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A la (re)découverte du Kino(ciné)shita avec Keisuke Kinoshita, Hideko Takamine, Chishû Ryû, Shuji Sano, Takahiro Tamura, Toshiko Kobayashi, Somegoro Ichikawa MK2 2007 / 24.99 € - 163.68 ffr. Durée film 195 mn. Classification : Tous publics | DVD 1 : Carmen revient au pays
Sortie Cinéma, Pays : 1951, Japon
Titre original : Karumen kokyo ni kaeru
Durée du film : 83 mn
Avec : Hideko Takamine, Chishû Ryû, Shuji Sano
Genre : Comédie musicale
Version : 1 DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.33 (couleurs)
Format audio : Japonais (Dolby Digital 2.0 mono)
Sous-titres : Français
Bonus :
- Préface de Charles Tesson (9 mn)
- Entretien de Keisuke Kinoshita (1982, 18 mn)
- Les scènes commentées (25 mn 30 s)
DVD 2 : La Rivière Fuefuki
Sortie Cinéma, Pays : 1960, Japon
Titre original : Fuefuki gawa
Durée du film : 112 mn
Avec : Hideko Takamine, Takahiro Tamura, Somegoro Ichikawa, Shima Iwashita
Genre : Drame historique
Version : 1 DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 16/9
Format image : 2.35 (noir & blanc et couleurs)
Format audio : Japonais (Dolby Digital 2.0 mono)
Sous-titres : Français
Bonus :
- Préface de Charles Tesson (10 mn)
- Entretien de Keisuke Kinoshita (1991, 7 mn 20 s)
- Les scènes commentées (20 mn 51 s) Imprimer
Partie de montagne
Premier film japonais réalisé en couleurs à loccasion du trentième anniversaire de la Shôchiku, Carmen revient au pays (Karumen kokyo ni kaeru, 1951) est une comédie musicale où le chant et la danse sintégrent dans la vie quotidienne à la manière de celles tournées à la même époque aux Etats-Unis. Située dans en paysage automnal au pied du mont Asama (1), cette gentille farce chatoyante et surannée, à linstar des couleurs du début du technicolor, décrit lémoi et les bouleversements que suscite le retour de Lili Carmen dans son village natal.
Stripteaseuses dans un cabaret tokyoïte, O-Kin - dite Lili Carmen - (Hideko Takamine) (2) et son amie Maya Akemi (Toshiko Kobayashi) décident de venir passer quelques jours à la montagne. Pensant que Lili Carmen est devenue une danseuse célèbre, le directeur décole (Chishû Ryû, acteur fétiche de Yasujirô Ozu) a intercédé auprès de son père pour quil lautorise à revenir en arguant avec emphase qu«il faut protéger lart. La culture cest le Japon». Malgré la désapprobation de son géniteur, paysan taiseux miné par la culpabilité - il pense que la marginalité et la bêtise de sa fille sont dues à un accident survenu lorsquelle était petite -, Lili Carmen et sa copine bousculent le quotidien du petit village conservateur, replié sur lui-même et traditionaliste. Telles des filles de music-hall dans un western, les deux exubérantes ingénues débarquent dans leur accoutrement (robes de couleurs vives, chapeaux à plumes et lunettes de soleil) en mâchant du chewing-gum et en baragouinant quelques mots danglais. Keisuke Kinoshita tourne en dérision la venue incongrue dhéroïnes qui détonnent singulièrement dans un cadre bucolique et champêtre dalpages verdoyants offrant un petit côté Heidi rarement vu dans le cinéma japonais plus habituellement tourné vers le littoral.
Le cinéaste adopte le style léger, en apparence, de la comédie musicale pour illustrer lintrusion, accélérée par loccupation du Japon par les vainqueurs de la guerre du Pacifique, de la modernité et du modèle américain dans le mode de vie traditionnel japonais. Auparavant, lEmpire du Soleil Levant avait lhabitude de sapproprier des éléments apportés par dautres cultures et de les accommoder à la sienne, mais le village figé dans le conformisme ne saperçoit de lacculturation galopante des grandes villes nippones et refuse de voir les profondes mutations de la société. La confrontation entre deux mondes distints et distants ainsi que le choc des mentalités sont ici frontaux. La culture traditionnelle est incarnée par le compositeur de musique, Taguki (rendu aveugle par une blessure de guerre), qui soppose à la vacuité de Lili Carmen dont le talent se borne à interprèter des chansons sur des airs jazzy et à danser en se dévêtant. Après un incident à la fête où le directeur la expulsée en raison de son incorrection envers Taguki et sa musique, Lili Carmen décide de montrer par condescendance et orgueil létendue de son art aux villageois qui soit la considèrent comme une prostituée soit soffusquent de son impudence. Les deux pimbêches qui se veulent émancipées révèlent en fait leur naïveté, leur vulgarité et leur frivolité mais insufflent durant quelques jours dans le village un vent de liberté et daudace quelles remporteront avec elles. Pendant de la scène intiale avec leur arrivée à la gare, leur départ la fin du film marque lachèvement dune brève parenthèse dans la vie routinière du village qui repousse pour un bref laps de temps seulement le modèle occidental.
