|
|
| Bande dessinée -> Réaliste |
|
|
Jean-Claude
Forest Enfants c’est l’Hydragon qui passe
Casterman - Classiques 2004 / 1.91 € - 12.50 ffr. / 64 pages
ISBN : 2-20339703-9
FORMAT : 22 x 29,5 cm
Imprimer
Derrière ce mystérieux titre tiré d’un poème qui resterait à écrire, se cache l’une des plus belles réussites artistiques de Jean-Claude Forest. Celui qui faisait tourner la tête à ses lecteurs (et à la censure !) avec les frasques de l’indomptable et provocante Barbarella, redevenait le temps d’un album un conteur hors pair, sensible et étonnant, capable de rassembler dans une même intrigue l’intimité des relations familiales et la grandeur d’une aventure extraordinaire.
L’Hydragon, c’est la péniche dont le jeune Jules est le capitaine. Avec son père, Henri, et monsieur Ferdinand, dit aussi l’Original, le voilà à naviguer sur les canaux européens. Et ce qui ne devait être qu’un court voyage de dix jours deviendra vite le quotidien de ce garçon d’une dizaine d’années. Laissant sa mère à Paris, après une ultime dispute, et fuyant un étrange espion venu du froid. C’est que l’Original détient des secrets – dont un mystérieux micro-film – qu’il ne faudrait surtout pas voir tomber dans de mauvaises mains.
On le sent rapidement au fil de la lecture, l’histoire suivant une trame obscure et quelque peu décousue, entre roman d’espionnage et complot politique, n’est qu’un prétexte pour Forest. Ce qui prime dans cette aventure à 6 km/h, c’est l’atmosphère. Avec son style graphique reconnaissable entre mille, l’auteur distille à chaque page une ambiance toute particulière, entre moments du quotidien et rêverie éveillée. Ici, c’est la chaleur du foyer familial un soir d’anniversaire, plus loin c’est le petit matin sur les berges de la Seine, et le fleuve qui appelle au départ. La prose, élégante et riche, de Forest insuffle à ces images une réelle profondeur et de belles émotions.
Et surtout, Forest parle de sentiments. C’est une histoire d’amour entre un père et son fils. Leur difficulté à se parler parfois, et leur perpétuelle attention l’un envers l’autre. Jules, loin de sa mère et protecteur pour son père, grandira plus vite que prévu. À la tête de l’Hydragon, il concrétisera ses envies de voyages et d’aventures. Et, grand héros de bande dessinée avant tout, il comblera les attentes du petit enfant imaginatif et rêveur qui sommeille en chacun de nous.
Il y a dans cet album de lointains échos provenant de romans Jules Verne (cette péniche à tête d’oiseau), mais aussi du Sans Famille d’Hector Malot et de toute une littérature populaire qui a bercé l’enfance de Forest. L’auteur le dit lui-même dans la post-face qui termine cette réédition, il ne voulait pas de fin à cette histoire, pour ne pas laisser le lecteur face à «l’angoisse de la fatale perspective», lorsqu’apparaît le mot FIN. Ici, on laissera Jules face à un destin incertain mais ô combien plus sincère et vrai qu’un dénouement banal.
On pouvait craindre que les récits de Forest, très écrits et bavards (voir aussi Ici Même avec Tardi au pinceau), n’aient pris un peu trop d’âge. Il n’en est heureusement rien, et cette nouvelle édition, vingt ans après, devrait satisfaire les bédéphiles de tous horizons et de tous âges.
Alexis Laballery
( Mis en ligne le 30/05/2004 )
Imprimer |
|
| |