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Regard avec Denis Gheerbrant Editions Montparnasse 2009 / 35 € - 229.25 ffr. Durée DVD 335 mn. Classification : Tous publics | Sortie Cinéma, Pays : France, 1984-2001
Sortie DVD : 6 Octobre 2009
Version : 2 DVD-9, Zone 2
Format vidéo : PAL
Format image : Couleurs, 16/9 compatible 4/3
Format audio : Français 2.0
Sous-titres : Aucun
Bonus :
Aucun
Lauteur du compte rendu : Benoît Pupier, travaille actuellement sur un documentaire de création, Marcel Poulet, un peintre docre en son pays. Il participe au collectif
Cineades
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Le titre du coffret est assez joli. Il dessine demblée limage dun cinéaste voyageur. Au sens technique, larpenteur est un professionnel de la mesure des terrains et des surfaces. Denis Gheerbrant arpente la société pour lexplorer, linterroger.
Amour rue de Lappe (1984, 60 min.)
Cest au cur de Paris, près de Bastille. Denis Gheerbrant traîne dans les cafés, entre la rue de la Roquette et la rue de Charonne. Que reste-t-il aujourdhui de ce monde populaire que nous montrait à lépoque le cinéaste ? Le branché a remplacé le populo. Ouvert en 1930 sous le parrainage de Mistinguett, le Balajo est toujours là, lieu de la nuit et de la danse. Dans les années trente, dix-sept bals étaient installés rue de Lappe, paraît-il.
Denis Gheerbrant filme le quotidien des gens dici, les tenanciers de bistrots et les habitués, entre solitudes et petit monde solidaire. «Quest-ce quil fait celui-là, il narrête pas, il filme ?» Un client sadresse à la caméra. Le cinéaste filme à lépaule, engagé dans sa confrontation au réel. La caméra parfois perturbe le réel et les personnes filmées, le film en porte la trace. Gheerbrant ne laisse pas croire à la fausse transparence du cinéma direct. Voici des petites histoires damour et dimmigrations. Un Italien et sa femme, un jeune Kabyle, un couple dhomos
On saccoude au comptoir, on boit un coup, on danse, on parle damour («on a des vues
»), on tire les cartes, on parle de rejet. Une enfant chante pour Noël. Gheerbrant filme les petites gens, leur accent, leurs expressions. «Jai eu une très belle vie et je ne peux pas la publier», dit lun deux.
Rue de Lappe. Cétait une rue populaire.
Question didentité (1986, 53 min.)
Denis Gheerbrant sapproche de Farid, Naguib et Abdel Ouab, cité des Mille-Mille à Aulnay sous Bois, Seine Saint-Denis. «On lui casse sa caméra une bonne fois pour toute, avant on tapait les petits, tu commences à être relou, tu veux trop en savoir sur notre vie». Les jeunes reviennent dans la cité de leur enfance et racontent la vie de leur bande, leur territoire, le bizutage pour intégrer la bande, les jeux. «Denis tes un intrus».
Parfois, dans ses films, Denis Gheebrant prend la parole. Laventure dun regard sexprime par une voix douce, feutrée. «Entre eux et moi, il y a eu le tournage avec ma grosse caméra et ce qui revenait sans arrêt de questions, daffirmations
». Les jeunes sinterrogent sur leur identité. «Avant je me posais aucune question pour savoir si j'étais un Arabe, un Français ou entre les deux, des grosses embrouilles comme ça (
). On était bien, on allait taper des mecs (
). Toutes les meufs nous courraient après (
). Cest les sociologues et toute la clique qui mont embrouillé la tête, pour pas choquer lopinion publique on ne va pas dire quon est des Beurs, alors quen vérité on est des Arabes qui vivent en France
Et en plus on est des Kabyles (
)». Les jeunes commentent à haute voix la question de lintégration, de la double nationalité, de la carte de résidence. Ils parlent de leurs rêves. Ils décrivent le chômage, le rapport à lAlgérie, les traces de la guerre dindépendance vue de Kabylie.
Le cinéaste est là, entre France et Kabylie, il interroge, observe, attend, revient avec ses questions, sort avec les jeunes, se fait rembarrer. «Arrête de te la jouer, le cinématographe, le grand style
». Entre vérité et mise en parole du réel, le documentaire dessine une expérience, ne conclut pas, nenferme pas le spectateur dans une conclusion toute faite.
Lettre à Johan van der Keuken (2001, 30 min.)
Peu de temps après la mort du cinéaste Johan van der Keuken, Denis Gheerbrant part dans les Cévennes avec un sac à dos et une petite caméra. Il est seul, marche, filme la nature, plante sa tente ou sarrête dans un dortoir. Cest une conversation, un fragment de journal intime à ladresse dun cinéaste aimé.
Et la vie (1991, 90 min.)
