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Rencontre avec un auteur qui surprend
Un entretien avec Tracy Chevalier - auteur de Le Récital des anges
2002 /  2.07 € -
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Un entretien avec Tracy Chevalier, auteur de La Jeune Fille à la perle et Le Récital des anges

Parutions.com : Pourquoi avoir choisi cette forme de narration qui consiste à donner la parole à chacun des personnages l'un après l'autre ?

Tracy Chevalier : Au départ, le récit se déroulait à la troisième personne du singulier et par la bouche de Maud Coleman. J’ai fait intervenir ensuite les autres enfants, puis j’ai voulu mettre en valeur le personnage de Kitty. Le jeu des rééquilibrages m’a finalement conduite à donner la parole à chacune des deux familles, puis à tous les personnages les uns après les autres…

Parutions.com : Chacun de vos personnages a ses défauts et ses qualités, chacun se pense dans son bon droit, aussi bien dans Le Récital des anges que dans La Jeune Fille à la perle. D’où vous vient cette lucidité par rapport à vos personnages et à tout ce qu’ils représentent ?

Tracy Chevalier : Je considère que chacun a nécessairement du monde et des événements son opinion personnelle, différente de celle des autres. C’est pourquoi j’ai trouvé intéressant que chacun s’exprime : enfants et adultes, hommes et femmes, bourgeois et domestiques.

Parutions.com : Dans vos deux romans, les personnages semblent souvent très seuls, chacun gardant ses pensées pour soi. Est-ce seulement lié aux mœurs et mentalités des époques que vous évoquez ou cherchez- vous à exprimer quelque chose de plus profond au sujet de la solitude ?

Tracy Chevalier : Il est assez curieux que dans un monde où l’on vivait en vase clos, dans un cercle familial qui ne laissait pas de place à l’intimité, les gens conservaient des secrets au fond d’eux-mêmes. Et je pense en effet que chacun a sa propre vie intérieure et qu’on est plus ou moins seul avec ses pensées.

Parutions.com : Il y a un personnage que l'on entend à peine tout au long du roman et qui a pourtant une importance cruciale. Que représente exactement Ivy May , quel est son rôle dans l’intrigue ?

Tracy Chevalier : Ivy May est à la fois un témoin et une victime, comme cela s’est imposé à moi progressivement à mesure que se déroulait le récit. Son rôle est extrêmement symbolique, car son destin est d’être sacrifiée à cause de son innocence.

Parutions.com : Caroline Black n’intervient qu’à la moitié du roman, réveillant Kitty Coleman de la torpeur où elle s’enfonçait. Pourtant, une ambiguïté persiste : qu’est-ce qui pousse exactement Kitty Coleman à adopter la cause des suffragettes ? Son insatisfaction et son désarroi ou un intérêt réel pour leur cause ?

Tracy Chevalier : L’ambiguïté est tout à fait volontaire de ma part. De nombreuses suffragettes étaient des bourgeoises sans occupation ni but dans la vie, et certaines s’engagèrent avec hystérie dans la cause des suffragettes. L’insatisfaction et le désespoir de Kitty Coleman l’ont effectivement jetée dans les bras de Caroline Black, avant que la cause ne devienne sa raison de vivre.

Parutions.com : Le roman commence par la mort de la reine Victoria et se termine par celle du roi, il commence et se termine aussi par une rencontre au cimetière, où se déroule une grande partie du récit. Pourquoi ce choix ? Qu’avez-vous voulu exprimer en rendant la mort omniprésente et en la présentant sous des aspects si différents ?

Tracy Chevalier : Au temps de Victoria, la mort avait quelque chose de théâtral et pompeux, ainsi qu'en témoignent des cimetières comme celui de Highgate (près duquel j’habite). La mort et la vie étaient liées, et soumises à différentes règles de comportement. Après la mort de la reine, la religion a commencé à perdre de sa puissance, une certaine modernisation sociale a eu lieu. Mais le vrai changement est intervenu après la Première Guerre mondiale : trop d’hommes étaient morts dans des conditions épouvantables et en terre étrangère pour que les fastes et l’étiquette liés à la mort à la fin du XIXe siècle puissent perdurer sans indécence.

