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Dossier CLAUSEWITZ (1780-1831)
Entretien avec Hervé Coutau-Bégarie
Théorie du Combat
A l'écoute de Clausewitz
Clausewitz, chronologie et bibliographie

Entretien avec un spécialiste de la pensée militaire
Entretien avec Hervé Coutau-Bégarie
2001 /  2.28 € -

Auteur de nombreuses publications notamment du Traité de stratégie, Hervé Coutau-Bégarie est directeur d'études à l'École Pratique des Hautes Études et président de l'Institut de Stratégie Comparée.



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Qu'est ce qui rend l'appréhension de la guerre chez Clausewitz si nouvelle par rapport aux stratèges qui l'ont précédé?

Quelle est la nouveauté radicale de Clausewitz? Eh bien, il n'est pas certain qu'il y ait une nouveauté radicale, dans la mesure où, au fond, ce que fait Clausewitz, Sun Zi l'a fait avant lui. Il a vraiment posé des questions sur la nature de la guerre, sur les fins ultimes de la guerre. Mais Clausewitz l'a fait avec beaucoup plus d'ampleur que Sun Zi, dont le texte représente une vingtaine de pages d'un ouvrage contemporain. Le grand mérite de Clausewitz est d'avoir posé le problème de la guerre dans sa globalité et d'avoir essayé d'en analyser toutes les implications, non seulement quant aux fins mais également dans la conduite de la guerre.
Ce qui m'a toujours paru très frappant à la lecture de Clausewitz, c'est de voir que la moindre question, la plus prosaïque, comme le franchissement des marais ou des fleuves, la défense des montagnes, se trouve immédiatement reliée au problème central de la nature et des fins de la guerre. Autrement dit, il y a vraiment chez lui ce que le général Poirier a appelé le détour théorique, l'exigence théorique. Clausewitz ne donne pas des recettes de victoire, mais fait prendre conscience du phénomène guerre, comme dirait Bouthoul, avec toutes les implications philosophiques et politiques, qu'elle peut avoir.


Fut-il un philosophe?

Oui et non.
Non, parce que ce n'est pas un philosophe de formation et de profession, ses centres d'intérêt sont quand même nettement circonscrits à la guerre, il n'a pas un vocabulaire rigoureusement philosophique. On n'est pas sûr qu'il ait lu Hegel. Liddell Hart lui a trouvé une filiation avec Kant, et Alexis Philonenko qui connaît vraiment bien Clausewitz et Kant, s'est contenté de noter sobrement que Liddell Hart ne connaissait absolument rien à la pensée de Kant. De ce coté là, il ne faut pas chercher un véritable philosophe au sens aristotélicien, ou platonicien du terme.

En revanche, ce qui est vrai, c'est qu'il a une méthode proprement philosophique, il pose des concepts et il cherche à en déduire, par un raisonnement aussi rigoureux que possible, toutes les implications. Cela n'apparaît pas tellement pour le lecteur pressé dans Vom Kriege dans la mesure où c'est un gros livre avec tout de même un certain nombre d'exemples. Quand vous prenez sa Théorie du combat qui aurait dû être l'embryon d'un traité de tactique qu'il n'a pas eu le temps d'écrire et que je viens de faire traduire en français vous voyez que c'est une suite d'axiomes, d'aphorismes qui s'enchaînent logiquement en cent pages d'étude sur le combat, il réussit l'exploit de ne donner qu'un seul exemple concret. Tout le reste est une démonstration théorique du combat idéal. La méthode clausewitzienne, c'est cela. Elle s'oppose radicalement à celle de Jomini. Jomini raisonne à partir de l'expérience, sa méthode est fondamentalement historique. Clausewitz souligne l'intérêt de la méthode historique, il s'en réclame même, mais, lui, il va au-delà; il part vraiment de l'essence fondamentale de la guerre. Ce qu'il recherche ce n'est pas la traduction localisée du phénomène guerre, mais bien des invariants de la guerre.

Quelle fut la place de Clausewitz dans la pensée militaire allemande au XIXe siècle?

