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Tremblement et raffinement
avec Kenji Mizoguchi, Shôtarô  Hanayagi, Minosuke Bandô, Kan Ishii, Kinuyo Tanaka, Eijirô  Yanagi, Ichijiro Oya, Hiroko Kawasaki, Ichirô  Sugai, Kikue  Môri
Carlotta Films 2007 /  49.99  € - 327.43 ffr.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : 1945 à 1949, Japon
Titre original : Utamaro o meguru gonin no onna, Meito bijomaru, Joyû Sumako no koi, Yoru no onnatachi, Waga koi wa moenu

Version : 3 DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.37 (noir & blanc)
Format audio : Japonais
Sous-titres : Français

DVD 1 :
Cinq Femmes autour d'Utamaro (1946)
Bonus :
- Misère et grandeur de la beauté : analyse de Jean Douchet (22 mn)
- Yoshiwara et le Monde Flottant (22 mn)
- Images d'Utamaro (17 mn)
- Entretien avec Kaneto Shindô (11 mn)

DVD 2 :
L'Epée Bijomaru (1945)
L'Amour de l'Actrice Sumako (1947)
Bonus :
- L'Epée Bijomaru par Jean Douchet (4 mn)
- Entretien avec Kaneto Shindô (11 mn)
- L'Amour de l'Actrice Sumako par Jean Douchet (5 mn)
- Kenji Mizoguchi de 1945 à 1949 (30 mn)

DVD 3 :
Les Femmes de la nuit (1948)
Flamme de mon amour (1949)
Bonus :
- Les Femmes de la nuit par Jean Douchet (5 mn)
- Entretien avec Kenato Shindô (14 mn)
- Flamme de mon amour par Jean Douchet (5 mn)
- Le bonus caché (4 mn)

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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L'éditeur Carlotta effectue un travail remarquable en portant à la connaissance du public un grand nombre de films issus de l'histoire du cinéma, tels ceux d’Ermanno Olmi, de Michelangelo Antonioni, de Pasolini, etc. Voici, après les deux coffrets Ozu, un coffret concernant un autre maître du cinéma japonais, Kenji Mizoguchi. Celui-ci commença sa carrière en 1923 avec Le Jour où l'amour revit et réalisa près de quatre-vingt-dix films, le dernier étant La Rue de la honte (1956). Outre le fait que le Japon était sous la domination de l'armée américaine, les années quarante sont une période fort intéressante puisqu’elles précèdent plusieurs chefs-d’œuvre qui vont consacrer le cinéaste comme un maître incontesté, tels Madame Oyu (1951), La Vie d'O'Haru femme galante (1952), L’Intendant Sansho (1954), L’Impératrice Yang Kwei-Fei (1955), Les Amants crucifiés (1954), Le Héros sacrilège (1955) et bien sûr, le plus connu, Les Contes de la lune vague après la pluie (1953). Rigueur du cadrage, majesté et sobriété du plan-séquence, éloquence de la scène unique, refus du gros plan, intériorité du jeu des comédiens, le style de Mizoguchi, à la fois moderne et classique, empruntant au théâtre, à l'estampe et aux dessins sur rouleaux, est d'une élégance rare et d'une composition sophistiquée et sensible.

Le premier film ici présenté est Cinq Femmes autour d'Utamaro (1946), le plus beau. Mizoguchi a déjà réalisé soixante-treize films... Il est loin d'être un débutant même si bon nombre d'entre eux ont été des films de commande ou de propagande. L'histoire se passe au XVIIIe siècle et évoque la vie du peintre Kitagawa Utamoro (1753-1806), l’un des artistes du « Monde flottant », auteur d'estampes en couleurs de courtisanes longilignes, habillées de tissus précieux, à la chevelure noire. L'époque Edo (1603-1868), celle des shoguns Tokugawa (les détenteurs du pouvoir politique), a été une époque de paix, de prospérité économique, qui a vu l’épanouissement de l’édition. Il y eut des marchés aux livres illustrés et de « divertissement ». Les éditeurs rivalisaient d’ingéniosité pour répondre à un public friand (marchands ou guerriers cultivés) de récits humoristiques ou romanesques. C'est dans ce contexte que surgit Kitagawa Utamoro.