Keisuke Kinoshita caricature-t-il ainsi les personnages et lévolution des liens sociaux pour transmettre ce que lon perçoit aujourdhui comme un message féministe ? Dans les suppléments, qui présentent également des scènes commentées par Charles Tesson sans grand intérêt puisque le critique se contente de décrire ce qui se passe à lécran, lentretien du cinéaste par un journaliste au sourire un peu contraint est à cet égard édifiant. Keisuke Kinoshita expose sans ambages sa vision machiste de la société et prône une vision très traditionnelle du couple et de la famille. Il voit les femmes avant tout comme des mères et des épouses dévouées à léducation des leurs enfants et au bien-être de leurs maris. Le cinéaste se moque de lévolution du statut de la femme depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et regrette le temps des femmes souriantes et soumises.
Kuniko, lépouse du musicien Taguchi pleine dabnégation à légard de son mari et de son fils, incarne la figure positive de Carmen revient au pays tout comme le rôle de Hideko Takamine dans Jours de joie et de tristesse (Yorokobi mo kanashimi mo ikutoshitsuki, 1957) symbolise selon lui lexemple de la mère parfaite. Les propos tenus par le cinéaste vont apparemment à contre-courant des idées défendues dans le film et sabordent la portée subversive de celui-ci. Il sagirait donc plus dune critique des murs dévoyées des métropoles perverties par loccidentalisation et de la nostalgie de la perte inéluctable des valeurs ancestrales de la société japonaise ainsi que de celles du monde paysan. Les deux filles venues de la ville apparaissent comme des corps étrangers compromettant lharmonie du groupe et de la nature.
Appartenant à la même génération que Kon Ichikawa et Akira Kurosawa (3), et malgré une uvre prolixe comptant une cinquantaine de films notamment pour la télévision, Keisuke Kinoshita reste assez méconnu en France alors quau Japon il est considéré comme lun des plus importants cinéastes daprès-guerre. Le réalisateur sest dailleurs fait connaître dans son pays grâce au succès de cette comédie aujourdhui un peu kitsch et datée à laquelle il a donné une suite, avec également Hideko Takamine mais tournée en noir & blanc, des aventures de la stripteaseuse à Tôkyô L'Amour pur de Carmen (Karumen junjo su, 1952). Le cinéaste sillustre dans les mélodrames sentimentaux, les drames familiaux et les comédies de murs satiriques sur fond de réalisme social en portant un regard sur le monde souvent à travers une figure féminine. Dans Kekkon (1947) une femme entend choisir librement son mari, Le Tambour brisé (Yabure Daiko, 1949) est une remise en cause des valeurs sociales traditionnelles au travers la figure despotique dun père et Le Jardin des femmes (Onna no sono, 1954) se penche sur les revendications des étudiantes dun mouvement contestataire. Cela rend dautant plus incompréhensible et ambiguë la lecture a posteriori de Carmen revient au pays au vue de lentretien donné par Keisuke Kinoshita à la NHK en 1982.
LOmbre des Takeda
Neuf ans plus tard, Hideko Takamine est de nouveau dirigée par Keisuke Kinoshita dans La Rivière Fuefuki (Fuefuki gawa, 1960) où elle endosse le personnage diamétralement opposé, et peu à peu central, dune mère désirant conserver lunité familiale au sein du foyer. Tiré dun roman de Shichirô Fukazawa (4), ce jidai-deki retrace la vie rythmée par les guerres civiles du XVIe siècle (5) dune famille paysanne pauvre sur plusieurs générations. Pour sêtre illustré dans la bataille dIdagawara (1521) dans les rangs du daimyô Takeda contre le clan Suruga, Hanzô (Ryûsuke Daigenji) revient couvert de gloire. Son père napprécie cependant pas que son fils aîné entre au service dun puissant chef de guerre et devienne samouraï. Il incite son petit-fils Sadahei (Takahiro Tamura) à ne pas suivre la voie de son oncle mais à cultiver la terre. Les années passent, Sadahei a écouté les sages conseils de son grand-père et sest marié avec la courageuse Okei (Hideko Takamine).
Lhistoire de cette famille imaginaire est étroitement liée aux conflits réels de lépoque et aux désirs de conquête des Takeda, daimyô de la province de Kai (province du centre de Honshû au nord du mont Fuji). Après avoir vaincu le daimyô de la province dEchigo à la suite dune série de batailles de 1553-1564, Shingen Takeda réussit à défaire les armées de Nobunaga Oda à lissue de celle de Mitagahara en 1573 et meurt de maladie la même année. Le film dAkira Kurosawa, Kagemusha (1980), retrace son dernier combat et se nourrit des nombreuses légendes qui entourent ce seigneur. Son fils, Katsuyori Takeda, lui succède et tente daggrandir ses possessions. Cependant, les armées de Nobunaga Oda freinent définitivement ses ambitions lors de la bataille de Nagashino en 1581. Abandonné par ses alliés qui ont rejoint Oda, il doit son salut dans la fuite et se suicide lannée suivante.
