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Un autre grand du cinéma nippon avec Tomu Uchida Wild Side Video 2006 / 49.99 € - 327.43 ffr. Durée DVD 182 mn. Classification : Tous publics | Sortie DVD : 22 mars 2006
DVD 1
Film : Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (1955)
Durée : 90 min.
Format vidéo : N&B 1.33
Format image : 4/3
Format audio : Japonais mono
Sous-titres : français
DVD 2
Film : Meurtre à Yoshiwara (1960)
Durée : 104 min.
Format vidéo : Couleur 2.35
Format image : 16/9e compatible 4/3
Format audio : Japonais mono
Sous-titres : français
DVD 3
Film : Le Détroit de la faim (1964)
Durée : 182 min.
Format vidéo : N&B 2.35
Format image : 16/9e compatible 4/3
Format audio : Japonais mono
Sous-titres : français
DVD 4 : Bonus
- Entretien avec Yusaku Uchida, le fils de Tomu Uchida (52 min.)
- Le cinéma d'Uchida à travers l'histoire des studios TOEI : entretien avec Kazunori Kishida (13 min.)
- Le Cinéaste Vagabond, entretien avec Fabrice Arduini autour d'Uchida (26 min.)
- Affiches et photos des films
- Filmographies
L'auteur du compte rendu : Sylvain Roux est professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes et auteur, chez LHarmattan, de La Quête de laltérité dans luvre cinématographique dIngmar Bergman Le cinéma entre immanence et transcendance Imprimer
Pour le public cinéphile occidental, le cinéma classique du Japon se réduit généralement aux chefs duvre de trois figures monumentales : les mélodrames historiques centrés sur la femme de Kenji Mizoguchi, les films au style ascétique de Yasujiro Ozu et les créations profondément humanistes dAkira Kurosawa. Si le génie de ces auteurs ne saurait être contesté, force est de reconnaître que leur éblouissante aura a longtemps fait de lombre à de grands réalisateurs qui méritent dêtre (re)découverts.
Tomu Uchida (1898-1970) appartient précisément à cette catégorie dartistes exceptionnels qui nen restent pas moins injustement oubliés. Le coffret DVD qui lui est consacré par les éditions Wild Side Vidéo constitue un premier pas admirable vers une nécessaire réhabilitation. Considéré dans larchipel nippon comme lun des pères fondateurs du cinéma national, Uchida fut dabord un grand cinéaste du muet pour la compagnie Nikkatsu au sein de laquelle il tourna de nombreuses comédies et des films policiers remarquables par leur étonnante virtuosité technique. Il devint ainsi lun des principaux metteurs en scène des studios Tamagawa de la Nikkatsu et signa des longs métrages comme Le Théâtre de la vie (1936), La Ville nue, Lavance éternelle (1937), ou encore le plus connu de cette époque, La Terre (1939), tourné dans une semi clandestinité. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il partit en Mandchourie, alors colonie japonaise, et après avoir été fait prisonnier par les Chinois pendant la débâcle japonaise, il resta volontairement des années en Chine comme conseiller technique ; après 1949, il aurait même contribué à la naissance du cinéma chinois révolutionnaire. Il rentra au Japon en 1953, où il connut un retour spectaculaire en retrouvant son rang de réalisateur à la Toei. Tomu Uchida allait ainsi nourrir de son art le «second âge dor du cinéma japonais» (Max Tessier, Le Cinéma japonais, Amand Colin, collection 128), après avoir largement contribué à son premier âge dor dans les années vingt.
Les trois uvres exemplaires du coffret DVD, qui appartiennent à la période postérieure au retour du cinéaste dans son pays, sont emblématiques de sa création cinématographique. Elles offrent trois visions complexes de la société japonaise en mettant en scène des personnages confrontés douloureusement à la question universelle : comment être soi-même dans un monde régi par de fortes contraintes sociales, familiales ou physiques ? Les deux premières sont des jidai-gekis, cest-à-dire des films dépoque se déroulant avant 1868, tandis que la troisième est un film plus réaliste qui a essentiellement pour cadre laprès-guerre.