On l'a beaucoup surévaluée par la suite dans la mesure où, à partir du moment où il est devenu la référence canonique, on en a déduit qu'il avait eu une grande influence dès le départ. En fait, ce n'est que partiellement vrai. Ses oeuvres ont été publiées en dix volumes de 1832 à 1837 par sa veuve et, près de vingt ans après, la première édition tirée à 1500 exemplaires n'était toujours pas épuisée. La vente d'un peu plus d'un millier d'ouvrages en une vingtaine d'années ne témoigne tout de même pas d'une diffusion très considérable. Quand on y regarde d'un peu près, il est très clair qu'au XIXe siècle, au moins jusqu'en 1870, les grands hommes ont été Jomini, son grand rival suisse, qui a eu une influence inouïe, mais également des auteurs qu'on ne lit plus comme Valentini avec son Traité de la grande guerre ou le général Willisen avec sa Théorie de la grande guerre. Après 1870, les auteurs à la mode ont été Rustöw et Lewal.


Donc on ne peut considérer que l'oeuvre posthume de Clausewitz ait fait école?

Un certain nombre de gens en ont immédiatement saisi l'intérêt. Il est très frappant de voir que dès 1845, paraît un résumé français; dès 1834, une revue anglaise publie des extraits; dès 1836 ou 1837, malgré l'emprise de Jomini sur l'école russe, les généraux Medem et Bogdanovich commencent à parler de lui dans leurs cours à l'académie militaire de Saint-Petersbourg. Donc les auteurs les plus éminents ont tout de suite perçu l'intérêt de l'oeuvre de Clausewitz. Mais c'était quant même une oeuvre trop philosophique, trop complexe pour obtenir une large audience.
En fait, Clausewitz n'obtient une large audience que postérieurement à la guerre de 1870, moins pour ses propres mérites que parce qu'il devient la légitimation théorique de la nouvelle puissance dominante.


Peut-on considérer qu'il y ait eu utilisation idéologique de Clausewitz dans le cadre du pangermanisme?

C'est évident. Vous pouvez lire Clausevitz de deux manières: comme on le fait aujourd'hui en tant que théoricien, théoricien de la guerre sous toutes ses formes, y compris de la guerre révolutionnaire. Vous avez même aujourd'hui des auteurs américains qui transposent les enseignements de Clausewitz à la guerre aérienne, c'est le cas du colonel Boyd, ou même à la guerre spatiale.
Mais vous avez une autre lecture qui a dominé pendant très longtemps, qui est la lecture du doctrinaire, et Clausewitz est le doctrinaire du militarisme prussien. Celui-ci a cherché dans son oeuvre la justification de sa puissance, de ses victoires, et il l'a trouvée.
Il faut partir de l'idée que le lecteur retient ce qui est le plus facile, que la plupart des lecteurs se caractérisent par un refus de la complexité. Et bien ces lecteurs de base ont trouvé chez Clausewitz l'insistance sur la bataille décisive, sur la stratégie directe que Delbrück, le grand historien, appellera plus tard la stratégie d'anéantissement. Ce n'est que par des relectures beaucoup plus subtiles, à partir de textes souvent secondaires, que l'on est parvenu à montrer une image beaucoup plus complexe et contrastée de Clausewitz.


Clausewitz fut-il utilisé par les libéraux allemands?

Pas vraiment, à ma connaissance, il était quand même militaire, général prussien, très convaincu de la supériorité de la Prusse, animé par une haine des Français. Même s'il n'était pas réactionnaire, il était quelque peu sceptique à l'égard de l'évolution du monde, et on ne peut pas dire que son oeuvre soit un plaidoyer pour la paix, ni pour le commerce, même s'il compare la guerre à un commerce. Il faudrait étudier cela de très près, ce que je n'ai pas fait. Mais je ne pense pas véritablement que les libéraux s'en soient servi. Certains d'entre eux ont pu le lire pour leur instruction personnelle, mais il n'a jamais passé pour un parangon ou un théoricien du libéralisme.


Quelle fut la réception de Clausewitz en France au XIXe siècle?

Comme dans beaucoup de pays. Au départ, elle a été très lente et plutôt calme. Dès 1845, on a un premier résumé par Louis de Szafraniec-Bystrzonowski, puis en 1853 un commentaire fait par un polygraphe du Second Empire, qui a été très lu par les officiers français, le capitaine de Labarre-Duparcq, et surtout on a, dès 1849, une première traduction de Vom Kriege qui est faite par un officier belge, le major Neuens. Neuens va donner une traduction qui n'est pas déshonorante, quoiqu'en ait dit ultérieurement Denise Naville, qui décrie ses prédécesseurs comme tout le monde. Mais évidemment cette traduction a été faite assez rapidement par quelqu'un qui n'a pas vraiment saisi toute l'ampleur du système clausewitzien.