Keisuke Kinoshita ne sattarde pas sur les scènes de batailles, qui donnent une chronologie au récit, mais centre son intérêt sur la difficile existence des paysans. Pour ces derniers, qui pâtissent des perpétuels conflits féodaux entre seigneurs, devenir guerrier constitue leur unique espoir de sélever dans la hiérarchie sociale et déchapper à une condition de vie miséreuse. Les femmes ont encore moins dalternative, la fille de Sadahei devient servante au château après que sa grand-mère s'est remariée à un riche marchand de soie de Kôfû. Leur ambition et leur dévotion au clan Takeda ne leur apporteront que drames, folie, haine, désir de vengeance. Ceux qui franchissent le pont reliant le cocon familial protecteur du foyer au reste du monde se dirigent vers une mort violente et seul Sadahei qui ne la jamais emprunté en réchappera. Tel un témoin impuissant, il assistera aux sacrifices et la disparition des siens tandis quOkei tentera dans un sursaut désespéré de sauver ses enfants.
Dans les suppléments, Keisuke Kinoshita se livre à des considérations assez générales sur sa carrière et le cinéma mais stipule cependant au cours de cet entretien que La Rivière Fuefuki reste lun de ses films préférés. Son opposition au féodalisme, qui opprime les individus, ainsi que son message pacifique diffèrent radicalement de lidéologie véhiculée par ses premières uvres de propagande réalisées pendant la guerre Le port en fleur (Hana saku minato,1943) et LArmée (Rikugun, 1944). Dans ce second film, les fils dune famille sont de fidèles et ardents patriotes dévoués à lEmpereur et sapprêtent à mourir pour lui et la patrie. Non par antimilitarisme mais plutôt pour rechercher un effet dramatique, le cinéaste montre linquiétude dune mère qui regarde partir les soldats au front. Cette scène ne fut pas censurée mais la Shôchiku renonça à lui confier ce genre de film après que le Bureau dInformation Publique lait qualifié de réalisateur «efféminé» peu enclin à valoriser leffort de guerre.
La première image colorisée en vieux rose de La Rivière Fuefuki offre la vision désolée dun champ de bataille où les corps de guerriers et de chevaux sans vie qui jonchent le sol témoignent dun affrontement sanglant. Keisuke Kinoshita utilise des filtres de différentes couleurs pour teinter uniformément lécran : un filtre bleu pour la nuit ainsi que des filtres rouges et verts pour les images en mouvement ou fixes des guerriers au combat. La couleur et la stase préfigurent ici la mort. La pellicule de ce film, tourné en noir et blanc, est parfois réhaussée dajout de tâches colorées. Des aplats de rouge auréolent une flamme, des couleurs chaudes (jaune, orange et rouge) apparaissent dans les scènes de combats et tout une gamme chromatique allant du vert au jaune anime les paysages. Les couleurs donnent une dimension onirique tout comme limmensité de la nature valorisée par des panoramiques, des vues aériennes et des longs travellings, qui contraste avec la fragilité de la vie humaine écourtée par des guerres dérisoires et destructrices.
La mort rôde sans cesse dans cet univers marqué par la religion bouddhiste entre destinée et réincarnation. Un spectre, figure récurrente du théâtre Nô, agitant une clochette annonce lugubrement de macabres prophéties tandis quune voix off psalmodie des vers sur limmuabilité de la nature face à la fragilité humaine : «Continue de couler rivière Fuefuki. Ta mélodie mélancolique persiste. Même si les mots ne lentendent pas». Lorsque Sadahei recueille létendard, unique vestige du clan décimé des Takeda, cette même voix conclut : «Il ne cesse jamais le flux de la rivière. Leau ne revient jamais là où elle a coulé. Indifférente aux pleurs et aux imprécations des humains. Leau bouillonne, écume et disparaît. Où sont passé les rêves dhier ?»
(1) Le Mont Asama est un volcan composite s'élevant dans le nord ouest de Karuizawa, entre les départements de Gunma et de Nagano au centre de lîle dHonshû.
(2) Actrice depuis lâge de cinq ans, Hideko Takamine, qui a déjà joué dans une comédie musicale Les Danseuses de Ginza de Koji Shima (Ginza kankan musume, 1949), est méconnaissable dans ce rôle de ravissante idiote qui tranche radicalement avec ses interprétations dans les films dramatiques de Mikio Naruse tels que LEclair (Inazuma, 1952) ou Nuages flottants (Ukigumo, 1955).
(3) Akira Kurosawa avec La Légende du grand judo (Sugata Sanshiro) et Keisuke Kinoshita avec Le Port en fleur (Hana saku minato) débutent ensemble à la Shôchiku en 1943.
(4) Keisuke Kinoshita signa la première adaptation au cinéma dun autre livre de Shichirô Fukazawa, La Ballade de Narayama (Narayama bushikô,1958) également édité en DVD par MK2.
(5) Période de totale anarchie où les daimyô et petits seigneurs se livrent à des guerres incessantes avant que le premier unificateur du Japon, Nobunaga Oda, n'y mette un terme dans les années 1570.
Corinne Garnier ( Mis en ligne le 13/07/2007 ) Imprimer | |
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