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Epstein, ou la mystique du réel
avec Jean Epstein
Potemkine agnès b. DVD 2014 /  99.90  € - 654.35 ffr.
Durée DVD 945 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : France
Sortie DVD : Mai 2014

Version : 8 DVD-9, Zone 2
Format vidéo : PAL, Format 1.33
Format image : N&B, 4/3
Format audio : Musique, Français 2.0 mono
Sous-titres : Anglais

14 films :

1. Le Lion des Mogols (1924 - 100 min.)
2. Double amour (1925 - 105 min.)
3. Les Aventures de Robert Macaire (1925 - 200 min.)
4. Mauprat (1926 - 89 min.)
5. La Glace à trois faces (1927 - 38 min.)
6. La Chute de la maison Usher (1928 - 61 min.)
7. Six et demi, onze (1933 - 83 min.)
8. Finis Terrae (1928 - 82 min.)
9. Chanson d’Ar-Mor (1935 - 43 min.)
10. Les Berceaux (1931 - 6 min.)
11. L’Or des mers (1933 - 69 min.)
12. Mor’Vran (1930 - 25 min.)
13. Le Tempestaire (1947 - 22 min.)
14. Les Feux de la mer (1948 - 21 min.)


Bonus :
- Entretiens : Bruno Dumont ; Léon Rousseau ; Viva Paci ; Eric Thouvenel
- Bandes son de Krikor, Joachim, Aufgang
- Young Oceans of Cinema, de James Schneider (68 min.)

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Jean Mitry, théoricien du cinéma et co-fondateur de la Cinémathèque française, est assez sévère avec certains films de Jean Epstein. S'il met en avant Coeurs fidèles (1923), La Glace à trois faces (1927), La Chute de la maison Usher (1928) et Mor-Vran, il a peu de mots pour les autres films de ce cinéaste. À cet égard, si l’on cite souvent André Bazin, on oublie Jean Mitry qui offre un bon contrepoint au premier.

Alors que la Cinémathèque française rend hommage à Jean Epstein (juin 2014), les éditions Potemkine-Agnès B proposent un coffret qui lui est entièrement consacré. Précisons tout de suite qu'il ne s'agit pas d'une intégrale (il manque Cœurs fidèles, entre autres) mais ce coffret offre un bon panorama de son œuvre.

Jean Epstein est considéré comme l'un des cinéastes majeurs du muet. On dit parfois qu’il fait partie de l’avant-garde mais le terme d’avant-garde est inexact car Jean Epstein, dans bon nombre de films, reste classique et narratif. On devrait le qualifier de moderne concernant certains films (La Glace à trois faces, La Chute de la maison Usher) dans lesquels il innove certes au niveau de la forme mais sans aller jusqu'à une déstructuration narrative telle que l'opérèrent les dadaïstes. Ami de Blaise Cendrars, Fernand Léger et Abel Gance, Epstein garde donc ses distances avec les expérimentations esthétiques que l’on classe souvent dans l’avant-garde.

Le cinéaste, né à Varsovie en 1897, est mort en avril 1953 dans l’oubli, laissant une œuvre pourtant considérable. Ses Écrits sur le Cinéma ont été publiés en 1975 aux Éditions Seghers. Car il fut un théoricien dans le bon sens du terme, pas seulement pour élaborer des idées mais pour comprendre la nature du cinéma. Poète, cinéaste, théoricien, philosophe, Jean Epstein demande au spectateur d'aller chercher dans le cadre, dans le montage, dans le récit et le décor les éléments propres à révéler telle ou telle situation. De ce point de vue, ce n’est pas un réaliste car il ne se contente pas d’enregistrer la réalité ; il la retranscrit au travers du prisme du cinéma pour en révéler des aspects cachés et inédits.

