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Musique Classique &Opéra -> Musique instrumentale |
Huit préludes pour piano, La Fauvette des jardins Olivier Messiaen (1908-1992) Roger Muraro( piano )
Accord / Universal 2001 TT : 57 mn. 461 646-2 1 CD | Enregistrement (live): février 2001. Stéréo DDD.
Prise de son : proche, brillante, très réaliste.
Notice (français, anglais): textes (brefs) de Roger Muraro et d’Olivier Messiaen.
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Nous regrettions ici même, il y a peu, que Günther Reihold, dans sa propre interprétation des Huit Préludes dOlivier Messiaen (1928-1929), études de couleurs encore habitées par le souvenir de Debussy et de la blanche monodie satienne, ne disposât pas de la variété de timbres, de la vivacité rythmique, de léchelle volumique, du nuancier détoffes sans lesquels cette musique en route vers lextase trahit une base descroquerie mystique et ressemble à un vitrail éteint, nervuré dépaisses cloisons en plomb.
Ce sont précisément ces qualités dont Roger Muraro manque le moins. Son intuition, remarquable, est davoir senti que lintérêt de cette musique tentée par limmobilité réside essentiellement dans sa beauté sonore, ses curiosités harmoniques, ses jeux de résonance, de patiente et subtile arythmie, ses minimes fluctuations de timbre et de volume qui, regardées avec lacuité visuelle nécessaire, daignent révéler leurs perpétuelles irisations. Pianistes myopes de laffect ou pressés den finir, laissez plutôt faire Muraro ! Son énergie débordante donne un corps, une puissance dévocation inhabituelles à cette musique trop souvent extérieure. On nest pas du tout gêné de lentendre souffler et mugir sous leffort ; ce sont, comme les traces du pinceau de Van Gogh, des témoignages dhumanité.
Sur un ton oratoire proche des abstraites Sarabandes et Ogives de Satie, Muraro dose chaque note des deux premiers Préludes et, par la magie dun toucher incroyablement travaillé, révèle les saveurs des grappes daccords les plus discrètes. La pulsation irrégulière du deuxième Prélude est rendue avec une nervosité presque palpable. On observe dailleurs, de pièce en pièce, une progression dramatique qui redouble lintérêt du cycle.
La vigueur et lintensité du jeu culminent dans limpressionnante élévation sonore, palier par palier, du sixième Prélude et la sauvagerie millimétrée des attaques du huitième. On est véritablement abasourdi par la maîtrise simultanée de lintensité sonore, des voix et des timbres, de la minutie rythmique. Muraro a pensé, intériorisé chacune de ces pièces jusquà les habiter entièrement. Ce sont comme des mobiles sur lesquels lesprit naurait jamais soufflé, et dont on est tout étonné de surprendre les mouvements bizarres. Ne craignons pas de le dire : ce récital, enregistré en public, est une réussite miraculeuse ; il constitue ni plus ni moins la première véritable création de ces Huit Préludes, curieusement mésestimés nen déplaise à Yvonne Loriod, veuve du compositeur et son interprète historique , dont Muraro a recueilli lenseignement.
Cette variété de climats, de coloris, dhumeurs, respectée et servie avec autant de sensibilité que dautorité, est la matière même de la monumentale Fauvette des jardins (1970), dont le programme ambitieux (une journée complète au bord des lacs préalpins de Laffrey) requiert de linterprète pas moins dune demi-heure de concentration totale permanente. Une véritable performance qui sapparente, à un siècle de distance, à la vertigineuse Sonate de Liszt, et qui commence dailleurs par les mêmes accords lugubres. Muraro ne sen étonne pas, lui qui se plaît dailleurs à rappeler que Messiaen est "la somme de tout ce qui a été écrit avant lui".
A la vision hallucinée dAnatol Ugorski (DG), qui faisait jusquici référence, Muraro répond par une extraordinaire célébration vitale, une compréhension intime des intentions mimétiques de Messiaen, dont il a dailleurs partagé le quotidien dans sa maison de Petichet, en Dauphiné. Lacs, montagnes, feuillages, vols doiseaux, menace dorage, croassements de corneilles, "cris tremblés du milan noir", infini nuancier du ciel, course lumineuse du soleil
Tels sont les motifs de cette tentative de restitution sonore dune journée au grand air. Ambition cosmogonique qui nest pas sans rappeler les velléités totalisantes dun Charles Ives.
Roger Muraro, avec sa belle tête de franciscain, na pas eu à tâtonner longtemps. Il sait pourtant garder intelligemment le bandeau sur les yeux, et feindre de chercher encore. Cest de la mystique bien comprise. Et un très grand moment de piano.
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 21/09/2001 ) Imprimer | |
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