L'actualité du livre Jeudi 28 mars 2024
  
 
     
Films  ->  

Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un réalisateur/acteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Films  ->  Grands classiques  
A la (re)découverte du Kino(ciné)shita
avec Keisuke  Kinoshita, Hideko Takamine, Chishû Ryû, Shuji Sano, Takahiro  Tamura, Toshiko  Kobayashi, Somegoro  Ichikawa
MK2 2007 /  24.99  € - 163.68 ffr.
Durée film 195 mn.
Classification : Tous publics

DVD 1 : Carmen revient au pays

Sortie Cinéma, Pays : 1951, Japon
Titre original : Karumen kokyo ni kaeru
Durée du film : 83 mn
Avec : Hideko Takamine, Chishû Ryû, Shuji Sano
Genre : Comédie musicale

Version : 1 DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.33 (couleurs)
Format audio : Japonais (Dolby Digital 2.0 mono)
Sous-titres : Français

Bonus :
- Préface de Charles Tesson (9 mn)
- Entretien de Keisuke Kinoshita (1982, 18 mn)
- Les scènes commentées (25 mn 30 s)

DVD 2 : La Rivière Fuefuki

Sortie Cinéma, Pays : 1960, Japon
Titre original : Fuefuki gawa
Durée du film : 112 mn
Avec : Hideko Takamine, Takahiro Tamura, Somegoro Ichikawa, Shima Iwashita
Genre : Drame historique

Version : 1 DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 16/9
Format image : 2.35 (noir & blanc et couleurs)
Format audio : Japonais (Dolby Digital 2.0 mono)
Sous-titres : Français

Bonus :
- Préface de Charles Tesson (10 mn)
- Entretien de Keisuke Kinoshita (1991, 7 mn 20 s)
- Les scènes commentées (20 mn 51 s)

Imprimer


Partie de montagne

Premier film japonais réalisé en couleurs à l’occasion du trentième anniversaire de la Shôchiku, Carmen revient au pays (Karumen kokyo ni kaeru, 1951) est une comédie musicale où le chant et la danse s’intégrent dans la vie quotidienne à la manière de celles tournées à la même époque aux Etats-Unis. Située dans en paysage automnal au pied du mont Asama (1), cette gentille farce chatoyante et surannée, à l’instar des couleurs du début du technicolor, décrit l’émoi et les bouleversements que suscite le retour de Lili Carmen dans son village natal.

Stripteaseuses dans un cabaret tokyoïte, O-Kin - dite Lili Carmen - (Hideko Takamine) (2) et son amie Maya Akemi (Toshiko Kobayashi) décident de venir passer quelques jours à la montagne. Pensant que Lili Carmen est devenue une danseuse célèbre, le directeur d’école (Chishû Ryû, acteur fétiche de Yasujirô Ozu) a intercédé auprès de son père pour qu’il l’autorise à revenir en arguant avec emphase qu’«il faut protéger l’art. La culture c’est le Japon». Malgré la désapprobation de son géniteur, paysan taiseux miné par la culpabilité - il pense que la marginalité et la bêtise de sa fille sont dues à un accident survenu lorsqu’elle était petite -, Lili Carmen et sa copine bousculent le quotidien du petit village conservateur, replié sur lui-même et traditionaliste. Telles des filles de music-hall dans un western, les deux exubérantes ingénues débarquent dans leur accoutrement (robes de couleurs vives, chapeaux à plumes et lunettes de soleil) en mâchant du chewing-gum et en baragouinant quelques mots d’anglais. Keisuke Kinoshita tourne en dérision la venue incongrue d’héroïnes qui détonnent singulièrement dans un cadre bucolique et champêtre d’alpages verdoyants offrant un petit côté Heidi rarement vu dans le cinéma japonais plus habituellement tourné vers le littoral.

