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Ombres du cinéma, ombres de la vie
avec Abbas Kiarostami, Homayoun  Ershadi, Ahdolhossein Bagheri, Safar Ali  Moradi
MK2 2007 /  24.99  € - 163.68 ffr.
Durée film 99 mn.
Classification : Tous publics

Sortie cinéma, Pays : 1997, Iran
Titre original : Ta'm e guilass

Version : DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 16/9 compatible 4/3
Format image : 1.66 (couleurs)
Format audio : Farsi, Français (Dolby digital 5.1)
Sous-titres : Français

Bonus :
- La bande annonce
- La préface (7 mn)
- Les séquences commentées (16 mn)
- Le making of (44 mn)

Palme d'or au Festival de Cannes 1997 (ex-aequo avec L' Anguille, de Shohei Imamura)

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Dans son 4x4, un homme d’une bonne situation sociale, Baadi (Homayon Ershadi), âgé d'une cinquantaine d'années, cherche quelqu'un qui aurait besoin d'argent pour effectuer une mission spéciale. Que veut-il exactement ? Une aventure sexuelle ? Parler tout simplement ? On est perplexe et troublé devant cet homme qui dévisage étrangement les passants.

Évidemment, le cinéaste joue de l’ambiguïté avec la recherche de cet homme qui restera quasiment dans sa voiture pendant presque toute la durée du film. Au cours de sa quête, il rencontre dans la banlieue de Téhéran un soldat (Afshin Khorshid Bakhtiari), un étudiant en théologie (Mir Hossein Noori) et enfin un gardien de musée, M. Bagheri (Abdolrahman Bagheri). Enfin, on apprend que M. Badii va se suicider dans un trou qu'il a déjà creusé, en contrebas de la route, près d'un arbuste ; il faudra venir le lendemain matin à six heures s'assurer de sa mort puis ensevelir son corps avec vingt pelletées de terre. Chacun va réagir à sa proposition de façon différente.

Abbas Kiarostami, auteur d’origine iranienne, a étudié la peinture à la Faculté des beaux-arts. Il commence à monnayer ses talents de dessinateur en concevant des affiches, des couvertures de livres, puis en travaillant pour une société de production de films publicitaires. Il écrit et réalise, de 1960 à 1969, plus de 150 spots qui sont jugés d'excellente qualité, technique et artistique, mais peu commerciaux. Abbas Kiarostami, en 1969, fonde au sein de l'Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes (le "Kanun"), un département cinéma. Il y tourne des courts métrages de fiction dont les protagonistes sont des enfants filmés dans leur quotidien, en famille ou à l'école. Le premier, Le Pain et la rue, est présenté avec succès aux festivals de Moscou et Venise et attire l'attention de la critique internationale. Durant les années 70 et 80, le monde de l'enfance est le sujet presque exclusif du cinéma de Kiarostami, avec notamment Le Passager, son premier long métrage, et Où est la maison de mon ami ? (1987). Il est aussi l’auteur de Close Up (1990), Et la vie continue (1991), Au travers des oliviers (1994), Et le vent nous emportera (1999).

Le Goût de la cerise est tourné en 1997. La trame de l’histoire est d'une simplicité déconcertante. La linéarité du film ne l'est pas moins à ceci près que l’auteur aime les courbes que traverse la range rover de Baadi. On a parlé ici d'ellipse entre autres choses. Le mot de fable semble plus approprié. Rappelons-nous Où est la maison de mon ami ? qui racontait l'histoire de ce petit garçon qui, ayant emporté le cahier d'école de son ami, se met à le chercher des heures durant. Peu importe la raison pour laquelle Baadi veut se suicider. Peu importe s'il parvient vraiment à se suicider. Abbas Kiarostami nous laisse deviner. En ce sens, ce film n'est pas psychologique et s'intéresse plus aux situations du moment présent qu'à les résoudre dans la psychologie des personnages.

C’est le vieil homme, qui braconne des oiseaux pour le musée d'histoire naturelle, qui acceptera le contrat. Il est taxidermiste. Ce dernier, bien qu'opposé au suicide, y a songé il y a longtemps. Durant le trajet en voiture vers le musée, il s'efforce de présenter toutes les joies qu'offrent la nature et la vie, dont "le goût de la cerise". Les deux hommes se donnent rendez-vous le lendemain près de l'arbre. La nuit tombe, Badii passe chez lui, repart en taxi avec ce qu'il faut pour mourir, s'allonge dans le trou. Un orage éclate, des éclairs trouent la nuit... Écran noir. Puis...

Le cinéma de Abbas Kiarostami tient en fait à peu de choses. Une lenteur incroyable qui défie toutes les attentes surtout à notre époque où le suspense tient lieu de désir. Sa mise en scène est aussi d'une grande simplicité, jonglant entre des cadrages rigoureux, un montage précis et un jeu d'acteur qui ne l'est pas moins. Le cinéaste installe des personnages qui passent, qui ne reviennent pas dans le film. De ce point de vue, Le Goût de la cerise se moque de la narration traditionnelle. On s'installe dans une fiction où se croisent quelques personnages qui racontent plus au moins la même histoire. Abbas Kiarostami joue sur la redondance, des dialogues banals, sur une lenteur qu'il faut dépasser rapidement sous peine de sombrer dans l'ennui. Finalement, l'intérêt se porte ailleurs, sur le moment présent, sur l'anecdotique, sur la quête de cet homme, acteur étonnant. On sent tout à travers lui, son angoisse, son désespoir...

Le pari est somme toute incroyable. Le film se passe quasiment dans la voiture, il ne se passe quasiment rien et pourtant, il parle de quelque chose d'essentiel qu'il est difficile de résumer en deux mots. Ou du moins, si, en cinq, "le goût de la cerise". Une fable sur la simplicité de la vie devant la gravité et le tragique de l'existence humaine. Et pourtant le monde est beau et peut-être plus beau encore alors qu'on a décidé de ne plus vivre. Pourquoi ne plus vivre ? Le cinéaste n'en dit rien. Pourtant tout est là, dans ce décor de poussières, de gravats, carrière que visite à un moment Baadi. Une presque-tombe.

Concernant la dernière scène en vidéo qui a semble-t-il déconcerté beaucoup de monde (n'en disons pas plus), il faut se rappeler que Abbas Kiarostami n'a pas cessé dans ses films d'établir des ponts entre fiction et réalité. Dans Et la vie continue, le personnage part à la recherche des acteurs de Où est la maison de mon ami ? après un séisme en Iran. Idem pour Close up un personnage se fait passer pour un metteur en scène de cinéma. Idem encore pour Au travers des oliviers qui retrace l'histoire d'un tournage. Abbas Kiarostami étant un fidèle admirateur de Fellini, il faut se rappeler la dernière scène superbe de E la nave va quand la caméra nous montre tout le décor du bateau pour finir devant un miroir qui filme la caméra en train de se filmer !

La fin de Le Goût de la cerise se rattache à cette non-volonté de couper cinéma et réalité... tout en voulant les séparer en même temps pour montrer le côté "artificiel" du cinéma. Réalité et fiction. La scène joue sur le simulacre du cinéma vis-à-vis de la réalité. Abbas Kiarostami ne veut pas, semble-t-il, se laisser happer par le dispositif cinématographique, sur le pouvoir de l'image et la puissance hypnotique de celle-ci. Il se l'applique à lui-même en dynamitant la propre structure de son film. Ombres du cinéma, ombres de la vie (comme ce théâtre d'ombres près du chantier qui déverse ses gravats sur l'ombre de Baadi), les deux sont inséparables.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 23/11/2007 )
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