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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Sel sur la plaie
de Jean Prévost
Zulma 2009 /  18 €- 117.9  ffr. / 279 pages
ISBN : 978-2-84304-476-2
FORMAT : 12,5cm x 19cm

Préface de Jérôme Garcin.

Un Citizen Kane de province

Né avec le siècle, Jean Prévost, mieux connu dans les réseaux de résistance sous le nom de «Capitaine Goderville», tomba sous les balles allemandes durant les combats de Libération du Vercors, le 1er août 1944, soit le lendemain de la disparition de son exact contemporain, Antoine de Saint-Exupéry. De son existence aussi brève qu’intense demeure l’image d’un tempérament passionné et curieux, d’un infatigable travailleur qui n’eut pourtant pas l’occasion de mener à bien le grand livre que son talent promettait.

Les éditions Zulma nous offrent de redécouvrir l’un de ses premiers romans, Le Sel sur la plaie, publié en 1934. Le récit met en scène Crouzon, étudiant en droit dans le dénuement et vivotant d’expédients pour se sortir de sa précarité. Jusqu'au jour où sa réputation se voit ternie par une fausse accusation de vol de la part d’un de ses camarades. L’affaire tourne à l’aigre, et le jeune homme, jugeant son honneur irrémédiablement bafoué, préfère tout plaquer plutôt que de se répandre en plaidoyers peu crédibles devant ses soi-disant amis.

Sur le conseil d’un proche, il accepte de s’installer dans le Berry où l’attend un poste de rédacteur en chef dans un quotidien républicain local. Arrivé sur place, Crouzon plonge corps et âme dans ce nouveau métier. Il a tôt fait de cerner ses collègues et de s’en laisser apprivoiser. Le vent de jeunesse qu’il insuffle à l’équipe tout entière finira par conquérir les instances politiques dont sa feuille de chou représente les intérêts. Le voilà lancé, et en bonne voie pour devenir un «parvenu»…

Dans sa belle préface, Jérôme Garcin apporte une nécessaire précision quant à l’usage de ce mot, si péjoratif aujourd’hui : chez Prévost, «il signe au contraire, chez celui qui n’a rien reçu à sa naissance, l’alliance naturelle de l’intelligence et de la volonté. En apparence, la destinée de Crouzon figure l’apothéose d’un arriviste ; en vérité, c’est le parcours d’un individualiste exigeant de soi le meilleur – jusqu’à son propre dépassement».

L’écriture de Jean Prévost se cherchait encore à l’époque de ce texte, que l’on hésiterait à qualifier de roman de maturité. Entre nervosité et empâtement, sa plume trahissait néanmoins le bouillonnement intellectuel d’un auteur doué qui allait, hélas, être rattrapé par l’histoire. Toujours est-il que Le Sel sur la plaie trace le portrait original et bien saisi d’un Citizen Kane de province, en rendant le climat d’effervescence qui agitait la presse d’opinion, à quelque niveau de pouvoir que ce soit. La vision décentrée d’une ascension personnelle, avec ses détours et ses heurts, comme en proposèrent jadis Balzac… et surtout Stendhal, le modèle revendiqué de Prévost.

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 29/04/2009 )
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