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Sauveur du christianisme ou prophète hérétique ?
John-P Dourley   La Maladie du christianisme - L'apport de Jung à la foi
Albin Michel - Bibliothèque jungienne 2004 /  25 € - 163.75 ffr. / 272 pages
ISBN : 2-226-13630-4
FORMAT : 14x22 cm

L'auteur du compte rendu : agrégé d’histoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure. Il a fait des études d’histoire et de philosophie. Après avoir été assistant à l’Institut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à l’histoire des polémiques autour des origines de l’Etat russe.
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L’auteur de ce livre est prêtre catholique et psychologue jungien au Canada. L’influence de Jung est plus forte dans le monde anglo-saxon que dans le monde latin et c’est particulièrement le cas dans le clergé et chez les théologiens. Les causes en sont d’abord historiques et culturelles : les références chrétiennes restent plus présentes dans le monde anglo-saxon où même le féminisme a trouvé chez Jung un défenseur religieusement correct ; il n’a jamais eu en revanche en France les ambassadeurs qu’y a trouvé son aîné et rival. A part le professeur Cahen dans l’après-guerre, Gaston Bachelard est le seul intellectuel d’influence à avoir fait état et usage dans ses œuvres de la pensée et des méthodes de Jung pour étayer sa psychanalyse et sa méthode de critique littéraire.

Si Jung a eu plus de succès dans les clergés (même orthodoxe !), c’est que contrairement à Freud (juif autrichien laïque inspiré des Lumières), fils de pasteur protestant suisse, il n’a jamais renié un attachement profond à sa culture chrétienne et a tenté d’en réactualiser le sens face au «malaise dans la civilisation». D’où la rupture avec le fondateur de la psychanalyse qui vit en lui un moment un possible successeur mais que Jung ne tint jamais pour son maître. Jung en fait ne fut jamais le second de quiconque et vint à Freud avec la curiosité d’un chercheur en quête d’inspiration, d’informations sur le renouvellement méthodologique et théorique de la psychologie, mais reprit assez vite sa liberté pour suivre une tout autre voie, sous les sarcasmes de Freud, horrifié d’avoir pu former un suppôt de l’irrationalisme mystique. Certains textes ambigus de Jung à l’époque du nazisme sur l’importance de l’individu charismatique habité par une foi communautaire salvatrice, sorte de prophète de l’Inconscient collectif, discréditèrent définitivement aux yeux de beaucoup d’intellectuels occidentaux, déjà intrigués par l’intérêt de Jung pour des phénomènes tels que la magie, l’alchimie et la théologie des auteurs mystiques.

Le livre de Dourley (onze chapitres faciles à lire tirés de deux livres canadiens) a déjà l’intérêt de contribuer à dissiper un peu ces simplifications. Sans adhérer au «jungisme», on ne peut refuser à l’étude des phénomènes religieux et mystiques toute valeur pour la connaissance scientifique des représentations conscientes et inconscientes. Que l’alchimie et la magie soient des formes de logique pré-scientifique mais hautement significatives des structures mentales des cultures où elles sont pratiquées (révèlant donc aussi l’origine pré-moderne de la civilisation européenne, le combat dialectique de l’esprit avec lui-même entre des virtualités contradictoires, la connaissance de la nature et celle du salut), et qu’à certains égards ces tendances pré-modernes se manifestent encore dans l’âme moderne et que la psychothérapie puisse tirer profit de cette connaissance, c’est ce qui est désormais trop clair pour être discuté. Toute la question est de déterminer le sens de ce travail généalogique sur les états du psychisme. Pour Jung, la phénoménologie historique et comparée de l’âme religieuse révèle un besoin immémorial de sens, de sacré, besoin consubstantiel à l’humanité. Le religieux est en effet la foi intime, évidente de l’unité du monde et de la place de l’homme dans son économie, le sens d’une solidarité organique ramassée dans l’idée de Dieu, esprit global, «âme du monde» et force unificatrice.

Freud ne voit dans la religion qu’un substitut relativement efficace à la psychothérapie ou au développement psychique sain et une «illusion» à l’avenir incertain, menacée par la connaissance rationnelle. Jung pense cette fonctionalité de la religion comme un élément structurant naturel, indépassable, justifié et sain de l’âme. Dourley ne revient pas sur cette opposition à Freud. Il rappelle en revanche l’inscription de Jung dans une tradition renaissante et romantique de spiritualité incluant la mystique rhénane (Maître Eckhart, Jakob Boehme), la Philosophie romantique de la Nature de Schelling, l’herméneutique également romantique de Schleiermacher, défenseur de l’inspiration par l’Esprit. Par rapport à ces maîtres reconnus, Jung comme Freud se pose (avec coquetterie ?) en théoricien scientifique parce que formé à la méthode inductive et empirique des sciences, et salue dans ces maîtres anciens des précurseurs, plus qu’il ne s’en fait l’interprète moderne ou la caution scientifique. Comme Freud, il voit chez Schopenhauer et Nietzsche des symptômes de l’incompréhension croissante entre les Eglises et l’humanité européenne cultivée, poussée vers le nihilisme.