Jean-Luc, Zéric à Bruay, Pas-de-Calais. Mongi à Marseille, quartiers nord. Sandrine et Rachida à Roubaix. Vélia et Bruno à Muzeray, Meuse. Jeanine à Toulouse. Fanta à Marne-la-Vallée. Claude à Toulouse. Marc, Aïche, à Charleroi, Belgique. Daniel à Genève. Marcel à Longwy. Richard à Bruay. Catherine à Comines.
«Toute lannée pendant laquelle tu as appris à parler, je suis parti et revenu sans arrêt, seul, une caméra dans le coffre de ma voiture. Jai pris les autoroutes de Marseille à Roubaix, de Longwy à Toulouse, de Charleroi à Genève, jusquaux frontières de notre langue». En tout début du film, Denis Gheerbrant sadresse à son fils Romain. Il rajoute : «Ta petite sur allait naître. Dans dix ans lan deux mille». Cette adresse dit limportance de la parole dans ce travail documentaire, la parole donnée à lautre, rencontré en chemin. La parole donnée aux petites gens. «Merci pour laccueil. Cest ça le Pas-de-Calais !» Chacun parle de la vie, du boulot, du chômage, de lhistoire des parents, de la voie tracée, du vide, de la maladie, du regard des autres, de lespoir, de lhistoire du pays, des vacances, de lailleurs, de limmigration. Banlieues grises, terrils, bars, paysages de la désindustrialisation, terrain de foot bétonné au pied des immeubles, salle daccouchement en maternité, cités, coin feutré dun appartement, manège... Cest au plus près de lhumain, sans artifice de mise en scène, dans un échange entre le cinéaste et la personne rencontrée. Chacun raconte le presque rien du quotidien et lessentiel de la vie. La parole construit une identité.
Mongi parle du passage des palombes et raconte laccident de son père maçon reparti en Tunisie. Vélia et Bruno parlent doncles morts à la mine ou à la guerre dEspagne, des seize heures de travail quand les hommes doublaient la journée, de la vie heureuse avec les enfants, de la retraite qui arrive. Jeanine retrace sa vie, son histoire compliquée, la vie de sa mère en maison maternelle et le refus de reconnaissance de son père, son travail de sage-femme. Elle dit létonnement de toucher lenfant qui apparaît. Fanta chante. Claude parle de la société qui regarde de travers. On danse dans un petit bistrot. Daniel habite Genève. «Et si on fouille les lignes, quest-ce que ça donne ? Oh la, la
Il faut que tu morientes». Ses grands-parents lont élevé. «Dans le milieu même de la came, j'étais compris. (
)». Marcel observe un chêne malade. «Mon père dirait, cette racine on la suit, on la suit (
) mon père cétait un très grand bûcheron, en dehors de son travail à lusine (
) cest un fils de paysan, mon père».
Marcel retourne à lusine où il a travaillé comme son père. Cest un lieu immense, désert, métallique, mélancolique. Limage montre un monde disparu, la parole laisse revivre avec enthousiasme le temps du travail. Désormais dans la vallée, il ny a plus dusine, mais un golf. Richard, forain, a repris laffaire de son père, ex mineur. «Je crois que je continue son rêve». Catherine et Robert évoquent le combat syndical à lusine, labsence de promotion, la question de la parole. «Je vois pas pourquoi on nirait pas à lusine en rigolant, en chantant, et pourquoi on ne devrait pas parler, cest sur quon va à lusine pour travailler, on va pas y aller les bras ballants, mais si cest tous les matins aller avec une boule, là, quon se rend malade, quon a envie de pleurer (
), en rasant les murs quand on voit quelquun de la direction, là non
». «Cest ce que vit 90 % des gens en usine ? Exact, cest pour ça que le jour où ils auront dépassé cette peur, beaucoup de choses pourront changer (
)».
Le voyage à la mer (2001, 84 min.)
Le cinéaste a pris sa caméra. Il est parti en bord de mer, dans les campings et sur les plages. Il a posé sa tente et filme ses voisins de vacances. Ils viennent dun peu partout. Cest un portrait dun monde populaire : linstallation de vraies petites maisons, la drague, les confidences dune dépression, le joueur déchecs, le choix du même camping chaque été, les enfants, les jeux de séductions sur la plage, la répartition des tâches entre hommes et femmes, les petites fêtes de camping, lévocation de lactivité professionnelle
--/--
Vraiment, le travail de Denis Gheerbrant est à découvrir, à savourer. Cest une ouverture au monde. Il nous place dans la confidence dun petit monde populaire, touché par la crise sociale, la question de lidentité, toujours bouleversé. Un petit monde qui toujours construit sa propre résistance, affirme sa solidarité, trouve lespoir. Cest la parole donnée à des gens qui ne lont pas toujours. Les humbles.
Denis Gheerbrant filme caméra à lépaule, seul. Il sengage, construit un regard, entre immobilité des personnes filmées et traversées de paysages. Le montage laisse présent lexpérience du tournage, ses interrogations, ses échecs, ses sourires. Bref, un cinéma de la parole, de la vie, du sensible. Digne.
Benoît Pupier ( Mis en ligne le 16/10/2009 ) Imprimer
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