L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Art brut
de Emile Brami
Ecriture 2001 /  14.5 €- 94.98  ffr. / 192 pages
ISBN : 2 909240 41 X
FORMAT : 140x225

Portrait de l'artiste en imposteur

Au Musée d'Art brut de Lausanne, c'est l'exposition événement : une rétrospective consacrée au père Mimile, artiste encore peu connu du grand public mais que les spécialistes considèrent comme le digne héritier du facteur Cheval ou de Jean Dubuffet.

Enfermé dans la chambre d'un palace face au lac de Genève, Emile Lepère attend ; et s'interroge. Si le moment était venu de tomber le masque ? Car s'il sait sur quelles hypocrisies peut s'établir une renommée dans le monde de l'art, il sait aussi que toute son histoire repose sur un malentendu - et qu'il n'a jamais rien fait pour le dissiper, au contraire, observant avec amusement son agent artistique monter de toutes pièces le personnage du "père Mimile", peintre manchot, présumé autiste, qui vit depuis quarante ans dans l'hôpital psychiatrique où il a été soigné pendant la Seconde Guerre mondiale.

Paradigme de cette vie construite comme une fiction, la notice biographique affichée dans la première salle du musée, qui revisite un à un tous les clichés du destin de l'"artiste maudit" : l'enfance misérable, les traumatismes physiques et psychologiques, la folie puis la rencontre décisive avec un médecin qui l'aide à sortir de sa nuit et lui donne l’impulsion pour renouer avec la peinture.

En contrepoint de cette "légende dorée", la confession de Lepère nous offre une hallucinante plongée dans un monde où la beauté et l'abjection se côtoient jusqu'à se confondre. Comme "de profundis", il raconte les cauchemars qui ont jalonné son parcours, se sont gravés dans sa chair à la morsure des électrochocs, les compromissions auxquelles il a été contraint pour survivre, la disparition des êtres qu'il aimait, son douloureux travail pour apprivoiser la matière - jusqu'à l'agréger, à l'état brut, à ses créations.

Roman sur le mensonge et l'imposture, Art brut est peuplé de personnages à double fond, détenteurs de secrets, se dissimulant sous de fausses identités qui, au fil du temps, prennent le pas sur leur identité réelle. Emile Brami y renoue, dans une veine romanesque plus affirmée, avec les thèmes qui étaient au coeur de son magnifique Histoire de la poupée : la survie par tous les moyens dans un univers abandonné à la folie des hommes ; l'art comme ultime recours dans cette entreprise de préservation ; l'infamie comme chemin possible vers la sainteté. Traversé de visions fulgurantes évoquant tour à tour Goya, Ensor, Dürer, Art brut ne tombe cependant pas dans le piège d'une écriture censément baroque. Décanté, âpre et économe, le style de Brami va droit à l'essentiel, s'autorisant tout juste quelques détours ironiques. Une telle sobriété pour dire l'ignominie force le respect ; une telle exigence littéraire pour une oeuvre qui en est encore à ses débuts laisse admiratif.

Pierre Brévignon
( Mis en ligne le 21/09/2001 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)