|
Documentaires -> Culturel |
Céline au banc des accusés avec Alain Moreau et Antoine de Meaux Arte Vidéo 2011 / 19,95 € - 130.67 ffr. Durée film 104 mn. Classification : Tous publics | Sortie Cinéma, Pays : France, 2010
Sortie DVD : 4 Octobre 2011
Version : 1 DVD-9, zone 2 ; 1 CD
Format vidéo : PAL
Format image : Couleurs, 16/9 compatible 4/3
Format audio : Français
Sous-titres : Aucun
Bonus :
- Interviews complémentaires de deux des protagonistes impliqués dans le film :
Pierre-André Taguieff, historien des idées, directeur de recherche au CNRS (Durée 60 min.)
Stéphane Zagdanski auteur de Céline seul (Gallimard). Un essai où il tente de résoudre la question complexe de lantisémitisme de Céline et du rôle cathartique que cette furie pamphlétaire a pu jouer dans lélaboration de son génie romanesque (Durée 60 min.)
- Un CD de lecture des quatre premiers chapitres du Voyage au bout de la nuit lu par Denis Podalydès Imprimer
On attendait un peu mieux et davantage de cette émission consacrée à Céline, alors que lannée du cinquantenaire de sa disparition sachemine doucement vers son terme. Le film écrit par Alain Moreau et réalisé par Antoine de Meaux joue un peu tapageusement, dans son titre, sur le mot de «procès». Mais la salle daudience que balaie de temps à autre la caméra reste décidément vide. Tout un symbole concernant un écrivain dont tant de détracteurs déplorent, encore aujourdhui, quil ait été amnistié malgré les charges qui pesaient contre lui.
En fait, Le Procès Céline est un énième montage biographique, visant un grand public qui, à le regarder, risque moins dêtre informé que lassé dentendre les échos des sempiternels débats animant les Atrides céliniens depuis des décennies. Car quel inévitable ressassement, quand même, autour du honni, du maudit, du proscrit
Les céliniens, pro ou contra, ne voient-ils donc pas à quel point ils sont en train denfermer, partant de nécroser, le plus vivant des écrivains français ? Lun le momifie dans les bandelettes du styliste sacré, lautre lui passe les menottes pour délit dopinion, le troisième le bâillonne à grands renforts de gloses, le dernier lencage dans une mémoire figée qui nappartient plus à personne puisque les témoins de sa présence physique sont en voie dextinction. Rappelons que cest Céline lui-même qui a paraît-il inventé le mot qualifiant ce qui, chaque jour, le fait mourir un peu mieux : le blabla.
Ainsi, il faut attendre pas loin des ultimes minutes pour entendre linouï, au sens premier du terme, à savoir les récits de ces dames qui, enfants, fréquentaient le cours de danse de Lucette. Elles disent sans pontifier la peur que leur inspirait le personnage, surtout quand il leur reprochait de ne pas lui dire bonjour au moment de prendre en hâte lescalier, ou encore quand leur parvenaient ses cris et ses appels à son épouse alors que les céphalées le torturaient. Outre ce moment de fraîcheur pure et les incontournables extraits darchives Dumayet & Co, eh bien, lon verra défiler toute la garde prétorienne, plus ou moins académique, suivie des jeunes Turcs sur le déclin, pour célébrer la liturgie des paradoxes céliniens, cette messe soufrée qui se lit à lendroit comme à lenvers, sur papier Bible ou cul selon les sensibilités. Chacun y va de sa paraphrase ainsi de Frédéric Vitoux simplifiant les images des Entretiens avec le Professeur Y pour décrire le minutieux travail du styliste ou de sa petite égratignure perfide Philippe Alméras affirmant que le mythe du «médecin des pauvres» est une vaste blague, vu que cette profession assurait à Céline avant tout largent et le temps nécessaires à écrire.
