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Une dénonciation des parasites intellectuels | | | Alan Sokal Barbara Hochstedt Jean Bricmont Pseudosciences & postmodernisme - Adversaires ou compagnons de route ? Odile Jacob 2005 / 23.00 € - 150.65 ffr. / 244 pages ISBN : 2.7381.1615.9 FORMAT : 15x22 cm
Antoine Bioy est psychologue et docteur en psychologie. Imprimer
Alan Sokal est professeur de physique à lUniversité de New-York. Il est à lorigine en 1996, de ce que lon a nommé «laffaire Sokal» : après avoir fait paraître un faux article scientifique dans la revue internationale Social text (n°46-47), il publie dans la foulée un démenti (Lingua Franca n°6(4)) ainsi que, avec Jean Bricmont, Impostures intellectuelles (Odile Jacob, 1997), un ouvrage dénonçant les «fausses sciences». Autrement dit, toutes les disciplines qui disent relever de la science mais qui, selon leurs critères, nen sont pas. Larticle initial avait pour but de montrer quun simple langage qui avait lallure de la science pouvait être confondue avec de la science, même sil ne sagissait que dun canular. Selon Sokal, des pseudosciences avancent ainsi masquées, trompant «le commun des mortels» et même les «vrais scientifiques». Avec <>Pseudosciences & postmodernisme, lauteur continue sa démonstration.
Louvrage pourrait en fait être arbitrairement divisé en trois partie : une longue préface de Jean Bricmont (suffisamment longue et argumentée pour être une partie à part entière ; il y défend le droit dêtre «scientiste»), largumentaire de lauteur ensuite, et, enfin, une troisième partie composée de deux appendices (lun de Sokal sur la religion, et lautre de Sokal et Bricmont, le texte dune conférence donnée en 2001). Le propos général est de dénoncer la tendance actuelle à relativiser tout ce qui est scientifique, et qui considère que presque toutes les vérités scientifiques ne sont en fait que des «vérités vraies» à un temps donné, voire selon un groupe social et culturel donné. Il sagit là du courant «postmoderne» qui, on laura compris, ne plait pas du tout à lauteur et dans lequel il voit un danger : ce courant ferait le lit des pseudosciences.
Pour Sokal, à linverse, certains faits ont toutes les chances dêtre incontestables (que la matière soit composée datomes, par exemple), et il prêche lidée que la Vérité peut être approchée, voire touchée du doigt par la science. Les pseudosciences ne seraient que des dérivatifs empruntant à la science son langage voire certaines idées, mais da façon tellement partielle et fausse que lentreprise relèverait de limposture totale, souvent à des fins mercantiles. En particulier, dans louvrage, Sokal sattache principalement à démontrer la vacuité scientifique du «toucher thérapeutique» (un courant de pratique infirmière), de certaines disciplines hindous comme la «science védique», de ce quil nomme «lécologisme radical» et également de la religion.
La science a donc pour objet selon lauteur de connaître la nature véritable des choses, et ne serait pas quun mythe comme le prétend le courant postmoderne. A linverse, les pseudosciences ne sont que des mystifications sans logique ni raison, mais qui savent habilement emprunter à la science un vocable, et détourner certains concepts, pour se donner un semblant de légitimité. A côté des exemples longuement décrits et dont lauteur démonte patiemment les mécanismes, on retrouve bien sûr dautres mystifications beaucoup plus connues telles que lastrologie ou encore lhoméopathie, qui nont de valeur que pour ceux qui y croient ; quelques expériences de base et un minimum de connaissances montrent en effet combien ces pratiques relèvent de la supercherie. Sur ces points, Sokal est pleinement convaincant et louvrage pourrait même être qualifié dintérêt public, au même titre que ceux de Georges Charpak (également publiés chez Odile Jacob, dont Devenez sorciers, devenez savants), ou les contributions du laboratoire de Zététique de Nice (notamment Henri Broch et son ouvrage Au cur de lextra-ordinaire, publié chez book-e-book.com).
Cependant, une incertitude plane. On reste cependant plus circonspect concernant un amalgame qui semble suggéré entre ce qui relève de limposture franche et massive, voire du charlatanisme, et dautres disciplines relevant de ce que lon nomme les sciences humaines (sociologie, psychologie, ethnologie
). Car pour lauteur, une fois définis les critères qui fondent quune discipline est scientifique, tout ce qui sen écarte nest plus de la science. Ainsi, peut-on vraiment mettre au même niveau lastrologie et la psychologie ? Cette dernière, et particulièrement la psychologie clinique, nobéit pas aux mêmes critères que ceux employés par exemple en physique, mais procède également dune démarche rigoureuse, avec concepts, hypothèses, validation ou infirmation de ces dernières. Surtout, les «Sciences Humaines» nessayent pas de faire croire quelles sont «scientifiques» au sens strict du terme, et ne font même pas semblant dobéir à une méthodologie «orthodoxe» : elles possèdent leurs propres modèles danalyse, de compréhension et de vérification. Autrement dit, elles relèvent dune modélisation à part, mais tout aussi rigoureuse.
Lauteur sinterroge par ailleurs sur le fait que si les pseudosciences ont un tel engouement auprès du public, cest que cela doit correspondre à un besoin, mais dont il dit ne pas saisir la nature. Ne pourrait-on alors voir ce besoin de croyances, dimaginaire, comme précisément constitutif de la psyché humaine ? Et alors, comme nous venons de le dire, cette dimension ne peut quéchapper au domaine scientifique tel que le défend Sokal, impropre à évaluer ce qui nest pas rationnel ou qui ne relève pas dun fait absolu. Car pour comprendre cette dimension, justement, il faut changer de référentiel scientifique, et faire appel aux sciences humaines, telles que la psychologie ou la psychanalyse, pour approcher une vérité : non plus celle des faits objectifs mais celle de la subjectivité humaine...
Au final, voici un essai qui donne matière à penser et dont lentreprise, la défense de la science, est particulièrement appréciable et intéressante, même si la pensée de lauteur fait parfois preuve dune certaine confusion entre la rigueur et la rigidité.
Antoine Bioy ( Mis en ligne le 27/01/2006 ) Imprimer
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