Le coffret se partage entre des œuvres classiques avec un certain budget (Le Lion des Mogols, Les Aventures de Robert Macaire, Mauprat), des mélodrames (Le Double amour, Six et demi, onze), des œuvres plus modernes (La Glace à trois faces, La Chute de la maison Usher) et enfin des films sur la Bretagne. Cela donne une diversité de styles un peu déconcertants. L’œuvre de Jean Epstein, dans son ensemble, est soignée, bien réalisée, avec des cadres précis et composés, délimitant l’action d’une façon claire et évidente. L'apport du réalisateur fut qu'il affirma le cinéma comme langage spécifique, ceci sans être larmoyant (à l’inverse d’Abel Gance) et sans emphase. Tout est toujours dosé et juste, sans jamais trop appuyer les effets par un excès de technique, ce qui était un peu la coutume à l'époque, quand les cinéastes découvraient le mouvement et en abusaient.

Le Lion des Mogols (1924) est une semi-fresque. Le prince Roundghito-Sing s’échappe du royaume des Mogols dans le chaos. Il va à Paris et fait du cinéma où il connaît la célébrité puis s'adonne aux plaisirs de la capitale. Avec Ivan Mosjoukine (l’acteur qui «illustrera» l’effet Koulechov), le film est assez captivant, classique, réalisé avec soin. Déjà, loin d’enregistrer platement une scénographie, Jean Epstein essaye de rendre l’histoire d’une façon spécifiquement cinématographique, par un découpage précis, échappant ainsi au théâtre.

Le Double amour (1925) et Six et demi, onze (1926) sont des mélodrames de bonne facture. Le premier conte l’histoire de la comtesse Laure Maresco qui s'éprend d'un joueur qui perd une somme d’argent et songe au suicide. Laure l'en empêche avant d'apprendre que son amant a dilapidé la recette d'une fête de bienfaisance dont elle s'est occupée. Le second met en scène un médecin renommé et son frère, qui vivent ensemble. Le frère tombe amoureux d'une chanteuse nommée Marie et quitte le médecin. Jean Epstein parvient à retracer l’intimité des personnages par une composition précise.

Les Aventures de Robert Macaire (1925), qui dure plus trois heures, d’après L'Auberge des Adrets de Benjamin Antier, Saint-Amand, Polyanthe, raconte l’histoire picaresque d'un bandit de grand chemin et de son complice, en 1825, qui volent les riches et sauvent les châtelaines en détresse. Sans doute trop long, avec une histoire d’amour un peu simpliste, le film bénéficie néanmoins d’une bonne maîtrise technique et d’un bon jeu d’acteurs. Il en est de même de Mauprat (1926), d’après George Sand, qui met en scène deux membres de la famille Mauprat, qui doivent leur fortune à l'audace de leurs brigandages.

La Glace à trois faces (1927), d’après L'Europe galante de Paul Morand, est un film plus innovant, s’échappant un peu plus d’une structure narrative stricte en utilisant la surimpression, la caméra mobile et des procédés audacieux de montage. Trois femmes aiment le même homme mais ce dernier n’aime que sa Bugatti et se jette dans l’ivresse de la vitesse. Il en mourra. Le thème reste moderne : une passion de la technique au détriment de l’amour de l’humain. Jean Epstein donne ici la mesure de son inventivité en exprimant la vitesse de la voiture qui perdra cet homme.

La pièce maîtresse du coffret, une oeuvre fort connue, est La Chute de la maison Usher (1928) où Jean Epstein mélange deux œuvres d’Edgar Poe, La Chute de la maison Usher et Le Portrait ovale. Ce film est ce que Jean Epstein a réalisé de plus étrange et de plus mystérieux, nous plongeant dans un climat angoissant et fantomatique, jouant sur la répétition d’éléments (la pendule), ce qui n’est pas chose aisée, d'autant que le cinéma français ne parviendra pas réellement à réussir dans le genre fantastique.

À partir de 1929, Jean Epstein délaisse le film de studio pour le film réaliste, poétique et social. Il tourne en Bretagne des films joués par des non professionnels, dans leur langue et avec plus ou moins de réussite. On ne nous explique pas réellement ce revirement esthétique mais l’optique demeure passionnante : saisir les «couleurs» d’une région. En fait, on comprend que Jean Epstein cherchait une épure du cinéma à travers des histoires simples, réduites au minimum, anti-studio, après avoir abandonné les fastes du cinéma habituel et son cortège mondain. Une démarche, là aussi, moderne plutôt que d’avant-garde.