Le cinéaste adopte le style léger, en apparence, de la comédie musicale pour illustrer l’intrusion, accélérée par l’occupation du Japon par les vainqueurs de la guerre du Pacifique, de la modernité et du modèle américain dans le mode de vie traditionnel japonais. Auparavant, l’Empire du Soleil Levant avait l’habitude de s’approprier des éléments apportés par d’autres cultures et de les accommoder à la sienne, mais le village figé dans le conformisme ne s’aperçoit de l’acculturation galopante des grandes villes nippones et refuse de voir les profondes mutations de la société. La confrontation entre deux mondes distints et distants ainsi que le choc des mentalités sont ici frontaux. La culture traditionnelle est incarnée par le compositeur de musique, Taguki (rendu aveugle par une blessure de guerre), qui s’oppose à la vacuité de Lili Carmen dont le talent se borne à interprèter des chansons sur des airs jazzy et à danser en se dévêtant. Après un incident à la fête où le directeur l’a expulsée en raison de son incorrection envers Taguki et sa musique, Lili Carmen décide de montrer par condescendance et orgueil l’étendue de son art aux villageois qui soit la considèrent comme une prostituée soit s’offusquent de son impudence. Les deux pimbêches qui se veulent émancipées révèlent en fait leur naïveté, leur vulgarité et leur frivolité mais insufflent durant quelques jours dans le village un vent de liberté et d’audace qu’elles remporteront avec elles. Pendant de la scène intiale avec leur arrivée à la gare, leur départ la fin du film marque l’achèvement d’une brève parenthèse dans la vie routinière du village qui repousse pour un bref laps de temps seulement le modèle occidental.

Keisuke Kinoshita caricature-t-il ainsi les personnages et l’évolution des liens sociaux pour transmettre ce que l’on perçoit aujourd’hui comme un message féministe ? Dans les suppléments, qui présentent également des scènes commentées par Charles Tesson sans grand intérêt puisque le critique se contente de décrire ce qui se passe à l’écran, l’entretien du cinéaste par un journaliste au sourire un peu contraint est à cet égard édifiant. Keisuke Kinoshita expose sans ambages sa vision machiste de la société et prône une vision très traditionnelle du couple et de la famille. Il voit les femmes avant tout comme des mères et des épouses dévouées à l’éducation des leurs enfants et au bien-être de leurs maris. Le cinéaste se moque de l’évolution du statut de la femme depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et regrette le temps des femmes souriantes et soumises.

Kuniko, l’épouse du musicien Taguchi pleine d’abnégation à l’égard de son mari et de son fils, incarne la figure positive de Carmen revient au pays tout comme le rôle de Hideko Takamine dans Jours de joie et de tristesse (Yorokobi mo kanashimi mo ikutoshitsuki, 1957) symbolise selon lui l’exemple de la mère parfaite. Les propos tenus par le cinéaste vont apparemment à contre-courant des idées défendues dans le film et sabordent la portée subversive de celui-ci. Il s’agirait donc plus d’une critique des mœurs dévoyées des métropoles perverties par l’occidentalisation et de la nostalgie de la perte inéluctable des valeurs ancestrales de la société japonaise ainsi que de celles du monde paysan. Les deux filles venues de la ville apparaissent comme des corps étrangers compromettant l’harmonie du groupe et de la nature.

Appartenant à la même génération que Kon Ichikawa et Akira Kurosawa (3), et malgré une œuvre prolixe comptant une cinquantaine de films notamment pour la télévision, Keisuke Kinoshita reste assez méconnu en France alors qu’au Japon il est considéré comme l’un des plus importants cinéastes d’après-guerre. Le réalisateur s’est d’ailleurs fait connaître dans son pays grâce au succès de cette comédie aujourd’hui un peu kitsch et datée à laquelle il a donné une suite, avec également Hideko Takamine mais tournée en noir & blanc, des aventures de la stripteaseuse à Tôkyô L'Amour pur de Carmen (Karumen junjo su, 1952). Le cinéaste s’illustre dans les mélodrames sentimentaux, les drames familiaux et les comédies de mœurs satiriques sur fond de réalisme social en portant un regard sur le monde souvent à travers une figure féminine. Dans Kekkon (1947) une femme entend choisir librement son mari, Le Tambour brisé (Yabure Daiko, 1949) est une remise en cause des valeurs sociales traditionnelles au travers la figure despotique d’un père et Le Jardin des femmes (Onna no sono, 1954) se penche sur les revendications des étudiantes d’un mouvement contestataire. Cela rend d’autant plus incompréhensible et ambiguë la lecture a posteriori de Carmen revient au pays au vue de l’entretien donné par Keisuke Kinoshita à la NHK en 1982.

