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Les ''armes de l'esprit'' avec Frédéric Goldbronn, Maurice Rajsfus Cauri films Télé bocal Editions du Monde libertaire Doc Net films Editions 2010 / 14,90 € - 97.6 ffr. Durée film 71 mn. Classification : Tous publics | Sortie Cinéma, Pays : France, 1999
Sortie DVD : Avril 2010
Version : 1 DVD-5, multizone
Format vidéo : PAL
Format image : Couleurs, 16/9
Format audio : Français stéréo
Sous-titres : Aucun
Bonus :
- Avec Gilles Perrault (10 min.)
- Avec Mohamed Harbi (26 min.)
- Avec Marie-Jeanne (5 min.)
- Les 80 ans de Maurice avec Marc Perrone (20 min.)
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Lan prochain la révolution adopte le titre de louvrage de Maurice Rajsfus (LAn prochain la révolution. Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne, 1930-1945, Paris, Mazarine, 1985, 362 p.). par lequel il parodie le mythe du retour à la terre promise et prône la rupture avec les traditions séculaires au profit de lengagement militant.
Documentaire ? Témoignage ? Comment classer ce DVD bâti sur lentrecroisement entre lhistoire personnelle de lécrivain et celle du cinéaste, deux enfants dAubervilliers nés à trente ans dintervalle ? Disons quil sagit du déroulement in situ de la rencontre entre deux hommes libres aux accents libertaires : Maurice Rajsfus, un «historien de cur» comme lappelle si joliment Claude Levy (Vingtième Siècle, Revue dhistoire, 1985, vol.7, n°7, p.202.), cofondateur de lObservatoire des Libertés Publiques, et Frédéric Goldbronn, un cinéaste peu dogmatique dont la création, issue de sa formation aux ateliers Varan et à lEHESS, séchafaude dans lintersubjectivité avec ses partenaires. À la différence de ses précédents films (Georges Courtois, visages dun réfractaire, Diego, La Maternité dElne), le réalisateur choisit ici de figurer sur lécran.
Le spectateur serait tenté dassocier les premières images à luvre de Brassaï ou, plus militante, celle de Willy Ronis : sur des photos darchives dAubervilliers se superpose lannonce du film, peinte à la main en grosses lettres capitales. Leur blancheur daujourdhui contraste avec le gris des murs délabrés où subsistent des fragments daffiches arrachées et des années de graffitis. Tout est demblée très condensé : hier et aujourdhui, révolte et tristesse tandis quaux traces abruptes des luttes successives plus ou moins clandestines, soppose le beau rythme de Denis Colin à la clarinette basse.
Durant 71 minutes, Maurice Rajsfus et Frédéric Goldbronn échangent et partagent leurs souvenirs. Ainsi, ils parcourent ensemble divers lieux quils ont connus ou habités et aussi dautres, consacrés à la mémoire collective (Maison de culture yiddish - Bibliothèque Medem à Paris, Cité de la Muette à Drancy). La ville sest peu modifiée depuis leur enfance. Limmeuble où les parents de Maurice sont arrivés de Pologne en 1926 (Le petit appartement est aujourdhui habité par David Lefèvre dont la famille sest fortement impliquée dans le tournage) pour fuir les pogroms, le canal Saint Denis, la cité et lécole où Frédéric a grandi
malgré leur génération décart, ils retrouvent beaucoup de repères communs sauf, rappelle Maurice, que «lui était déjà grand quand Frédéric était petit». Là où laîné souffre dun excès de réminiscences, le «petit» se trouve confronté au blanc de labsence, des non-dits et des traces effacées. De sa judaïté présumée nexistent que la tombe énigmatique de sa mère, insérée dans le carré juif du cimetière, et les petits cailloux dans lesquels le réalisateur aimerait voir des indices pour retrouver le chemin de la mémoire. Coïncidence, Maurice collectionne des cailloux dans son bureau mais la question du sens ne sera pas soulevée.
Maurice se souvient. Il se souvient de la langue yiddish parlée et chantée à la maison, de la cuisine, du bonheur confiant dêtre ensemble, car en France, affirmaient ses parents, rien ne pouvait leur arriver. Il possède des photos denfance, des lettres écrites à sa naissance par son père, quil fera traduire. Mais il garde aussi en lui «le chagrin et la colère» (ouvrage publié en 2005) et des rêves torturants. Trop vive reste encore la honte à quatorze ans darborer létoile jaune avec son inscription infamante : «juif». Chaque détail de la rafle du «Vel dHiv» survenue quelques semaines plus tard ré-émerge, trop précis, trop douloureux aujourdhui encore, dans lâme et dans le corps. Les impressions sensorielles sont intactes pour dire larrestation violente par le policier qui était leur propre voisin de pallier, le départ dans la chaleur orageuse, le poids de vêtements superposés
À lévocation des derniers instants de la séparation, qui devait savérer définitive, le regard se fixe, la voix saltère. Discrète, pudique, la caméra que dirige François Rosolato glisse alors du visage vers la main et lécharpe rouge portée presque tout au long du film. Dans leffacement visuel de son objet peuvent alors sinsérer les mots qui nont pas pu se dire. Cette séquence est lune des plus touchantes.
Mais, sans son étoile, comment reconnaît-on un juif, demande une petite fille dune classe de CM2 devant laquelle autre séquence magnifique le militant Maurice Rajsfus est venu exposer «la barbarie» des années 40. Ses parents qui avaient rompu avec les traditions religieuses avaient juste le tort de porter un «nom juif». Devant son jeune public grave et captivé, ladulte explique comment un individu, en raison dun nom à consonance étrangère ou de sa couleur de peau ou encore dune quelconque différence, peut à tout moment être décrété indésirable par simple décision administrative. Un autre enfant interroge M. Rajsfus sur sa possible rancune. En effet, la trahison meurtrière de la police de Vichy, émanant de surcroît de son propre voisin, est pour lui ineffaçable : il ny aurait pas eu de rafle sans la police pour lexécuter. On comprend dès lors sa lutte rageuse, quasi obsédante, contre toutes formes dexactions et de répression chez les représentants de lordre. Devenu auteur de plusieurs dizaines douvrages et de centaines de débats, il a fait de sa plume et de son verbe ses armes principales, des «armes de lesprit» pourrait-on dire, par référence au documentaire de Pierre Sauvage (1989) réalisé en hommage aux habitants du Chambon qui eux, massivement, se sont unis pour dire NON à des ordres indignes.
Le générique final se déroule sur fonds des «cailloux de la mémoire», tandis que sélève, haute et forte, la voix de Léo Ferré : «Monsieur tout blanc», contre le silence coupable de Pie XII et de toutes les complicités non avouées.
En clair, il sagit dun document très dense à découvrir, à commenter et faire connaître. Soulignons lusage nuancé de la musique, notamment celle de Sonia Wieder Atherton, qui accompagne limage sans jamais empiéter. Il faut enfin saluer la compétence de toute léquipe technique déjà remarquée dans les précédents titres de Frédéric Goldbronn, sans laquelle cette réalisation natteindrait pas toute son ampleur.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 16/04/2010 ) Imprimer | |
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