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Dossier CLAUSEWITZ (1780-1831)
Entretien avec Hervé Coutau-Bégarie
Théorie du Combat
de Carl von Clausewitz
A l'écoute de Clausewitz
de Gil Fiévet
Clausewitz, chronologie et bibliographie

Aron, penseur de Clausewitz

2001 /  2.28 € -

Nicolas Baverez, historien et économiste est notamment l'auteur de Raymond Aron, un moraliste aux temps des idéologies (Flammarion, 1993, réédition, "Champs", 1995), et Les Trente piteuses (Flammarion, 1997, réédition, "Champs", 1998).

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"L'investigation et l'observation, la philosophie et l'expérience ne doivent jamais se mépriser ni s'exclure mutuellement; elles sont garantes l'une de l'autre"
Karl von Clausewitz

"Riches de moyens, ignorant les fins, les hommes oscilleront entre le relativisme historique et l'attachement irraisonné et frénétique à une cause. Le philosophe est celui qui dialogue avec lui-même et avec les autres, afin de surmonter en acte cette oscillation. Tel est son devoir d'Etat, tel est son devoir à l'égard de la cité"
Raymond Aron


Rien ne prédisposait Raymond Aron à devenir le commentateur le plus érudit et le plus marquant de Clausewitz au XXème siècle. La distance semble en effet infranchissable entre le général prussien, conservateur et monarchiste, animé par la haine de la France qu'il a combattue tout au long des guerres de la Révolution puis de l'Empire, et le philosophe français, libéral et européen, imprégné de l'esprit des Lumières et des idéaux de la République. Et le principe de l'ascension de la violence aux extrêmes élaboré dans Vom Kriege, paraît se situer aux antipodes du plaidoyer aronien en faveur d'un pouvoir modéré et raisonnable, ancré dans la vertu des citoyens et la sagesse des dirigeants.

Pourtant, la redécouverte par Aron de Clausewitz , qui constitue le pendant dans l'ordre stratégique de sa relecture de Tocqueville dans l'ordre politique, ne doit rien au hasard.
En réintroduisant la complexité, la tension entre la violence et la raison, entre l'intelligence et les passions dans la vie et de l'oeuvre de Clausewitz, Aron rend une dimension universelle à un penseur trop sérieux pour être abandonné aux militaires et au nationalisme allemand.
Vom Kriege fut longtemps réduit à la définition fameuse de "la guerre comme continuation de la politique par d'autres moyens" ou au culte de l'offensive, alors que les thèses de Clausewitz explorent la combinaison et les antinomies de la réflexion et de l'action, de la stratégie et de la politique, de l'entendement et des sentiments, de la force et de la raison.

L'interprétation de Clausewitz par Aron s'ordonne dès lors autour d'un triple enjeu: personnel avec la rencontre de deux destins croisés; intellectuel avec la volonté de penser la guerre absolue, qui est l'objet a priori le plus étranger à la philosophie; moral avec l'ambition de maîtriser la violence par l'exercice de l'intelligence et d'asseoir le primat du politique jusque dans le recours aux armes.

Tout semble opposer les trajectoires de Clausewitz et d'Aron: le premier, issu d'une famille d'officiers prussiens, s'est voué très jeune au métier des armes et à son Roi, portant toute son admiration à Frédéric le Grand; le second, issu d'une famille lorraine d'origine juive, est un pur produit de la République des professeurs, dont la formation, de l'Ecole normale à la Sorbonne de Léon Brunschvicg en passant par l'agrégation de philosophie, a été dominée par la haute figure de Kant. Mais ces deux caractères si dissemblables se rejoignent dans le choc de l'histoire qui a bouleversé de façon parallèle, des guerres napoléoniennes aux conflits mondiaux du XXème siècle, le cours de leurs existences et leurs choix de vie.

*

Le premier point commun est à chercher dans un patriotisme intransigeant, qui les conduisit, face à l'occupation de leur pays, à opter pour l'exil afin de résister: Clausewitz quitta en 1811 le service du Roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II, pour poursuivre la lutte contre Napoléon au sein des armées du tsar Alexandre Ier; Aron répondit à l'appel du général de Gaulle en juin 1940 et rejoignit la France Libre à Londres, avant de connaître en France, à partir de 1947, un isolement complet du fait de son anticommunisme.
Tous deux payèrent chèrement cet engagement radical en devenant des proscrits: Clausewitz vécut en disgrâce de 1818 à 1830, placé dans une semi-retraite à la tête de l'Ecole de guerre; Aron fut révoqué de l'Université par le statut des Juifs avant d'être mis au banc de la communauté intellectuelle française aux heures les plus tendues de la guerre froide puis en mai 1968.
Tous deux attendirent la veille de leur disparition pour être reconnus: Clausewitz fut frappé par le choléra en 1831 alors qu'il venait d'être nommé chef d'état-major du maréchal von Gneisenau, fonction à sa mesure auprès du chef de guerre qu'il estimait entre tous; Aron fut emporté par une crise cardiaque en 1983, au moment où les intellectuels français se convertissaient définitivement à l'antitotalitarisme et redécouvraient le libéralisme politique, tandis que le grand public réservait un accueil enthousiaste à ses Mémoires.
Leur destin tragique autant que partagé consista à "Chercher la vérité au moment de l'atteindre, défendre des valeurs périssables, que des disciples infidèles pervertissent".

Le deuxième rapprochement réside dans la subordination des parcours personnel et professionnel de Clausewitz et Aron à ce qu'ils jugeaient être le bien commun supérieur.
Clausewitz, élevé par et pour l'action militaire, accepta de se voir cantonné dans l'ombre de Stein, Scharnhorst, Gneisenau ou Boyen, et apporta une contribution décisive à la reconstruction de la Prusse sur le plan intellectuel et non pas opérationnel.
Aron souffrit d'avoir été détourné des travaux universitaires dont il nourrissait le projet - notamment une somme sur Marx et une histoire des guerres et des révolutions au XXème siècle - par des écrits de circonstance que lui dictèrent l'impératif de la résistance des démocraties face aux idéologies totalitaires ou l'urgence du redressement de la France après le déclin des années 1930, la défaite et l'occupation du pays: à penser l'histoire et la politique telles qu'elles se font et non telles que les intellectuels les rêvent, il se trouva piégé par les contraintes de l'action et de l'actualité.
La grandeur commune de Clausewitz et d'Aron gît dans la renonciation, au nom d'un idéal, à leur vocation première pour mieux servir la refondation de leurs patries dévastées et la réforme de l'Etat.

Les deux personnalités présentent par là même des correspondances profondes, soulignées par Aron qui avouait avoir été touché par les lettres de Clausewitz à sa femme Marie: "Le disciple de Machiavel y trahit les deux âmes qu'il portait en lui, une volonté d'action et une sensibilité frémissante". Les deux hommes partagent en effet, sous des dehors froids et austères, une nature passionnée et tourmentée qu'ils n'ont eu de cesse de soumettre à la discipline de la raison critique.

Ainsi Clausewitz, prêt à consentir au sacrifice de l'Etat prussien pour préserver une armée capable de poursuivre le combat contre l'Empereur, élève Napoléon au rang de "dieu de la guerre". Ainsi Aron, à Londres, tout en combattant de toute son âme l'Allemagne nazie et le régime de Vichy, ne renonce pas à les analyser et à les comprendre, fort de la conviction qu'il faut penser l'histoire pour agir sur elle; de même s'imposa-t-il comme le commentateur le plus précis et le plus pertinent de Marx et des marxistes imaginaires de l'après-guerre - Sartre, Merleau-Ponty ou Althusser -.
D'où un singulier mélange d'orgueil et de modestie qui réunit les deux hommes: chacun se sait de première force dans son domaine, la stratégie pour Clausewitz, l'analyse politique et sociale pour Aron; mais chacun a une claire conscience de sa dette vis-à-vis de ses prédécesseurs et plus encore de la distance qui les sépare des hommes d'Etat qui, pour le meilleur et pour le pire, font basculer l'histoire des peuples et des nations, que ce soient les figures marquantes de la Révolution et Napoléon au tournant des XVIIIème et XIXème siècle, Lénine et Staline, Mussolini et Hitler, Wilson et Roosevelt, Churchill et de Gaulle pour le XXème siècle.

*

"Le grand intellectuel, écrivait Malraux, est l'homme de la nuance, du degré, de la qualité, de la vérité en soi, de la complexité. Il est par définition, par essence anti-manichéen". La lecture de Clausewitz par Aron a précisément pour objectif et pour intérêt de réintroduire la nuance et la complexité dans une oeuvre qui a été le plus souvent réduite à un éloge de la violence hyperbolique ou à des recettes militaires d'une part, d'utiliser la dialectique de Vom Kriege pour éclairer les mutations de la guerre au XXème siècle d'autre part.
La guerre, pour Clausewitz, est un caméléon. Son analyse procède par le rapprochement d'un modèle théorique avec une situation historique. La figure élémentaire est celle du duel, dans lequel l'acte de violence est mis au service de l'affrontement des volontés, et dont la logique est celle de l'ascension aux extrêmes.
Mais ce schéma théorique doit être corrigé par la prise en compte de l'expérience et de la réalité, c'est à dire par l'histoire, la géographie, la technologie, les hommes et les forces en présence. Le modèle initial du duel s'efface alors au profit de la combinaison de triades d'éléments - la passion, le hasard, l'entendement -, d'acteurs - le peuple, le chef de guerre, le gouvernement -, d'objectifs - la volonté, le chemin, la fin -. Et le principe de l'anéantissement de l'adversaire doit intégrer la logique politique de la recherche d'un équilibre favorable, qui, pour prétendre à la durée, suppose une certaine limitation dans les buts et les instruments de guerre. D'où l'ambiguïté des guerres modernes: d'un côté, l'éviction des guerres dynastiques par les guerres nationales qui mobilisent les passions populaires favorise l'évolution vers la guerre totale, utilisant toutes les ressources en hommes et en moyens de destruction; de l'autre, la subordination du militaire au politique réintroduit la raison au coeur de l'exercice de la violence.

Pour Aron, la pensée de Clausewitz est dialectique, fondée sur l'oscillation entre deux versants indissociables, l'ascension aux extrêmes et le contrôle de la violence, le sentiment et l'entendement, la passion et la raison, le hasard et la détermination, le chef de guerre et l'homme d'Etat. De la précipitation instable entre ces composants découlent le choix entre la guerre et la paix, le basculement du sort des armes et du destin des nations.

L'histoire du XXème siècle illustre cette conception ambivalente de la guerre. D'un côté, les guerres mondiales menées au nom des nationalismes puis des idéologies ont mobilisé l'immense potentiel de la civilisation industrielle au service de la destruction et de l'avilissement des hommes, ouvrant l'ère des conflits totaux qui visent à l'élimination radicale de l'adversaire par le génocide ou à sa mort politique et militaire par la capitulation sans condition. De l'autre, le maintien du primat du politique qui culmine avec la dissuasion nucléaire, pari effectué sur la raison pour contrôler l'emploi des armes de destruction massive.

L'âge planétaire voit ainsi les adversaires recourir aux différents éléments de la triade clausewitzienne en fonction de leurs objectifs, de leurs forces et des contraintes géopolitiques: la guerre populaire - expérimentée par la Vendée contre la Révolution puis par l'Espagne et la Russie contre Napoléon - est théorisée par Mao et utilisée avec succès par les peuples colonisés par les Européens pour conquérir leur indépendance; l'U.R.S.S. militarise le politique plus qu'elle ne politise le militaire, revendiquant la violence révolutionnaire pour justifier l'ascension aux extrêmes; la victoire des démocraties sur les totalitarismes - militaire sur le fascisme et le nazisme, politique sur le communisme acquise après la mort d'Aron - offre l'exemple de la supériorité de la raison et de l'intelligence stratégique sur la logique de l'expansionnisme territorial et de l'accumulation d'un arsenal inégalé d'armes de destruction massive.
La chute du mur de Berlin comme l'éclatement de l'empire extérieur et intérieur soviétique font ainsi écho à la formule de Napoléon selon laquelle: "Il n'y a que deux puissances dans le monde, le sabre et l'esprit. Et à la longue, le sabre est toujours défait par l'esprit".

*

Au-delà de cet objet de réflexion si singulier qu'est la guerre, qui pousse à un point ultime l'interrogation sur le gouvernement des hommes et sur la conciliation du pouvoir et de la liberté, la proximité de la démarche de Clausewitz et d'Aron frappe. Tous deux sont des penseurs à la fois réalistes, probabilistes et dialectiques.

Réalistes parce qu'ils entendent intégrer pleinement les contraintes de l'action et la responsabilité qui pèse sur ceux qui font l'histoire, chefs de guerre ou hommes d'Etat; parce qu'ils définissent la vie internationale à partir de l'affrontement de la volonté de puissance et de la rivalité des intérêts entre les Etats.

Probabilistes parce qu'ils refusent l'idée d'un sens de l'histoire et qu'ils réservent toute leur place à la liberté des hommes comme au hasard dans la conduite de la politique ou des opérations militaires, afin d'éclairer la diversité des possibles: "les hommes font leur histoire, même s'ils ne savent pas l'histoire qu'ils font" .

Dialectiques, parce qu'ils admettent la complexité et l'incertitude, récusant la tentation commode des explications unilatérales; parce qu'ils ne cherchent pas à définir des règles éternelles, aussi illusoires que séduisantes, mais à surmonter, par le travail patient et austère de l'intelligence, l'antinomie entre la connaissance et la contingence, entre l'action dans l'histoire et la quête d'une forme de vérité. Très révélatrice fut de ce point de vue la polémique lancée par l'historien révisionniste Robert Hepp lors de la publication de Penser la guerre, Clausewitz. L'accusation lancée contre Aron d'avoir trahi Clausewitz en le transformant en penseur libéral et inoffensif renouait avec l'interprétation militariste de Vom Kriege, traditionnellement mise à l'honneur par le haut état-major allemand; elle annonçait de manière prémonitoire la renaissance d'un nationalisme allemand et la redécouverte de la Machtpolitik par une fraction de l'Allemagne réunifiée.

Loin d'affadir Clausewitz, la lecture d'Aron lui confère son ultime dimension qui est d'ordre moral. La guerre se situe en effet au point de plus grande tension entre l'universel et le particulier, entre la rivalité des Etats et l'existence de valeurs communes de l'humanité.
La modernité et l'actualité de Clausewitz dans l'après-guerre froide provient précisément de ce qu'il ménage, avec le primat du politique sur le militaire, la possibilité d'un pari gagnant sur la raison des hommes, par-delà la différence des cultures et des religions, la diversité des nations et des ethnies.
La mort de Dieu et la fin des idéologies, la démythification du progrès et de la révolution n'ont dissipé ni les illusions sur la fin de l'histoire - dont le dernier avatar est à chercher dans l'avènement de la "démocratie de marché" chère à Francis Fukuyama -, ni la fascination pour la violence et la fatalité de la guerre - le choc des civilisations étant censé succéder dans le XXIème siècle, selon Samuel Huntington, à celui des idéologies au cours du XXème et celui des nationalités au XIXème -.

La liberté n'est jamais acquise mais toujours conquise; elle devra continuer à être protégée contre ses adversaires mais aussi contre certains de ses défenseurs, prompts à céder à de nouvelles utopies ou à vouloir la tremper dans la résistance à des menaces chimériques. La conclusion de Penser la guerre reste l'antidote le plus efficace aux vertiges des démocraties, toujours prêtes à s'abandonner au pacifisme ou à se laisser emporter par les passions collectives: la contrepartie du pari sur la raison demeure la capacité à en assurer la défense par le recours aux armes s'il le faut; dans le troisième après-guerre du siècle comme à l'issue des deux premiers conflits mondiaux, en dépit du mouvement de décomposition des empires et du discrédit des idéologies, "ni les hommes, ni les Etats n'ont dit "adieu aux armes"" . C'est de la prise de conscience par les Européens de cette réalité et de leur volonté de se doter des moyens de maintenir la paix sur leur continent que dépendra ultimement la capacité de l'Europe à réinvestir son histoire, à recouvrer la maîtrise de son destin, et à jouer un rôle d'acteur à part entière dans le cours du XXIème siècle.


Nicolas Baverez
( Mis en ligne le 20/04/1999 )
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