L’Ombre des Takeda

Neuf ans plus tard, Hideko Takamine est de nouveau dirigée par Keisuke Kinoshita dans La Rivière Fuefuki (Fuefuki gawa, 1960) où elle endosse le personnage diamétralement opposé, et peu à peu central, d’une mère désirant conserver l’unité familiale au sein du foyer. Tiré d’un roman de Shichirô Fukazawa (4), ce jidai-deki retrace la vie rythmée par les guerres civiles du XVIe siècle (5) d’une famille paysanne pauvre sur plusieurs générations. Pour s’être illustré dans la bataille d’Idagawara (1521) dans les rangs du daimyô Takeda contre le clan Suruga, Hanzô (Ryûsuke Daigenji) revient couvert de gloire. Son père n’apprécie cependant pas que son fils aîné entre au service d’un puissant chef de guerre et devienne samouraï. Il incite son petit-fils Sadahei (Takahiro Tamura) à ne pas suivre la voie de son oncle mais à cultiver la terre. Les années passent, Sadahei a écouté les sages conseils de son grand-père et s’est marié avec la courageuse Okei (Hideko Takamine).

L’histoire de cette famille imaginaire est étroitement liée aux conflits réels de l’époque et aux désirs de conquête des Takeda, daimyô de la province de Kai (province du centre de Honshû au nord du mont Fuji). Après avoir vaincu le daimyô de la province d’Echigo à la suite d’une série de batailles de 1553-1564, Shingen Takeda réussit à défaire les armées de Nobunaga Oda à l’issue de celle de Mitagahara en 1573 et meurt de maladie la même année. Le film d’Akira Kurosawa, Kagemusha (1980), retrace son dernier combat et se nourrit des nombreuses légendes qui entourent ce seigneur. Son fils, Katsuyori Takeda, lui succède et tente d’aggrandir ses possessions. Cependant, les armées de Nobunaga Oda freinent définitivement ses ambitions lors de la bataille de Nagashino en 1581. Abandonné par ses alliés qui ont rejoint Oda, il doit son salut dans la fuite et se suicide l’année suivante.

Keisuke Kinoshita ne s’attarde pas sur les scènes de batailles, qui donnent une chronologie au récit, mais centre son intérêt sur la difficile existence des paysans. Pour ces derniers, qui pâtissent des perpétuels conflits féodaux entre seigneurs, devenir guerrier constitue leur unique espoir de s’élever dans la hiérarchie sociale et d’échapper à une condition de vie miséreuse. Les femmes ont encore moins d’alternative, la fille de Sadahei devient servante au château après que sa grand-mère s'est remariée à un riche marchand de soie de Kôfû. Leur ambition et leur dévotion au clan Takeda ne leur apporteront que drames, folie, haine, désir de vengeance. Ceux qui franchissent le pont reliant le cocon familial protecteur du foyer au reste du monde se dirigent vers une mort violente et seul Sadahei qui ne l’a jamais emprunté en réchappera. Tel un témoin impuissant, il assistera aux sacrifices et la disparition des siens tandis qu’Okei tentera dans un sursaut désespéré de sauver ses enfants.