Les constats un peu originaux sont rares. On saluera dès lors la belle formule dÉmile Brami lorsquil parle de «vaporisation de la langue» pour décrire lécriture de Mort à crédit, ou celle de Stéphane Zagdanski résumant luvre en une vaste «radiographie du mensonge». On appréciera lanalyse sociologique de lécrivain à cheval sur trois milieux, le prolétaire, le bourgeois et laristocratique, ébauchée par François Gibault, ainsi que son lucide «Ce que lon ne pardonne pas à Céline, cest dêtre mort dans son lit». On applaudira enfin au moment de grâce offert par Serge Perrault lorsquil dessine de la main, en chorégraphe aérien, le rôle des trois points dans la prose célinienne. Hélas, ce nest sans doute pas cela que laudience saisira au vol, mais plutôt lidée dYves Pagès que le rire provoqué par le pamphlétaire est forcément «immonde» ou encore le subtil constat assené par Annick Duraffour : «Céline, cest la propagande hitlérienne en version française, assez fidèle à la version originale».
Les erreurs, raccourcis ou omissions sont inévitables dans tout travail de vulgarisation. Il est cependant dommageable, dans un programme qui convoque tout le gratin de la Célinie, davoir laissé passer que le Cuirassier Destouches fit soi-disant la couverture de LIllustré national, de laisser entendre que Gen Paul «aimait se déguiser en Hitler» (mais à quel rythme ? chaque vendredi soir ?), de ne pas signaler que LÉglise avait été rédigée avant le Voyage. Et que dire de limplicite accusation de Duraffour selon laquelle Céline aurait la mort de Desnos sur la conscience, puisquil laurait rien moins que dénoncé ?
Lheure du verdict sonne. «Acquittement immédiat», selon Zagdanski, qui estime, selon une conception toute personnelle du code pénal, que seuls les génies peuvent juger les génies. «Responsable et coupable», daprès linflexible Pierre-André Taguieff, dautant plus que Céline a réussi linversion «satanique» de se faire passer pour la victime et non le bourreau. Retour en somme à la case départ. Au fait, laccusé est contumace.
En guise de dispensable complément, le tout est notamment rehaussé de lexposé complet de Taguieff. Lidée principale que se fait lessayiste à propos de Céline est quil est un «faussaire et un plagiaire» de la littérature dofficines antisémites. Pourtant, Taguieff ne se prive pas lui non plus de décalquer tacitement les recherches dautrui. Il cite ainsi «lesthétique de loutrance» qui empreint les pamphlets, puis les sources réelles, littéralement copiées-collées, de ces tombereaux dinjures. Et la cohorte de ceux qui ne connaissent rien des travaux méticuleux menés jadis par Kaplan et Tettamanzi de crier à lusurpation, de sagenouiller en entonnant «Enfin Taguieff vint !».
Vraiment, il faudrait dissuader les clercs dapparaître à la télévision, leur place est derrière leur traitement de texte, et basta. On sen persuade quand on entend le brillant théoricien de La Force du préjugé sempatouiller dans sa présentation sur Lapouge et Gohier au point quon narrive plus guère à savoir de qui il parle ; évoquer le côté «roublard», quand ce nest parfaitement «Cagliostro» de Céline
sous prétexte que ce dernier cachait des charcuteries dans sa chambre à Sigmaringen !
Enfin pour situer Céline parmi la nébuleuse des sous-fifres de la haine antisémite, les Coston, Petit et autres Santo, Taguieff ose une hypothèse qui décoiffe. En sociologue impénitent, bourdieusien pour loccasion, il sappuie sur le niveau détude de ses sujets. Il remarque, finaud, que «Céline est souvent (en dehors de Montandon) le seul diplômé, le seul bachelier ayant fait des études supérieures dans un univers de types du niveau certif». Cétait donc cela, le ferment de toute cette méchanceté, de cette monstruosité ? Eh bien, voilà un cinquantenaire qui sachève sur une révélation capitale. Quon en parle encore !
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 21/10/2011 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Céline de Emile Brami Céline, fictions du politique de Yves Pagès Céline vivant de Alexandre Tarta | |
|
|
|
|