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Coffret Robert Bresson : L’argent
avec Robert Bresson, Christian Patey, Vincent Risterucci, Caroline Lang
MK2 2005 /  60  € - 393 ffr.
Durée film 81 mn.
Classification : Tous publics

Ce film fait parti d’un coffret contenant Pickpocket, Le procès de Jeanne d’Arc, L’argent. Il a reçu le Grand Prix du cinéma de création au Festival de Cannes 1983.

Sortie Cinéma : 1983, France

Version : DVD 9 / Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format audio : Français, Mono.

DVD Bonus :
Interview de Robert Bresson (TF1 - 7')
Interview de Robert Bresson (TSR - 13')
Marguerite Duras (2')
Bande-annonce (1')

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Un distributeur automatique de billets, c’est le premier plan, un prélèvement, une incision dans un monde pas encore découvert. Norbert entre dans le bureau de son père pour récupérer son argent de poche. Son père refuse un complément ; acte anodin, c’est le début d’une propagation du Mal (« Oh argent, Dieu invisible, qu’est-ce que tu me veux ? », dira plus tard l’un des co-détenus d’Yvon) : après le refus de son père, Norbert rejoint un ami qui lui fournit des faux billets (le film est inspiré d’une nouvelle de Tolstoï, Le faux billet), les billets sont écoulés dans un commerce, les commerçants s’en défaussent en payant un livreur de fuel, Yvon. Yvon réagit violemment à des accusations erronées liées à ces faux billets, il est arrêté. Dans la boutique, on ne le reconnaît plus. L’argent est le principe moteur du film, le principe organisateur du monde, la force maléfique qui s’échange de main en main.

Le rythme du film est rapide comme dans un film d’action. La puissance sonore s’échappe d’un réel diffus et d’une reconstitution réaliste du monde pour marquer l’espace et le mouvement de tous, pour scander leur chute : bruits mats des pas dans la rue, sons bruts des portes ouvertes et fermées, sonneries de téléphones, démarrage de mobylettes, masse sonore du camion de fuel, glissement d’un ustensile de cuisine sur le sol... L’écriture cinématographique de Bresson heurte, accroche, fragmente, épure. Frottements des plans et glissement du spectateur dans l’interstice. Déconstruction, création d’une expérience sensible. Stratégie de la perception, jeu d’assemblages. Beautés formelles des plans lancées dans un mouvement continu.

Trop fier pour tout expliquer à son patron, Yvon a perdu son travail, il accepte un mauvais plan (servir de chauffeur pour le casse d’une banque). Il fuit, on l’arrête, il est jugé en assises et condamné à la prison. Fin de la première demi-heure du film, avec l’apparition d’une couleur furtive, autoritaire, le rouge de l’habit des juges, la couleur de la loi. La femme d’Yvon est là, avec leur enfant, silencieuse, point d’ancrage d’une hypothétique stabilité. Une clarté. Avant ce procès-là, les petits bourgeois ont eu raison de l’ouvrier. Lucien, l’employé du commerce, a renouvelé son faux témoignage qui condamne Yvon. « Tiens, tu t’achèteras le costume dont tu avais envie », lui glisse son patron, en lui tendant un billet pour le récompenser de son mensonge. Lucien, bientôt, sera aux cotés d’Yvon en prison : il a volé son propre patron et trafiqué des distributeurs de billets pour dérober des cartes bancaires. Il redistribue certes son argent, « au nom des idées nouvelles », mais la prison est au bout de son chemin, comme un acte logique, une volonté, pour se racheter auprès d’Yvon. « Un nommé Lucien te cherche, il te demande de t’inscrire à la messe, n’y va pas ! », dit un co-détenu d’Yvon, figure d’intellectuel.

Yvon est libre, seul. Sa femme a écrit en quelques mots leur séparation, dans une lettre glissée dans une enveloppe bleue. Yvon marche, passe la nuit dans un hôtel, se réveille au Mal, sèchement. Un plan épuré, simple, violent, suffit à laisser venir la trace d’un meurtre, dans son silence, pour nous : insert sur les mains d’Yvon, ouvrant un robinet, l’eau coule, devenue rouge. Toute la violence, l’incompris de cet acte, sont posés là dans un éclat, un fragment, une simplicité. C’est fulgurant.

Une femme aux cheveux gris sort d’une boutique, marche dans la rue. Yvon est là, devant une vitrine. Un échange de regards, ils se reconnaissent. Leur humanité ? Dans la logique d’une construction dramatique, Bresson passe en force, joue avec l’arbitraire. C’est d’une grande audace formelle, c’est bouleversant. Yvon suit la femme au regard fatigué, attend le soir pour oser entrer dans la maison, l’accompagne dans son travail quotidien. Elle est le soutien de sa famille, d’un enfant handicapé, d’un père, professeur de piano, qui boit. Avec cet effacement, cet écrasement des humbles, elle se tait. « Si j’étais Dieu, je vous pardonnerais. », dira-t-elle aussi à Yvon.

Avec un air d’irrémédiable, le film glisse vers la violence, la barbarie d’un nouvel acte meurtrier, conséquence invisible des puissances d’argent, avant la place possible pour l’aveu et – peut-être – la rédemption, dans la toute fin du film. Yvon a franchi la porte, entouré de policiers, des curieux ont regardé, ils regardent encore vers l’intérieur caché de la salle du bar restaurant. Une béance. Yvon déjà s’est effacé.

« Cocteau parlait de pessimistes gais, je suis peut-être de ceux-là», répondait Bresson à Daney et Toubiana dans une interview aux Cahiers du Cinéma (juin-juillet 1983). Il y a là dans ce film une vision inquiète du corps social, une poétique douloureuse et biblique de l’homme. Mais il y a du plaisir aussi à jouer avec le cinéma, ses codes, ses formes. Exemple : un homme lit son journal en marchant dans la rue et découvre soudain des policiers cachés derrière des voitures, guettant un vol dans une banque… Autre espace de jeu : du son ou de l’image, lequel dit-il la vérité ?

Deux interviews télévisuelles de Bresson, quelques mots de Duras sur le cinéaste accompagnent le film sur le DVD. On regrette l’absence d’une proposition critique autour du film. Alors on aimera s’engouffrer à nouveau dans l’œuvre de Bresson (d’autres films sortent en DVD), avec les mots de Philippe Arnaud, essai d’une grande force sur le cinéaste dans la Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma : « (…) ce qui est terrifiant est aussi objet d’un examen, d’une lucidité souveraine : voilà ce qu’il fallait montrer, et que rien n’infléchit, comme rien, dans le destin d’Yvon, ne s’apitoie ou regrette : force pure d’un c’est ainsi, rendue à la simplicité raffinée, exacte, de son déroulement. »





Parallèlement à la sortie de ce coffret DVD, le cinéma Mk2 Parnasse propose un Cycle Robert Bresson à partir du 16 mars. Les trois films du coffret seront présentées en copies neuves restaurées.




Benoît Pupier
( Mis en ligne le 14/03/2005 )
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