Au fond, l'idée qui est encore bien exprimée à la fin du XIXe siècle par le commandant Grouard, l'un des grands noms de la théorie militaire française, c'est qu'une armée qui a à sa disposition Napoléon, Jomini, Gouvion-Saint-Cyr, et éventuellement l'archiduc Charles et le maréchal
Marmont, n'a pas besoin d'un général prussien pour se forger sa théorie de la guerre. Ce n'est qu'après 1870 que l'on se met à copier le modèle prussien. C'est ce qu'un historien des idées a appelé "la crise allemande de la pensée française", on se met vraiment à étudier Clausewitz à partir des années 1880. Et de 1880 à 1905, il y a une véritable vogue clausewitzienne qui touche la France en premier, on retraduit Clausewitz, mal d'ailleurs, c'est le colonel Vatry qui s'en charge. On traduit la plupart de ces campagnes, car il a écrit des campagnes en assez grand nombre, on le commente beaucoup, et on le lit. C'est une lecture presque obligatoire à l'École supérieure de guerre.


Les lectures de Clausewitz qui seront faites au sein de l'École supérieure de guerre avant 1914 ne sont-elles pas partielles?

Toutes les lectures sont partielles. Quand vous lisez votre ennemi, car Clausewitz est un Allemand, même un Prussien, et que vous êtes Français avant 1914, animé par le souvenir de 1870, par l'idée de la revanche, bien évidemment vous faites une lecture partielle. En plus, le problème de l'époque est un problème éminemment concret. Clausewitz, aujourd'hui, nous le lisons à la lumière des sciences sociales pour trouver une épistémologie, à la limite je dirais même une herméneutique pour employer un terme à la mode. Les officiers français dans les années 1880-1900 le lisent pour retrouver des recettes pour le succès, car la stratégie à cette époque-là, moins que jamais, n'est pas un savoir gratuit, c'est un savoir qui doit donner la victoire. "Savoir pour pouvoir", c'est la devise de Foch et de l'École supérieure de guerre.
Clausewitz est lu dans ce contexte là. Cela dit, cette lecture, au fond, n'est pas tellement plus partielle que la lecture allemande de la même époque. Tout ce qui fait la complexité de la pensée clausewitzienne, et notamment cette relation intime, intrinsèque entre la politique et la guerre se trouve éliminé pour ne garder qu'un Clausewitz théoricien de la grande manoeuvre qui doit aboutir à la victoire décisive. On a même trafiqué le texte de Clausewitz: une phrase a été modifiée pour faire disparaître la préséance du cabinet sur le commandant en chef.


Y a-t-il eu une récupération idéologique de Clausewitz par le national-socialisme?

Les nazis se sont réclamés de Clausewitz comme d'un grand modèle allemand. Mais enfin on ne peut pas dire qu'ils en aient fait une consommation outrancière. Clausewitz a été réédité à plusieurs reprises sous le régime, il a même été question d'une édition des oeuvres complètes qui n'a pas abouti et qui fait toujours défaut; nous n'avons pas aujourd'hui d'oeuvres complètes de Clausewitz, ce qui est tout de même gênant. Mais enfin, on ne peut pas dire que cet auteur ait été parmi leurs préoccupations premières. Clausewitz a quant même, il faut être honnête, un style particulièrement complexe. Vom Kriege est un gros livre qui est difficile à lire, extrêmement militaire. Ce n'est que très récemment qu'on y a trouvé l'embryon d'un système qui n'est pas uniquement militaire. Oui le nazisme s'en est servi, comme il s'est servi de tous les grands hommes, tous les grands noms du panthéon prussien, mais finalement sans plus. L'Union Soviétique en a fait usage au moins autant et même un peu plus. Dans les années 1930, on l'a réédité presque chaque année en russe, et on l'a traduit en ukrainien, en biélorusse. On a traduit la plupart de ces campagnes. On l'a vraiment pris au sérieux dans la Russie soviétique avant que Staline n'y mette fin juste avant la guerre par les purges.