C’est une oeuvre à marquer d'une pierre blanche car le cinéma français aura bien du mal à parler des gens simples dans leur environnement comme saura le faire le cinéma italien. Jean Epstein serait une sorte de précurseur de Robert Bresson, dans la veine réaliste et sociale de Robert Flaherty (Nanouk l’esquimau). Mais le cinéaste ne se contente pas d’enregistrer la réalité. Il la modifie par ses cadres (surimpressions, ralenties, accélérés) pour aller recueillir son mouvement intérieur et invisible, le tout lié à l’intériorité des personnages et de l’intrigue. Le temps, ainsi modifié, sert de révélateur. C’est toute la force du cinéma, saisir l’invisible à travers le visible, d'une intention quasi mystique.

Finis terrae (1928) est tourné avec les habitants et pêcheurs des îles de Bannec et d'Ouessant. Blessé pendant la saison de pêche sur une île, le goémonier Ambroise tente de regagner Ouessant. Il sera aidé par les habitants. Avec une intrigue fort simple, Jean Epstein parvient à restituer toute la poésie de la mer, la vie des pêcheurs et des habitants typiques de la Bretagne. Le film est caractéristique du style épuré de Jean Epstein, jusque dans le jeu peu naturaliste des acteurs, cherchant, comme Robert Bresson, quelque chose au-delà de l’enregistrement naturaliste propre au cinéma.

Chanson d’Ar-mor est moins réussi, sans doute trop documentaire. Si Epstein tente de développer une histoire d’amour perdue jouée sèchement, le tout ne possède pas un soubassement conséquent qui donnerait au film plus de hauteur. Les Berceaux (1932) est une chanson filmée agréable, et Mor-vran (1930) cherche une fois de plus à capter les éléments propres à la Bretagne, notamment sur l'île de Sein où les hommes affrontent l'océan. L’or des mers (1932) a été tourné sur une île de la côte de la Bretagne. Un court prologue décrit la vie misérable de ces gens affamés et nous ne sommes alors pas loin de Las Hurdes de Buñuel, tourné la même année. L'Or des Mers est une fiction, une fable simple. Un vieil homme, solitaire et misérable, méprisé par tout le monde, trouve une boîte étrange qui pourrait contenir un trésor : les villageois deviennent gentils mais leur gentillesse est une façade, et l'un d'entre eux veut que son garçon se marie avec la fille du vieil homme pour l'or. On a là un film rude, dépouillé à l’extrême, autant terrien que marin, qui cherche, une fois encore, à travers l’enregistrement de la réalité, à capter l’ineffable.

Le Tempestaire (1947) démontre toute l’ambition de Jean Epstein. Une jeune fille s'inquiète de l'absence de son fiancé parti en haute mer. Elle s'en va trouver un tempestaire, ce vieil homme qui, selon une légende, a le pouvoir de faire cesser la tempête. Dans ce film sonore et parlant, Jean Epstein restitue les éléments : le vent, la mer, le visage inquiet de cette femme. Tout se conjugue en une impression mystique et métaphysique, par l’utilisation de plans simples, pour capter ce qui nous échappe continuellement. Les Feux de la mer (1948) est un superbe documentaire sur un phare et son jeune gardien, Victor. Le film est symptomatique de la démarche de Jean Epstein, attentif à cette solitude de l’homme face aux éléments. La vie des gens, la mer, l’eau, le ressac, le vent et le retour à des conditions essentielles et existentielles, celles de l’homme jeté dans le monde.

Il est dommage que Jean Epstein soit mort si tôt et n’ait pas pu réaliser d’autres films où il aurait pu exprimer sa sensibilité. A noter dans les suppléments, l’excellent entretien avec le cinéaste Bruno Dumont sur l’œuvre de Jean Epstein.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 15/07/2014 )
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