Le titre de Dourley (en anglais: The Illness that We Are. A Strategy for a Loss of Faith) fait écho à d’autres «constats» du nihilisme de l’occident matérialiste, hyper-rationaliste et névrosé. Le problème relève autant de l’écologie de la globalisation que de la socio-psychothérapie ou de la politique au sens large. Nous avons développé de manière hypertrophiée des aspects de l’esprit et négligé l’inconscient et ses expressions culturelles conscientes. Nous ne comprenons pas l’importance des instances symboliques. La théorie de Jung fait de la religion une expression de besoins réels de sens, passant par des véhicules mythiques et symboliques, dont la durée indique sinon l’éternité d’une structure transcendantale (les «archétypes») de l’âme numineuse (l’en-soi de Kant et l’âme nouménale rejoignent selon Jung l’intuition psychologique des Idées de Platon), du moins des permanences qui restent des conditions de possibilité de la vie humaine, au-delà même de la morale intellectualisée (par-delà le bien et le mal, si l'on veut). Or le paradoxe de notre «rationalisme» tient à l’angoisse qui empêche la civilisation moderne de faire face à son origine profonde pour se réconcilier avec elle, sans prétendre jamais totalement la maîtriser. Cette hybris occidentale moderne est donc la cause de sa propre impuissance, le talon d’Achille de sa supériorité. Jung après les romantiques et comme Heidegger (le dialogue avec Eckhart et le Zen) ou Foucault (les disciplines de l’orient), relativise cette supériorité fondée sur le succès techno-scientifique obtenu au prix d’un aveuglement plus originaire.

On comprend jusque-là l’intérêt de théologiens pour un théoricien moderne qui réhabilite la fonction religieuse et en loue les prestations de services psychiques, avec une tendresse particulière pour le christianisme. Protestant de formation, Jung défend d’ailleurs souvent le catholicisme comme plus adapté aux hommes réels car plus symbolique et liturgique, plus mystérieux et moins cérébral et individualiste que le déisme philosophe libéral issu de la Réforme. Pour les mêmes raisons, il rend hommage à la rupture de la nouvelle orthodoxie protestante de Karl Barth avec la récupération philosophique rationaliste et «démythologisante» (Bultmann) de la Révélation, même s’il dénonce la foi inhumaine du transcendantalisme barthien. Reste à savoir jusqu’où un chrétien peut suivre Jung. Et cela pose la question de la définition même du «christianisme».

Dourley reconnaît que Jung, dans ses livres et avec divers correspondants, entretient un dialogue tendu avec le christianisme. Le psychanalyste lui reproche d’avoir largement contribué à la crise occidentale par ses excès de «transcendantalisme absolu», coupant la vie religieuse de ses sources personnelles profondes. Jung défend la fonction religieuse en thérapeute extra-confessionnel. Logiquement, il insiste sur l’origine inconsciente du religieux et mesure finalement, de manière pragmatique, la validité d’une religion à sa capacité à symboliser, verbaliser mythiquement et représenter liturgiquement une révélation inter-subjective, communautaire. A la base des religions, il y a une foi commune, élémentaire qui se spécifie selon des facteurs indéterminés. La Révélation est pour Jung d’abord une sorte d’évidence première, le référent de la preuve ontologique, si aveuglante qu’elle s’impose comme corrélative à la conscience humaine. Et si cette révélation est devenue obscure, c’est par suite d’une intellectualisation excessive et une aliénation-objectivation des manifestations de l’âme collective. Les religions sont en effet des formes diverses (relatives et perfectibles) de la religion (la religiosité de Schleiermacher, ou le sens vécu de la déité) à des époques de cristallisation dogmatique, mais convergent vers une religion mondiale universelle. Ici, Jung retrouve aussi bien la tradition de la religion naturelle que l’idée d'inspiration chez Schleiermacher. Idée très juste historiquement de l’Eglise comme communauté de foi vécue et d’interprétation historique de l’Esprit par-delà «la lettre».

Sur ce plan, la Réforme, pour Jung, a piteusement échoué entre littéralisme fondamentaliste obtus et oubli cérébral du sens même de la religion. Mais le catholicisme romain est-il capable d’admettre les innovations de Jung ? Malgré son caractère positif de tradition ouverte en développement, il garde le dépôt de la foi dans un esprit aristotélicien-thomiste «déconnecté» des besoins spirituels du monde. Le Père Dourley, qui a des mots assez durs pour le magistère romain, rappelle que la Congrégation de la foi sanctionne régulièrement les initiatives théologiques qui tentent de potentialiser la réflexion jungienne (relativisation du mal et du péché originel, Dieu-le-Père comme Origine énergétique abyssale et inconsciente, Jésus comme Fils-Conscience, la Vierge Marie considérée comme «Dieu-la-Mère» dans une Quaternité, etc.).

Pour Rome, Jung reste sans doute le dernier représentant d’un pan-psychisme romantique panthéiste inassimilable. Mais en cas d’alliance stratégique, qui sait ce que pourrait ce que pourrait devenir le christianisme ?


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 29/12/2004 )
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