L'action du film se passe dans le quartier des plaisirs, Yoshiwara, à Edo. Une première scène montre tout le raffinement esthétique et toute la subtilité spirituelle de Mizoguchi. Un jeune noble, Seinosuke, disciple du peintre officiel Kano, veut acheter pour divertir sa fiancée, fille d'un artiste reconnu, une estampe d'Utamaro. Séduit par le dessin, il se révolte devant l'inscription qu'Utamaro y a inscrite, critiquant les artistes officiels pour leur peinture "monstrueuses" des femmes alors que, d'un simple croquis, il saisit la vie de ses modèles. Seinosuke se sent humilié et veut se battre en duel avec Utamaro. Il le cherche et le trouve chez la geisha Okita qu'il a rendue célèbre en la dessinant mais qui le délaisse pour le jeune Shozaburo. Utamaro convainc Seinosuke, étant donné qu'ils sont artistes, de régler le différent par le pinceau... Seinosuke accepte et dessine une déesse. Utamaro approuve mais reprend le dessin. Le regard de Seinosuke suffit à exprimer le triomphe d'Utamaro.

Cinq femmes vont graviter autour d'Utamaro. Peu à peu, Mizoguchi trace une fine frontière entre la jouissance lascive et le regard esthétique. La scène la plus révélatrice, est celle où Utamaro apprend qu'un tatoueur refuse de graver un dessin sur la peau d'une femme qu'il trouve trop belle. Utamaro, lui, s'émerveille du corps de Takasode dont le kimono laisse découvrir le haut de son dos. Il lui propose de faire un dessin qui sera à la hauteur de la beauté de la jeune femme... Chair ou peinture à ce moment ? Facilité de l'appétit sexuel ou délice raffiné de l'esthétique ? Le film montre bien, sans juger de façon moralisatrice, le monde superficiel et éphémère de la concupiscence en parallèle avec la spiritualité et la postérité de l'art. Toute la tension du film est contenue dans cette dualité fondatrice de l'existence humaine. Car le monde des plaisirs, voire de l'amour quand il y en a, est impitoyable, et peut mener au meurtre... Cependant, Utamaro n'est pas un ascète. Même si le film ne le montre pas avec une maîtresse, le cinéaste a préféré le mettre en retrait sur ce point afin de mieux établir sa relation avec l’érotisme et l’art (voir la scène où il veut dessiner Oran après l'avoir vue ôter son peignoir pour aller en chemise légère pêcher des poissons). De même quand il assiste aux chassés-croisés des amants. Cinq Femmes autour d'Utamaro montre l’impossibilité de saisir l’existence simplement en la vivant tandis que l’art la met à distance sans nous y faire participer pleinement non plus.

Le second film, de moindre importance, est L'Epée Bijomaru (1945) et raconte l'histoire de Kiyone Sakurai, un maître-forgeron, qui a confectionné un sabre pour son protecteur, Kozaemon Onoda, qui l'élève avec son frère cadet depuis qu'il est orphelin. Ravi, Kozaemon s'empare du sabre pour escorter le shogun. Mais quand celui-ci est attaquée par des rebelles, le sabre de Onoda se casse. Même s'il n'a pas démérité, il est banni de l'entourage du seigneur. Kiyone veut se suicider. Sasae, la fille de son protecteur, l'en dissuade et l'enjoint à parfaire sa formation auprès de Yamatomori, un maître forgeron. Là aussi, il est question d'art à travers le travail artisanal (confectionner une épée) et d'amour. Le film reprend la contradiction entre le Japon féodal des samouraïs et le pouvoir impérial. Quand l'empereur est arrivé au pouvoir après avoir renversé le Shogun, il a destitué les samouraïs et supprimé le port du sabre. La tradition des films de sabres joue sur l'opposition entre la loyauté et la vengeance personnelle. Le maître forgeron se suicide et demande à ce que l'on fasse des sabres pour l'empereur, mais ses deux élèves n'y arrivent pas car ils ne le font qu'avec la vengeance personnelle. Mais comme le sabre est fait contre un opposant à l'empereur, ils y arriveront... avec l'esprit de Sasae.