Film de sabre, Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (1955) marque le retour au cinéma de Tomu Uchida, après son exil volontaire en Chine. Le jeune Shojuro se rend à Edo (Tokyo) en compagnie de ses deux fidèles serviteurs, Genta le joyeux drille et Gonpachi qui porte sa lance. Ce dernier s'inquiète pour son maître : il sait que sa bonhomie n'est qu'apparente et qu'elle dissimule un homme au vin mauvais, qui vit mal sa condition de samouraï. La route est longue jusqu'à la capitale et les occasions de boire ne manquent pas
Si ce long métrage se rattache bien au genre du ken-geki, film-sabre, il nen relègue pas moins au second plan les actions spectaculaires afin de privilégier avant tout la psychologie des personnages. Ces derniers sont tous en route et leur voyage est aussi bien une quête intérieure quun simple déplacement géographique. La mise en scène, remarquable de précision, épouse cette douloureuse recherche à travers des mouvements de caméra lents et longs et des plans extérieurs très larges : cette lenteur inattendue dans un jidai-geki nest interrompue que lors de la séquence finale qui, en tranchant avec le rythme de tout le film, sapparente ainsi à un éclair de violence et de folie. Dans la même perspective, la bande-son est caractérisée par une subtile alternance de morceaux musicaux et de silence, la raréfaction musicale accompagnant lévolution des protagonistes. Cette tension rythmique et sonore renvoie à la contradiction vécue par Shojuro entre sa condition sociale de samouraï et ses véritables aspirations anti-conformistes déchirement que seule la mort lui permet de dépasser. La beauté saisissante de luvre tient au souffle humaniste qui traverse tous les plans. Et, même si la souffrance apparaît comme le lot commun des personnages, le film exprime lhumanisme de Tomu Uchida en agrémentant le parcours de ses créatures dépisodes comiques. Ainsi, le fameux voleur de grand chemin est découvert par un enfant et arrêté involontairement par la lance portée par Gonpachi. Spectateur de la scène, Shojuro ne comprend pas le sens de la récompense que les autorités lui décernent pour cette arrestation à laquelle il na pas pris part. Mais «un lancier nest rien sans son maître», lui dit-on. Le film regorge de ces séquences dont la cocasserie laisse percer avec pudeur la nudité de lêtre humain à travers les codes sociaux et les valeurs traditionnelles qui tendent à le dénaturer. La vision tragique du monde se trouve dès lors atténuée par cet humour profondément humain et par la prédilection affichée pour la figure de lenfant : cette double dimension, magnifiée par un montage parfaitement maîtrisé, contribue à rendre le film très émouvant et à lui donner une portée universelle.
Transposition dune pièce du répertoire théâtral classique ou kabuki au Japon, le cinéma est issu du théâtre traditionnel , Meurtre à Yoshiwara (1960) approfondit la thématique du conflit entre lindividu et la société, tout en larticulant à la mécanique implacable de la malédiction. Enfant trouvé, Jirozaemon, devenu un riche et honnête artisan, cherche une épouse. Mais son extrême laideur, due à une tache sur la joue, fait fuir les femmes. Ses clients à Edo lui arrangent une rencontre, mais en vain. On décide alors de distraire le malheureux à Yoshiwara, le quartier des plaisirs. Là-bas, seule une prostituée de bas étage accepte la compagnie du «monstre», qui s'en émeut. Elle lui promet même le mariage s'il l'aide à devenir une grande geisha. Jirozaemon se ruine pour elle, avant de réaliser que le tout Yoshiwara la tourné en dérision...
Le film souvre sur labandon dun enfant : mais, cette fois, loin de contrebalancer la tragédie, lenfance se présente comme la source dun destin tragique. Le nouveau-né na reçu pour héritage quun sabre et une tache sur la joue, et la marque de respectabilité sera vite contaminée par la marque dinfamie. Dès les premiers plans, la blessure originelle rend visible la souffrance qui est au fondement de lêtre de Jirozaemon (incarné, comme Shojuro, par le magnifique acteur Chiezo Kataoka), et place ainsi toute luvre sous le signe de la fatalité et de lirréparable. Malgré la richesse, le respect des professionnels et des employés avec lesquels il nhésite pas à travailler de ses propres mains et une profonde générosité, le personnage restera un paria. Loriginalité de ce long métrage tient précisément à la nature de lexclu : alors que la règle du mélodrame fait porter à la femme le poids du malheur, la victime est ici masculine. Uchida excelle à mettre en évidence la puissance des apparences et des codes sociaux contre lesquels largent lui-même ne peut rien. La déchéance du «monstre» est dautant plus poignante quelle saccomplit dans la manifestation dune cruauté révoltante et dans la mise au jour des formes les plus aiguës de lhumiliation. A cet égard, la scène finale, dune beauté remarquable, est très significative : elle confronte avec sobriété la majesté indifférente dun défilé obscène et le désespoir solitaire du héros qui, dans un moment de pure au sens dinnocente folie, détruit lobjet de son amour sous une pluie de fleurs de pommiers ; comme lécrit Philippe Roger, «en une pudeur toute codée, le comble de lartifice vient ainsi par cette neige de pétales mettre en perspective lextrême de lémotion» (Uchida lultraréaliste, essai datant de 1997 et téléchargeable sur le site officiel du coffret DVD). Reposant sur une admirable chorégraphie poétique et une étonnante maîtrise de la couleur, Meurtre à Yoshiwara concentre tout le talent dun cinéaste révolté par la disgrâce physique et sociale.
