| Tristan Garcia La Meilleure part des hommes Gallimard - Folio 2010 / 6,60 € - 43.23 ffr. / 358 pages ISBN : 978-2-07-040249-6 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en août 2008 (Gallimard - Blanche) Imprimer
Histoire dune pente. Celle de tous les mouvements davant-garde, de toutes les cohortes prises de ces fièvres révolutionnaires et provocatrices, tous et toutes éteints finalement par leurs acteurs mêmes, avachis, vieillis, néo-conservateurs autrefois porteurs détendards, de tissus rouges. Ici, des homosexuels. Histoire dune pente depuis la fièvre revendicatrice des années 80, une guerre contre la maladie et ses kystes politiques, croisade pour le droit à la différence, à la reconnaissance, à la vie
jusquà devenir par un cuisant paradoxe lomphalos des tendances, du conformisme le plus publicitaire : victorieux, acceptés, phagocytés, les homosexuels des années 2000 ne sont plus des «pédés», et certains le regrettent : «On senfilait, on saimait, même, et cétait plus politique que lassemblée. Bien sûr, ça finirait en libéralisme économique, tout est privatisé, individualisé. Mais à lépoque
Merde, je fais ancien combattant», explique Doumé à la narratrice.
Doumé pour Dominique, Dominique Rossi, fondateur au temps de la peste de Stand Up (
) association de défense des droits homo, gay flamboyant et intellectuel reconnu, compère dune figure incontournable sinon autoritaire du microcosme intello parisien, Jean-Michel Leibowitz, amant de notre narratrice, ex althussérien devenu «nouveau réac». Et un quatrième, Willie, compagnon de Doumé à lépoque où tout brûlait. Les deux amoureux finiront pas se détruire. La pente, celle de la maladie, de la vie et sa loi entropique, du temps qui passe et balaye
Une narratrice donc pour chuchoter les mots de Tristan Garcia, Elisabeth, ancienne de Sciences-Po, aujourdhui journaliste, maîtresse de Leibo et comparse des deux autres. Elle assiste à leurs envols et aux crashs immanquables, à cette guerre violente entre Willie et, en fait, le reste du monde : «Se brouiller était une forme damour, chez lui» ; «Cétait quelquun de pur. Au contact du monde, cela donne une personne extrêmement sale». Car Willie est un inadapté, un insolent, un provocateur déjouant les règles du système, de tous les systèmes. Jusquà promouvoir lamour sans capote au nom de la liberté, le barebacking. Attention danger. Inadapté, atteint du SIDA, Willie ne peut être quun bolide suicidaire.
Et, en 350 pages, un roman fouillé, complet, ciselé, dont la maîtrise impressionne de la part dun auteur si jeune. Né en 1981, Tristan Garcia ne fut pas acteur des années décrites mais il en parle avec une justesse défiant cet espace temps. Sans doute la faute à une plume à la fois journalistique et très visuelle, à une formation favorisant ce rassemblement des références (Tristan Garcia, ancien normalien, est philosophe), à un talent, tout simplement. Car ressort de ces chroniques sociales et politiques, sorte de roman balzacien mis au goût du jour, revisité par Selby Jr ou Edmund White, toute lintelligence dune époque et, par-delà lexemple dun microcosme parisien, intello, homo, etc., celle de lHistoire et de sa mécanique, hélas bien huilée. Bravo.
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 15/01/2010 ) Imprimer | | |