Que reste-t-il de la pensée de Clausewitz à l'ère atomique?

Il reste toute la méthode de pensée, précisément cette méthode philosophique qui consiste, à partir des concepts, à poser toujours comme principe de relier les moyens aux fins, d'établir le rapport entre l'objectif militaire et le but politique, d'établir cette relation permanente entre la stratégie militaire et une dimension supérieure, le plan de guerre chez Clausewitz, ce que nous appellerions aujourd'hui la conduite diplomatico-stratégique, en clair de faire d'abord et avant tout de la guerre la continuation de la politique par d'autres moyens ou avec d'autres moyens, et non pas seulement un acte de violence irraisonnée. Il reste aussi chez lui la théorie de la guerre absolue, qui n'est qu'un concept chez lui. La guerre absolue ne s'oppose pas à la guerre limitée, mais à la guerre réelle. Et la distinction qu'il a entrevue, que son grand commentateur Delbrück a développé, entre stratégie d'anéantissement et stratégie d'usure, est devenue réelle à l'époque contemporaine. La stratégie d'anéantissement, qui n'était dans sa forme ultime qu'un concept chez Clausewitz, est devenue, avec la bombe atomique, une réalité au moins virtuelle.


Peut-on considérer Clausewitz comme un penseur moderne tel que l'a définit Foucault, c'est à dire sans école, utilisant une intelligence prospective, une volonté de comprendre l'essence même du sujet abordé pour cerner le sujet lui-même, et ayant une démarche ontologique, c'est à dire basée sur la science du fondement de la connaissance appliquée à l'actualité?

Oui, encore que je sois très peu sensible aux envolées foucaldiennes. Foucault était un esprit faux et je crains fort qu'il ne reste pas grand chose de son oeuvre. Tout cela est très bien dit mais c'est très pompeux et un peu phraseur. Des penseurs " modernes" on en trouvera à toutes les époques, et, à l'inverse, saint Thomas d'Aquin est un monument de la pensée que l'on ne peut pas précisément considérer comme moderne, mais nos philosophes modernes peuvent toujours s'accrocher pour arriver à faire le centième de ce qu'a fait l'Aquinate. Il ne faut pas tomber dans ces catégories. André Glucksman se situe dans ce prolongement, c'est à dire une lecture je dirais presque hermétique de Clausewitz et j'adhérerais plutôt à ce qu'un historien suisse, Jean-Jacques Langendorff, a appelé "l'École de la ligne claire", par référence au dessinateur Hergé. Il ne faut pas chercher à compliquer encore des problèmes qui sont très complexes, souvent subtils. Clausewitz est compliqué, mais il n'est pas abscons. Et il essaie de poser dans leur globalité, dans toute leur dimension des problèmes complexes, mais comme, il le dit lui-même, il les pose dans une langue accessible. "Il faut avoir des livres, dit-il, dans lesquels le lecteur sait ce qu'il lit et l'auteur sait ce qu'il dit". C'est une exigence qui est parfois perdue de vue à notre époque.

Est-il aujourd'hui pertinent d'enseigner la pensée clausewitzienne dans les écoles de commerce?

C'est comme Sun Zi qu'on sème beaucoup dans les écoles de commerce!
J'ai personnellement les plus grands doutes à ce sujet dans la mesure où le commerce et la guerre ne sont pas des activités comparables, leurs logiques sont différentes. On peut toujours enseigner Clausewitz car c'est un homme suprêmement intelligent, et on a toujours quelque chose à apprendre de la fréquentation d'un homme intelligent. Si vous faites de la théologie, il n'est pas possible que la fréquentation de saint Thomas d'Aquin , ou de saint Bonaventure, ou du bienheureux John Duns Scot ne vous rende pas plus intelligent, car quand vous avez affaire à des sommets de la pensée, vous devez nécessairement en tirer profit, à moins d'être totalement idiot, ce qui peut éventuellement arriver. Mais enfin, il n'est pas absolument obligatoire de commencer par la théologie pour étudier la stratégie et il n'est pas non plus obligatoire de commencer par la stratégie pour apprendre le commerce. Il y a d'autres disciplines certainement mieux adaptées.


Propos recueillis par Michel Roucaud
( Mis en ligne le 06/04/1999 )
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