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Vers un socialisme sans dogme ?
Dominique Strauss-Kahn   La Flamme et la Cendre
Grasset 2002 /  20 € - 131 ffr. / 395 pages
ISBN : 2-246-60991-7
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Lorsque Jaurès parlait de la flamme et la cendre, il entendait rappeler que le socialisme et sa volonté de nouveauté radicale ne s'étaient pas édifiés contre la tradition européenne de liberté (la flamme), mais entendaient la prolonger et la renouveler, au lieu de l'abandonner à la poussière du passé (la cendre). En choisissant la formule pour titre de l'ouvrage qu'il signe chez Grasset, Dominique Strauss-Kahn cherche à montrer que la flamme du capitalisme peut soit dévorer les plus pauvres et le monde avec eux (comme le dit la formule un peu plate du chapitre 5 " la mondialisation fait des malheureux "), soit donner à l'humanité les outils pour continuer son histoire vers le mieux. D'où une acceptation sans réticence du marché comme forme normale de l'économie moderne. Ici Dominique Strauss-Kahn tranche nettement avec le " lamento socialiste " qui voudrait que le marché soit un pis-aller, avec lequel il faudrait composer : il ne montre aucune indulgence ni aucune nostalgie pour cette position - qui est encore celle de nombreux socialistes - où le seul apport du socialisme serait de nationaliser des entreprises à défaut de pouvoir collectiviser la société. En revanche, il voit dans l'économie moderne une confirmation paradoxale des grandes intuitions du socialisme : c'est dans le travail sur l'économie que l'on peut rechercher une société plus juste. Une large partie du livre est consacrée à montrer comment cet effort peut être accompli au mieux.

Très typique est l'analyse des 35 heures : si le militant socialiste sacrifie au mythe des loisirs, de la continuité de la baisse du travail dans la lignée du Front populaire, l'analyste note très vite que la flexibilité et la négociation sociale en ont bénéficié, dans une dynamique économique particulièrement efficace, et surtout - point plus original encore - relève lapidairement que dans une économie moderne de service, il faut bien que les consommateurs aient du temps pour consommer ces services ! De même, au niveau national, des politiques fiscales pourraient favoriser l'esprit d'entreprise en évitant de pénaliser le risque pris par les créateurs d'entreprise et d'emploi. Egalement, une politique d'épargne retraite salariale permettrait à la fois de dégager des capitaux pour l'économie, sans mettre en danger les pensions des cotisants par des politiques de garantie et de mutualisation. Au niveau international, une politique renforcée de développement permettrait de dynamiser le capitalisme tout en le rendant plus juste pour tous les oubliés de la croissance. Dans tous les cas, efficacité du marché et justice sociale peuvent s'appuyer l'une l'autre. C'est une manière de rappeler ce que Marx - commenté de manière profonde et souvent brillante au cours du livre, y compris à contre-pied, lorsque l'auteur montre que la droite française vit sur une conception "marxiste" (déterministe) de l'économie - avait analysé : le capitalisme est une force révolutionnaire. La conviction de Dominique Strauss-Kahn c'est que le socialisme aujourd'hui a les moyens de le faire servir à une certaine forme de justice sociale.

Economie et société sont constamment liées : c'est le cas lorsque l'auteur évoque la réforme de l'Etat, se faisant l'avocat d'une décentralisation accrue et d'une fonction publique redessinée (avec une idée très originale consistant à proposer le dédommagement lorsque des avantages acquis doivent être sacrifiés afin de pouvoir faire évoluer le service de l'Etat). La politique est surtout abordée par le biais des institutions. C'est particulièrement le cas lorsqu'il traite de l'Europe à laquelle il consacre des développements qui se signalent par leur intérêt sur un sujet en général ennuyeux. Si, comme la plupart des analystes il confond intergouvernementalité, politique et démocratie, DSK propose une mesure qui tranche nettement avec les opinions convenues en n'hésitant pas à faire de toutes les rives de la Méditerranée l'horizon de l'élargissement européen. Moins innovateur en politique intérieure, il plaide, comme une large partie des analystes actuels pour une VIe République présidentielle, où l'on en finirait avec le système de la cohabitation.

Curieusement (ou de manière révélatrice ?), ce sont les parties proprement politiques qui sont les moins réussies. Les premières pages sur l'origine du socialisme, en dépit de la référence à Elie Halévy et des citations bien choisies, et les dernières pages sur la délinquance ou la fin de l'histoire forment un exercice un peu contraint. Cela demeure marginal, et ne nuit en rien à un livre qui est moins celui d'un politique, que l'ouvrage subtil et suggestif d'un économiste politique particulièrement pédagogue et soucieux de la clarté de son propos.

L'ensemble bénéficie d'un style allègre, non dénué d'humour. L'ancien ministre n'hésite pas à rendre moins sévère un exposé qui ne cède jamais au simplisme, en distillant les anecdotes sur son expérience d'homme d'Etat. Quant à l'homme, il sait faire part discrètement de ses irritations (à l'égard des Britanniques, dont il admire pourtant le service public) comme de ses reconnaissances (y compris à l'égard d'adversaires politiques, notamment en Europe). Le politique s'évertue à des exercices d'admiration imposés (parvenant même à citer Lionel Jospin) mais sait pratiquer - quoique avec une courtoisie teintée d'ironie - la prise de distance avec ses camarades. Ainsi Dominique Strauss-Kahn prouve qu'un homme politique peut écrire un vrai livre, et non seulement un support de marketing politique, et sans renier des convictions fermes - dont on pourrait même montrer qu'elles sont fermement socialistes - qu'il peut aussi se dresser, selon une des brillantes formules dont l'ouvrage est parsemé, contre " l'alliance de toutes les paresses intellectuelles ".


Thierry Leterre, Professeur de Sciences politiques à l'Université de Versailles St Quentin.
( Mis en ligne le 12/02/2002 )
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  • Lire le premier chapitre de ce livre sur le site des éditions Grasset
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