Couvert de prix dès sa sortie, Le Détroit de la faim (1964) est lun des films japonais les plus prestigieux et, sans doute, le plus abouti des trois proposés dans ce coffret. Dans l'immédiat après-guerre, un prêteur sur gages d'Iwanai (Hokkaido) est assassiné avec toute sa famille. Le même jour, un terrible naufrage a lieu au large de Hakodate, le port que les criminels ont rejoint pour franchir le détroit. Un seul survivra à la traversée ; il rencontrera ensuite Yaé, une prostituée qui couvrira sa fuite. Celle-ci le retrouve fortuitement dix ans plus tard. Mais l'homme, devenu entre-temps industriel respectable, est embarrassé par la réapparition de Yaé, la dernière trace de son passé
Incarnation de lesthétique «ultraréaliste» dUchida, cette uvre se distingue, dès les premiers plans, par sa beauté formelle : superbement filmé, le déchaînement des forces de la nature (la pluie étant presque toujours, chez le cinéaste, un signe de crise) suggère limminence dune catastrophe qui précipitera le destin des personnages. Une fois encore, il sagit bien pour le héros déchapper à une existence maudite qui prend désormais le visage dune culpabilité indépassable. Grand admirateur de Victor Hugo, le réalisateur a transformé le protagoniste du roman de Tsutomu Mizukami en en faisant une sorte de Jean Valjean hanté par un passé inavouable. La réussite exceptionnelle du personnage de Kyoichiro Tarumi vient de sa fascinante complexité et de ses contradictions indépassables, renforcées par lutilisation habile de la technique du flash-back qui interdit toute révélation univoque de la vérité : individu violent, voire bestial, il peut se montrer fragile, généreux et ouvert aux autres. Le rythme lent des séquences, troué par des instants de fureur, contribue fortement à renforcer la nature claire obscure de cet anti-héros en quête dune impossible rédemption. A limage de la plupart des créatures uchidiennes, il est déchiré au plus intime de son être et ne peut retrouver la paix que dans la mort. Mais si le pessimisme dUchida ne fait guère de doute, sa confiance dans lhumanité, quoique durement ébranlée, parvient encore à se lire dans ses personnages secondaires, en particulier celui de linoubliable prostituée Yaé. Chef-duvre du second âge dor finissant du cinéma nippon, Le Détroit de la faim impose une vision crépusculaire du Japon de laprès-guerre tout en sondant, avec une extraordinaire acuité, les tréfonds dune âme irréconciliable avec le monde comme avec elle-même.
Un quatrième DVD regroupe de précieux bonus qui sattachent à réparer linjustice qui a trop longtemps frappé Tomu Uchida. Ces suppléments offrent réellement la possibilité de pénétrer plus avant dans lunivers dun grand maître du septième art, dont la plupart des films (plus de soixante) restent à découvrir. Les trois entretiens proposés nous familiarisent avec la vie du réalisateur et, tout en retraçant sa trajectoire artistique, révèlent sa singularité dans le paysage cinématographique japonais.
A lheure où le cinéma asiatique connaît en Occident un succès à la fois sans précédent et sans discernement, la perfection formelle et la profondeur humaniste de luvre de Tomu Uchida viennent nous rappeler que le classicisme souverain, loin de sidentifier à lacadémisme le plus éculé, constitue une invitation toujours renouvelée à explorer le kaléidoscope de notre vulnérable humanité.
Sylvain Roux ( Mis en ligne le 21/03/2006 ) Imprimer
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Ailleurs sur le web : Lien vers le site officiel du coffret | |
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