L'Amour de l'actrice Sumako (1947), troisième film, est plus directement lié au théâtre et par rebond, au cinéma. L'écrivain Shimamura est à la recherche d'une comédienne pour jouer le rôle principal de la pièce d'Ibsen La Maison de poupée. Il rencontre alors Sumako, belle comédienne et épouse insatisfaite. Tous deux tombent amoureux et Sumako triomphe à chaque représentation, mais leurs rapports troublent la société des professeurs de lettres. Reprenant la morale (la vie est pleine de conflits que l'on ne peut assumer qu'en souffrant et en vivant honnêtement) et le personnage de Nora dans la pièce d'Ibsen, il décide de vivre avec Sumako, et de quitter son foyer. Ils créent le théâtre de l'Art et exécutent de longues tournées. Mizoguchi tisse ici un lien plus fécond entre l'art et l'amour que dans Cinq Femmes autour d'Utamaro, mais tout en jouant une nouvelle fois sur les rapports troubles entre vie et création artistique. Plus profondément, le film, magnifique à tous égards, opère une réflexion entre cinéma et théâtre, notamment à travers la mise en scène même du cinéaste avec son dispositif de scène unique comme au théâtre. L'Amour de l'actrice Sumako : un film de cinéma théâtral et tout à la fois une pièce de théâtre cinématographique.

Les Femmes de la nuit (1948) change de registre. Il n'a rien à envier aux films néo-réalistes italiens de Rosselini ou de De Sica. Il raconte l'histoire, à Osaka, trois ans après la défaite japonaise, d'une secrétaire, Fusako Owada. Après l'annonce de la mort de son mari, puis de son enfant, elle retrouve par hasard sa soeur cadette Natsuko, exilée en Corée pendant la guerre. Fusako s’enfuit quand sa soeur devient la maîtresse de son patron. Elle deviendra prostituée… Mizoguchi, avec une rigueur extrême et un dépouillement radical dans la mise en scène, décrit le désespoir de ses femmes et la violence d'un monde au bord du gouffre. C'est aussi l'un des films les plus violents du cinéaste. Les scènes où le voyou abuse de Kumiko (en hors-champ), où Kumiko est dépouillée de ses vêtements par d'autres prostituées, et, où à la fin, Kumiko est battue par une autre prostituée dans un ancien cimetière en ruine, sont presque insoutenables.

Le dernier film, Flamme de mon amour (1949) plante l'action en 1884. Il conte la trajectoire d'une militante du parti libéral, Eiko Hirayama qui quitte sa famille pour aller vivre à Tokyo et se lancer dans la politique. Eiko écrit pour le journal du parti et devient l'amie de Omoi, le chef local du mouvement. Elle se refusera toujours à lui. Après moult péripéties, emprisonnement d'Omoi, clandestinité, bagne des femmes etc., Omoi deviendra un héros de la liberté quand la constitution sera votée. Mais Eiko apprendra que Chiyo (la fille des domestiques de la famille d'Eiko, vendue à un habitant au début du film) et Omoi sont amants. Comprenant que si elle épouse Omoi, elle ne trouvera plus personne pour défendre la cause des femmes, Eiko retourne à Okayama pour fonder une école de jeunes filles. A la fin, Chiyo rejoint Eiko et décide de l'accompagner. Comme on le voit, le film, remarquablement mis en scène, passionnant au niveau historique, ne parvient pas à effacer un scénario plus faible car trop mélodramatique et propagandiste.

Outre les films d’une grande beauté, le coffret regorge de bonus passionnants dont des entretiens avec Hélène Bayou (conservatrice au Musée National des Arts asiatiques-Guimet), Charles Tesson (critique) et Kaneto Shindo, ancien assistant de Mizoguchi, et réalisateur du chef-d'œuvre Onibaba. Bref, à ne pas rater.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 31/08/2007 )
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