Parutions.com : Pourquoi avoir choisi l’Europe comme cadre à vos deux romans ?

Tracy Chevalier : Je vis en Angleterre depuis 1984 et je me sens européenne au moins autant qu’américaine. Je ne sais pas si j’écrirai un jour un roman se déroulant aux Etats-Unis…

Parutions.com : Pourquoi avoir choisi ce contexte historique et social ?

Tracy Chevalier : J’ai trouvé intéressant d’écrire un livre sur les femmes, et l’époque comme le contexte s’y prêtaient particulièrement. Le Récital des anges est donc un livre de femmes.

Parutions.com : Avez-vous le goût de l’Histoire ?

Tracy Chevalier : J’aime énormément faire des recherches, et je préfère écrire des romans situés dans le passé. Le lecteur croit plus volontiers ce qu’on lui dit d’une époque qui n’est pas la sienne, le champ des possibles est donc plus vaste pour l’auteur aussi. La vie contemporaine, c’est assez de la vivre déjà ! Et puis tout change trop vite : ce que j’écrirais aujourd’hui ne serait plus vrai dans dix ans. Je préfère choisir des sujets universels et qui s’inscrivent dans la durée.

Parutions.com : On a parlé d’ "écriture visuelle"" au sujet de La Jeune Fille à la perle, et il vous a semblé, avez-vous dit, que Vermeer vous en dictait la teneur à travers son tableau. En dehors de la source d’inspiration qu’a été pour vous ce tableau, la peinture joue-t-elle un rôle dans votre vie ?

Tracy Chevalier : Non, pas vraiment, il s’est passé quelque chose de particulier avec ce tableau-là. J’en avais le poster dans ma chambre, et petit à petit je me suis demandé : "Mais que s’est-il passé entre cette jeune fille et Vermeer pour qu’elle le regarde ainsi ?" Voilà comment est né le roman !

Parutions.com : Est-il toujours question d’un film sur La Jeune Fille à la perle ? Que pensez-vous de ce projet ?

Tracy Chevalier : Je suis très contente à l’idée de ce film, dont le tournage, qui commence en septembre, sera dirigé par un réalisateur anglais. A priori, le script colle au livre autant que possible. Nous ne savons pas encore qui incarnera la jeune fille à la perle mais c’est Ralph Fiennes qui jouera Vermeer.

Parutions.com : Plus généralement, à quand remonte votre choix de l’écriture et d’où vient-il ?

Tracy Chevalier : J’ai toujours été passionnée de lecture et j’ai commencé à écrire des nouvelles à l’âge de vingt ans. Après avoir travaillé dans l’édition, j’ai décidé de franchir le pas de l’écriture et j’ai passé un diplôme de "creative writing".

Parutions.com : Quel sens donnez-vous à l’écriture ? En écrivant, poursuivez-vous un but particulier ?

Tracy Chevalier : C’est dangereux, de poursuivre un objectif particulier en écrivant ! Je pense que le plus important, c’est d’abord tout simplement une histoire bien construite et bien écrite. C’est cela que cherche le lecteur avant tout.

Parutions.com : La Jeune Fille à la perle a eu un immense succès. Vous a-t-il surpris ? Quel regard portez-vous sur ce succès en particulier et sur le succès en général ?

Tracy Chevalier : Le succès de La Jeune Fille à la perle m’a beaucoup surprise : considérant le thème que j’avais choisi, je pensais que seuls quelques passionnés liraient le livre! Quant au succès en général, il passe de tout façon après ma vie privée. Mais j’apprécie beaucoup le succès que l’on peut avoir en tant qu’écrivain car il ne vous livre pas au public, contrairement au succès que peut avoir un acteur. L’écrivain est plus protégé.

Parutions.com : Quels sont vos projets d’écriture ?

Tracy Chevalier : Je suis en ce moment fascinée par la tapisserie de La Dame à la Licorne qui se trouve au musée de Cluny et je fais de nombreuses recherches à ce sujet…


Propos recueillis par Bénédicte Roullier
( Mis en ligne le 26/04/2002 )
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