annonce rencontre site de rencontre rencontre femme rencontre blog
L'actualité du livre et du DVD Vendredi 22 octobre 2004
LE LIVRE
LE DVD
 
  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE
LE LIVRE
Notre équipe
Littérature
Rentrée littéraire 2004
Romans & Nouvelles
Récits
Biographies & Correspondances
Essais littéraires & histoire de la littérature
Policier & suspense
Fantastique & Science-fiction
Poésie & théâtre
Poches
Divers
Entretiens
Portraits
Essais & documents
Philosophie
Histoire & sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Littérature  ->  Récits  
 

Choses vues et choses prévues
Joseph  Roth   A Berlin
Le Rocher - Anatolia 2003 /  3.21 € -  21 ffr. / 220 pages
ISBN : 2 268 04863 2
FORMAT : 14 x 22 cm

Traduit de l'allemand par Pierre Gallissaires.
Imprimer

Cela commence par une balade, en 1921, sur le Kurfürstendam. Les Champs-Élysées berlinois, vus par Joseph Roth, ne sont qu’une artère villageoise élargie. «Ce que je vois», commence ce Fargue de la République de Weimar errant «comme un chien» le long des murs, «ce que je vois, c’est le trait, ridiculement inapparent, dans le visage de la rue et du jour». Son Berlin est un portrait sur le vif, nuancé de touches infimes – un cheval triste, un ramasseur de mégots, un attrapeur de mouches… Ces «petits riens de la vie», matière à romans boviens, négligés par «les éditoriaux des grands journaux», écartés de l’épopée nationale, parlent davantage au chroniqueur que les discours au Reichstag, les réclames en couleur et les escalators flambant neufs des magasins. C’est un monde de cabaretiers, de vendeuses de lacets, d’éclopés de la guerre, de contrebandiers, de brigadiers et de mouchards, de filles et de souteneurs, de mendiants et de bookmakers, d’officiers russes en exil et de Juifs fuyant les pogromes, d’usuriers métaphysiques, de crieurs de journaux, de barbiers, de bébés et de cadavres, baignant dans une odeur d’oignons frits, de lait suri, de crasse et d’hydromel.

Pour Roth l’hypersensitif, ce sont là autant d’anémomètres placés aux carrefours de l’Histoire, dans un temps où l’inessentiel s’affiche en caractères géants, alors que «ce qui s’annonce en grand est de peu de poids et de faible contenu». Ce pourrait être un hymne unanimiste, s’il n’était gâché par la taylorisation du moindre vestige de nostalgie en bien de consommation, de la nature en décor périurbain indexé au Baedeker, de la ville en support publicitaire, de la joie de vivre en «gaieté industrialisée», et du peuple miséreux du quartier des Granges, déversoir d’immigrés, en chair à propagande et bientôt en bois à bûcher.

Au-dessus d’un amas de galetas, de tripots, d’asiles, de bains publics et de brasseries, s’élèvent les premiers «très grands magasins» et les premiers gratte-ciel. Au détour des rues défoncées et des nœuds ferroviaires, les cinémas ont l’air de mosquées et les gares d’églises, telle est la confusion de l’époque. Cette modernisation forcenée voudrait cacher l’«avalanche de malheur et de saleté» déferlant sur une Allemagne qui se rêve Amérique. Une Babel d’exclus et de parvenus, avec ses tours bâties sur des taudis. Mais à quoi bon cette démesure ? À quoi bon cette ambition ? «Si nous réussissons à construire un gratte-planètes et à bâtir sur Mars, l’expédition des savants et des ingénieurs serait escortée par une compagnie coloniale pour l’implantation de bistrots.» On n’en est plus si loin.

Ce recueil de choses vues et de choses prévues s’achève provisoirement en 1933, à Paris, dans les colonnes des Cahiers juifs. Ce que voit maintenant Joseph Roth, expatrié, c’est le résultat d’une entreprise de mise au carré non seulement des villes et des campagnes, mais encore des masses humaines. C’est l’autodafé des hommes qui suivra l’autodafé des livres, car n’est-ce pas tout simplement rationnel ? Dès 1924, à Berlin, Roth observait, ahuri, «les boy-scouts de la politique, avec sandales, gourdins et couteaux» ; ce n’était encore que pour graver des svastikas sur les troncs. Les mêmes, neuf ans plus tard, sont devenus des «orangs-outangs mécanisés», et le plus tragique est d’observer que ce culte du pas cadencé hérité de Bismarck, cet étouffement du «véritable esprit allemand» ait converti jusqu’aux Juifs eux-mêmes. Dès l’avènement d’Hitler, Roth peut annoncer à la fois le triomphe de «la civilisation païenne des gaz asphyxiants» et la défaite avérée des écrivains juifs (pour lui, presque un pléonasme), premiers à «tomber pour l’Europe».

Le plus extraordinaire n’est pas que Roth écrive, dix ans avant l’Holocauste : «Aujourd’hui nous sommes brûlés par l’Allemagne», c’est qu’en 1933, il présente à ses congénères la facture de dix années de capitulation. Car depuis 1920, observant la xénophobie transformer les Juifs de l’Est en alibi électoral, Roth devine que l’Allemagne ne se relèvera que sur la dépouille de ses parias. Il sait aussi que les Juifs qu’il aime sont comme lui «dépouillés des formes grossières de la “nationalité” : État, guerres, conquêtes et défaites», et que le culte du «foyer» juif est une «inquiétante disposition d’esprit», le sionisme une «dégradation momentanée du judaïsme», dont le génie propre est de planer à la surface du monde, sans terre à abreuver de sang. Le nationalisme, hélas, est parmi les peuples le vice le mieux partagé…

Joseph Roth est mort en exil, à Paris, en 1939. Le «saint buveur» était prophète, il fut donc chassé de son pays. Il était devenu l’une des silhouettes précaires de ses chroniques urbaines, rassemblées dans cet émouvant et passionnant volume, auquel ne manque qu’une introduction.


Olivier Philipponnat
( Mis en ligne le 30/01/2004 )
Imprimer
 
 
SOMMAIRE  /   ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  /  
 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2004  
rencontre coquinesvpmonsite.com rencontre femme chat rencontre rencontre homme