Dans les suppléments, Keisuke Kinoshita se livre à des considérations assez générales sur sa carrière et le cinéma mais stipule cependant au cours de cet entretien que La Rivière Fuefuki reste l’un de ses films préférés. Son opposition au féodalisme, qui opprime les individus, ainsi que son message pacifique diffèrent radicalement de l’idéologie véhiculée par ses premières œuvres de propagande réalisées pendant la guerre Le port en fleur (Hana saku minato,1943) et L’Armée (Rikugun, 1944). Dans ce second film, les fils d’une famille sont de fidèles et ardents patriotes dévoués à l’Empereur et s’apprêtent à mourir pour lui et la patrie. Non par antimilitarisme mais plutôt pour rechercher un effet dramatique, le cinéaste montre l’inquiétude d’une mère qui regarde partir les soldats au front. Cette scène ne fut pas censurée mais la Shôchiku renonça à lui confier ce genre de film après que le Bureau d’Information Publique l’ait qualifié de réalisateur «efféminé» peu enclin à valoriser l’effort de guerre.

La première image colorisée en vieux rose de La Rivière Fuefuki offre la vision désolée d’un champ de bataille où les corps de guerriers et de chevaux sans vie qui jonchent le sol témoignent d’un affrontement sanglant. Keisuke Kinoshita utilise des filtres de différentes couleurs pour teinter uniformément l’écran : un filtre bleu pour la nuit ainsi que des filtres rouges et verts pour les images en mouvement ou fixes des guerriers au combat. La couleur et la stase préfigurent ici la mort. La pellicule de ce film, tourné en noir et blanc, est parfois réhaussée d’ajout de tâches colorées. Des aplats de rouge auréolent une flamme, des couleurs chaudes (jaune, orange et rouge) apparaissent dans les scènes de combats et tout une gamme chromatique allant du vert au jaune anime les paysages. Les couleurs donnent une dimension onirique tout comme l’immensité de la nature valorisée par des panoramiques, des vues aériennes et des longs travellings, qui contraste avec la fragilité de la vie humaine écourtée par des guerres dérisoires et destructrices.

La mort rôde sans cesse dans cet univers marqué par la religion bouddhiste entre destinée et réincarnation. Un spectre, figure récurrente du théâtre Nô, agitant une clochette annonce lugubrement de macabres prophéties tandis qu’une voix off psalmodie des vers sur l’immuabilité de la nature face à la fragilité humaine : «Continue de couler rivière Fuefuki. Ta mélodie mélancolique persiste. Même si les mots ne l’entendent pas». Lorsque Sadahei recueille l’étendard, unique vestige du clan décimé des Takeda, cette même voix conclut : «Il ne cesse jamais le flux de la rivière. L’eau ne revient jamais là où elle a coulé. Indifférente aux pleurs et aux imprécations des humains. L’eau bouillonne, écume et disparaît. Où sont passé les rêves d’hier ?»

(1) Le Mont Asama est un volcan composite s'élevant dans le nord ouest de Karuizawa, entre les départements de Gunma et de Nagano au centre de l’île d’Honshû.

(2) Actrice depuis l’âge de cinq ans, Hideko Takamine, qui a déjà joué dans une comédie musicale Les Danseuses de Ginza de Koji Shima (Ginza kankan musume, 1949), est méconnaissable dans ce rôle de ravissante idiote qui tranche radicalement avec ses interprétations dans les films dramatiques de Mikio Naruse tels que L’Eclair (Inazuma, 1952) ou Nuages flottants (Ukigumo, 1955).

(3) Akira Kurosawa avec La Légende du grand judo (Sugata Sanshiro) et Keisuke Kinoshita avec Le Port en fleur (Hana saku minato) débutent ensemble à la Shôchiku en 1943.

(4) Keisuke Kinoshita signa la première adaptation au cinéma d’un autre livre de Shichirô Fukazawa, La Ballade de Narayama (Narayama bushikô,1958) également édité en DVD par MK2.

(5) Période de totale anarchie où les daimyô et petits seigneurs se livrent à des guerres incessantes avant que le premier unificateur du Japon, Nobunaga Oda, n'y mette un terme dans les années 1570.


Corinne Garnier
( Mis en ligne le 13/07/2007 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd