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Bréviaire de l'anticonformisme |
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Pier Paolo
Pasolini Lettres luthériennes - Petit traité pédagogique
Seuil - Points 2002 / 0.69 € - / 244 pages
ISBN : 2.02.053304.9
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S’improvisant pédagogue, Pasolini, « un vieux bourgeois rationaliste », s’adresse à Gennariello, jeune homme imaginaire, originaire de Naples, « la dernière métropole plébéienne ». Parti pris géographique et idéologique qui s’explique parce que Pasolini a « quelque chose à reprocher aux fils », un conformisme mortifère auquel seuls les enfants du peuple échappent encore. « Dans les enseignements que je te donnerai, je te pousserai à toutes les désacralisations possibles » : ainsi la famille, l’école, les médias, le sexe, la religion et la politique passent-ils sous les fourches caudines de ce génial maître.
En préalable, Pasolini se penche sur le fossé séparant sa génération de celle de Gennariello, pour poser comme principe de son enseignement que « c’est Naples la prolétaire contre Bologne la prospère, c’est hier contre aujourd’hui, c’est la création contre le confort ! » L’écrivain se livrerait-il, sur le modèle de la querelle des Anciens et des Modernes, à un exercice de lamentations sur des temps meilleurs ? A aucun moment ; ne confesse-t-il pas n’avoir jamais aimé le présent, qu’il fut passé ou bien à encore venir ? Le sens de ce dialogue est ailleurs, puisqu’il s’agit d’armer le jeune homme contre les impostures de son époque et les horreurs des ses semblables - afin qu’il ne se laisse pas tromper sur la réalité de la vie qu’on lui propose, soumise aux impératifs de la société de consommation, libertaire et violente, hédoniste et frustrante, qui se met en place dans l’Italie démocrate-chrétienne.
Pasolini a disséqué, dès 1975, la « pensée molle » de 1968, faussement tolérante et véritablement aliénante. Plus largement, il dénonce l’embourgeoisement, la mise en conformité de tout un peuple (qui, du même coup, perd ce qualificatif, pour devenir la masse) en parallèle au développement économique italien. Cette charge contre ce que Pasolini qualifie de « génocide culturel » se décompose en deux temps. Dans une première séquence, il s’adresse effectivement à un jeune adulte de cette « génération malheureuse » qu’il s’est donné pour objet de décrypter. De ces lettres à un jeune Napolitain, on retiendra un ton d’une justesse et d’une douceur incomparables.
Puis, quittant le mode pédagogique, Pasolini fulmine – dans des lettres justement nommées luthériennes - contre les puissants de ce monde, à savoir les politiciens de la Démocratie Chrétienne et leurs « valets intellectuels ». Si parfois les conséquences (la situation de l’Italie en 1975) se passent de causes, pour paraphraser Sade, Pasolini estime nécessaire, pour l’exemple, le procès des tristes et hypocrites bouffons au pouvoir. Il dresse alors la liste de leurs crimes. Et son réquisitoire est violent, mais là ne se réduit pas ce livre, qui est aussi un passionnant traité esthétique, rédigé par un écrivain qui est aussi le grand cinéaste que l'on sait. Au-delà du bien et du mal, au-dessus de la morale formelle et aliénante des anciens maîtres (les « cléricaux fascistes ») et des nouveaux tyrans de la société de consommation, une expérience du réel, du gai savoir, est possible ; Pasolini l’enseigne avec intelligence, justesse, générosité. Malgré son hétérogénéité, ce petit bréviaire de l’anticonformisme est un chef-d’œuvre à mettre entre toutes les mains.
Vianney Delourme
( Mis en ligne le 22/04/2002 )
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