sinon pour clore, le débat apparemment infini entre les libertaires et les républicains.


Laurent Fedi
( Mis en ligne le 05/09/2004 )
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