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| Suzanne Képès Le corps libéré - Psychosomatique de la sexualité La Découverte - Poche 2003 / 9.00 € - 58.95 ffr. / 260 pages ISBN : 2707141046
L'auteur du compte-rendu : Antoine Bioy est psychologue clinicien et enseignant en psychologie. Imprimer
Lauteur, Suzanne Képès, est de formation médicale. Sa clinique elle fut dabord médecin dusine, puis gynécologue la peu à peu conduite à sinterroger sur le lien entre soma et psyché. Progressivement, cette réflexion a orienté son parcours professionnel vers la psychothérapie, avec une pratique en relaxation. Actuellement médecin honoraire et ancienne directrice dun enseignement autour de la sexualité humaine à luniversité de Paris-XIII, Suzanne Képès propose dans cet essai une réflexion autour de la psychosomatique, nourrie de son parcours professionnel, riche en enseignements et en réflexions cliniques.
La psychosomatique est cette intuition clinique dun lien entre soma (corps) et psyché (esprit). Intuition qui accompagne la médecine depuis de nombreux siècles, mais dont la nature et les mécanismes exacts restent à ce jour méconnus, voire inconnus. La psychosomatique constitue à ce titre un objet détude à la fois mystérieux et fascinant. Suzanne Képès y apporte un éclairage, celui de sa pratique. Sa formation (gynécologique) et son parcours (notamment en planning familial) lui offrent un angle détude tout trouvé, celui de la sexualité, retrouvant par là-même les racines de la théorie freudienne, quelle cite amplement.
Louvrage est avant tout le fruit dannées dexpérience, et tout naturellement lauteur nous raconte son parcours, ses rencontres professionnelles, ce qui, chez ses patients, la émue et questionnée, théoriquement comme cliniquement. On remarque une certaine naïveté dans son écoute professionnelle, cest-à-dire une capacité à redécouvrir et à repenser la théorie au travers de la parole de ses patients, et de ce quils disent de leurs maux. Cette approche, qui rappelle fortement celle de Joyce Mc Dougall (psychanalyste à laquelle elle se réfère parfois), donne lieu à des chapitres passionnants, écrits avec simplicité et dont il se dégage avant tout le souci de faire ressortir toute lhumanité de ces hommes et femmes quelle a accompagnés.
Fortement influencée par les travaux de Balint, mais aussi dautres auteurs dont elle aborde luvre dans une partie plus théorique (Freud, Jung, Winnicott, Klein
), Suzanne Képès se défend néanmoins de toute appartenance à une chapelle. Sa clinique sen fait lécho, avec des emprunts tant au comportementalisme quaux psychothérapies dinspiration analytique. Loin de tout syncrétisme, il sen dégage une surprenante harmonie, en tout cas une visible capacité dadaptation aux besoins du patient, dans le respect de sa demande et de son désir. Il en découle que, même si cet ouvrage a été écrit pour être lu par tout profane de la psychologie, il possède un intérêt intrinsèque pour un thérapeute désireux de découvrir le parcours et les réflexions dun auteur aux années dexpérience avérées, et den tirer nombre denseignements.
Cependant, si la clinique de Suzanne Képès est limpide, on reste plus dubitatif concernant le troisième temps de son essai : lexplicitation de ce quest pour elle la psychosomatique, et la pratique en relaxation qui en découle. En effet, on est parfois gêné par le terme «maladies psychosomatiques» utilisé à maintes reprises. On hésite à comprendre ce que lauteur entend par ce terme. Simple vocable appris auprès de E. Weiss et O.S. English, dont le livre La Médecine psychosomatique a fait basculer la carrière de madame Kepès ? Sous-entendu que certaines maladies relèvent de la psychosomatique et dautres pas ? Simple dénomination pour souligner limportance du lien entre psyché et soma dans loccurrence dune pathologie ?
Assez curieusement, si la pratique clinique de Suzanne Képès est lumineuse et inspirée, labord théorique de tout ce qui touche à la psychosomatique est donc assez malaisé, voire dun classicisme qui surprend. Lauteur penche pour la conception traditionnelle dun défaut de symbolisation, avec un appel à la physiologie et à la neurologie pour expliquer les liens entre psyché et soma. Il en découle une compréhension théorique de la psychosomatique quelque peu causaliste, alors même que cette position est pour le moins battue en brèche par nombre dauteurs actuels. Entre autres, Pascal-Henri Keller qui, avec son travail important autour de lhistoire de la psychosomatique, montre combien les théories causalistes ont été au final peu productives (voir notamment La Médecine psychosomatique en question, éditions Odile Jacob). Il propose, avec dautres auteurs (comme Alain Ducousso-Lacaze), un questionnement autour de la notion danalogie pour éclairer la question psychosomatique. Cette approche consiste à privilégier le «savoir profane» du patient au savoir du praticien, en privilégiant lécoute de la dimension analogique du langage. On sattendait donc à ce que Suzanne Képès se positionne dans cette perspective, puisquelle sappuie amplement sur le discours de ses patients pour tenter de comprendre le lien entre soma et psyché. Il en découle que lattachement de lauteur dans une certaine compréhension causaliste de la psychosomatique emprisonne sa pensée, qui devient subitement moins fluide et ouverte.
Autre élément qui chagrine : si lexplicitation de la méthode de relaxation psychothérapeutique qui clôt louvrage est dun grand intérêt clinique, on est surpris par le «pouvoir» que madame Képès accorde aux mots, et qui va à lencontre des théories analytiques auxquelles pourtant elle se référait avec à-propos dans un premier temps. Ce «pouvoir des mots» (pour reprendre son expression), oblitère la notion de «parole» au sens analytique du terme et surtout va à lencontre de toute la théorie du transfert et de linconscient dont pourtant lauteur affirme que sa révélation est la clef pour «être entier». Une bien curieuse façon de terminer cet essai.
Au final, on retient plus de louvrage de Suzanne Képès tout ce qui va dans le sens de son titre : Le corps libéré, et lon reste plus que circonspect pour tout ce qui se réfère au sous-titre «Psychosomatique de la sexualité». Autrement dit, cet essai est dune grande qualité au niveau de la clinique, de son enseignement comme de sa pratique, et lon souhaite oublier rapidement les circonvolutions théoriques de lauteur. Elles ne constituent pas lintérêt de ce livre, écrit avec une grande humanité de propos, dans un esprit bienveillant et éclairé.
Antoine Bioy ( Mis en ligne le 10/09/2003 ) Imprimer | | |
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