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Films  
Serge Daney - itinéraire d’un ciné-fils
avec Pierre-André Boutang, Serge Daney, Régis Debray
Editions Montparnasse 2005 /  25  € - 163.75 ffr.
Durée film 188 mn.
Classification : Tous publics

Version : DVD 9 / Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format audio : version française stéréo



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Un cliché, ce n’est ni vrai, ni faux, c’est une image qui ne bouge pas. Qui ne fait plus bouger personne. Qui rend paresseux. Serge Daney


En juin 1992, Serge Daney mourait à 48 ans, emporté par le sida. Quelques mois auparavant, il accordait à Régis Debray un long et passionnant entretien filmé. Une occasion pour lui d’ouvrir une dernière fois le livre d’une vie consacrée au cinéma.

Face à la caméra, le visage amaigri par la maladie, coiffé d’une large casquette qu’il ne quittera pas (tout au plus, du plat de la main, la fera-t-il légèrement glisser en arrière pour la rajuster aussitôt), une cigarette coincée entre le majeur et l’index, Daney parle d’une voix grave et rauque. Parle de son enfance, du petit parigot qui, accompagné de sa mère, fréquente les salles de cinéma de son quartier. Parle de ce que représente, (et ne cessera de représenter) le cinéma à ses yeux : une promesse. La promesse d’un monde, de devenir un jour un citoyen du monde. Une promesse importante pour cet enfant introverti qui a « le sentiment de ne pas faire parti du monde, ou d’être toléré par extrême justesse dans le monde tel qu’il est. » Cette promesse lui sera tenue. Parle de son adolescence et de son entrée en cinéphilie, qu’il date avec précision : 1959, l’année où émerge la Nouvelle Vague. De sa passion pour le cinéma américain d’après guerre, ce cinéma « au maximum de sa capacité de bonheur et de grâce ». « Ça ne dansait que là » rajoute-t-il.

Régis Debray pose peu de questions. La voix, grave et rauque, poursuit sans faiblir. Serge Daney parle. Parle de son premier voyage au Etats-Unis. A tout juste vingt ans, il part à la rencontre de tous ces vieux cinéastes hollywoodiens qu’il admire tant, Buster Keaton, Josef Von Sternberg, Leo McCarey, Howard Hawks et quelques autres, avec la ferme intention de les interviewer. Interviews qu’il obtient et publie dans les Cahiers du Cinéma, cette revue qu’il lit et aime passionnément depuis l’âge de 15 ans. Puis vint Mai 68, que cet enfant du cinéma, ne vivant que par et pour le cinéma, ce ciné-fils, prend comme une gifle de la réalité. Le joyeux bordel de Mai-Juin dissipé, Daney entame une série de longs voyages dans les pays du tiers-monde, qui l’éloigne pour un temps de toute préoccupation cinéphilique. A quoi bon, en effet, voir des films quand on est soi-même acteur réalisateur de films-voyages. De retour en France, il prend la direction des Cahiers, et devient, sans l’avoir vraiment voulu, critique de cinéma professionnel. En 1981, il rejoint Libération où il inaugure les fameuses Pages Cinéma.

Ces éléments biographiques ne mériteraient peut-être pas de retenir notre attention (quoiqu’une vie qui s’inscrit dans l’histoire de la cinéphilie et l’histoire culturelle d’un pays, ce n’est pas rien), si Daney n’en avait fait la trame où s’enchevêtrent les fils de sa pensée, les fils d’une ample et profonde réflexion sur le cinéma. Plus qu’un portrait, Serge Daney, itinéraire d’un ciné-fils, c’est une pensée en action. Une pensée ferme et rigoureuse, qui s’élabore à partir d’une conception exigeante du cinéma. Ainsi, pour Daney, le cinéma ne peut être que « d’essence réaliste », « le cinéma est réaliste », assertion qui ne disqualifie pas les films oniriques, les films de Fellini par exemple, mais affirme simplement que le cinéma se doit d’avoir à faire avec le réel, se doit de se coltiner le réel sans pour autant tomber dans un vulgaire sociologisme. Daney ne transige pas. Les images ? « Le cinéma ce n’est pas des images. Le cinéma construit des durées. Il invente du temps. » Les cinéastes qui ne se préoccupent que d’images ne sont tout au plus que de bons imagiers. Et de rappeler, en passant, que l’idée d’images qui ne vaudraient que pour elles-mêmes, d’images pures, vient du monde de la publicité, pas du cinéma. La publicité, la télévision, parlons-en ! Serge Daney fut l’un des premiers, si ce n’est le premier, zappeurs professionnels, consacrant quotidiennement une chronique au petit écran. « Le cinéma aide à comprendre la télévision », dit-il. En formidable analyste de la chose télévisuelle, il décortique le fonctionnement de notre chère télé. « La télévision, c’est du visuel. » Qu’est ce que le visuel ? C’est ce qui sert à ne pas regarder le monde, ce sont des images de remplacement qui viennent obstruer la réalité. La télévision ne montre rien, contrairement au cinéma qui est « l’art de montrer ». Et comme le cinéma, c’est l’art de montrer, le cinéma devient une affaire de morale puisque montrer est un geste et que tout geste, toute action relève de la morale. La télévision, elle, n’a pas de morale.

Daney a un style. Il suffit de lire quelques-uns de ses articles (1) pour s’en apercevoir. Un style concis, précis, drôle, émaillé de métaphores, filées jusqu'à épuisement. Un style présent dans Serge Daney, itinéraire d’un ciné-fils, et qui surgit, par exemple, au détour d’une phrase sous l’aspect d’une métaphore tennistique bien envoyée. Tout comme au tennis le service appelle un retour, l’acte de montrer qu’accomplit le cinéaste (l’engagement) implique une discussion, un commentaire (la relance) de la part du spectateur ou du critique de cinéma. Daney, modestement, se définit comme « un bon relanceur ». Un passeur aussi. Un médiateur entre les films et les spectateurs, car Serge Daney, parce qu’il « avait oublier de faire quelque chose de plus important », parce qu’il était un bon topographe et qu’il savait manier la plume, sut scruter et commenter les films de cinéma comme personne.

Pour conclure, voici quelques lignes qu’écrivait Dominique Rabourdin (coréalisateur du film), dans L’événement du jeudi, peu de temps après la mort de Serge Daney, son ami : « Le cheminement de la pensée de Serge, je l’ai retrouvé en relisant ses recueils d’articles et en écoutant ce long et formidable monologue enregistré par une caméra un soir de janvier. Monologue, parce que Régis Debray a eu l’intelligence de s’effacer et de ne poser que très peu de questions. Discours tenu en état d’urgence, et même d’extrême urgence, mais sans pathos, sans faiblesse. Calme démonstration d’une intelligence plus en éveil que jamais. Evidence que ce soir-là, il fallait aller à l’essentiel, et rien qu’à l’essentiel, avec générosité, avec fermeté, avec rigueur. Aujourd’hui que « le passeur c’est endormi », je me redis que rien, décidément, n’est plus fort ni plus émouvant à la télévision que l’image d’un homme en train de penser, en train de nous regarder. »

(1) Plusieurs recueils de ses articles sont disponibles en librairie.


Stéphane Gauchon
( Mis en ligne le 11/04/2005 )
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