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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Restitution
de Hadrien Laroche
Flammarion 2009 /  18 €- 117.9  ffr. / 255 pages
ISBN : 978-2-08-122647-0
FORMAT : 13,5cm x 21cm

Le prix des psychanalyses

Diplomates et experts en banque se retrouvent afin d’évoquer la spoliation, et son pendant délicat, la restitution. Serait-on en Suisse ? Non, Henri Berg a échoué à Vilnius, dans une ville tout à la fois hors du monde et profondément marquée de son sceau infamant. Les cicatrices du totalitarisme et de la Deuxième Guerre mondiale se devinent encore, boursouflées, derrière les vitrines des bouchers et les catalogues d'enfants. - car le vivant s'étiquette, se vend et s'achète.

Le regard porté sur l’extérieur est tourné vers l’intérieur ; aussi, c’est au milieu de traîtres courants, en suivant le dessin complexe de méandres cachés, que la narration se fraie une voie encombrée entre la mémoire, fluctuante et structurante par essence, et les avoirs, faussement sûrs et définitifs. Jeu de transmission, la restitution est un dépouillement de l’essentiel, la plaque tournante où se rejoignent filiation et renoncement à l’identité. Autour de ce paradoxe s’articulent des histoires croisées, de fils ignorés par leurs pères et de géniteurs inconnus, de haines intergénérationnelles et d'interrogations existentielles.

Avouons-le tout de suite : la prose d'Hadrien Laroche frôle souvent la limite du verbeux, semble prête à s'enliser dans les travers de cette «philosophie» très particulière, qui considère qu'une énonciation obscure, conceptuelle et évasive, est un garant de qualité bien suffisant. L'être et le temps sont des questions compliquées et s'engager dans les chemins débroussaillés par Heidegger n'est certainement pas accessible à tout un chacun.

Pourtant, l'auteur parvient finalement à nous prendre dans le filet de ses obsessions, et le rythme de l'écriture s'impose à un lecteur hypnotisé. Le morceau de viande sanguinolent, l'enfant isolé, laissé à lui-même, le souvenir dans et de la judaïté, l'équivalence posée entre vie et argent, l'inscription de l'art dans les chaînes d'échange et de filiation, voici quelques-uns des thèmes qui reviennent, d'un chapitre à l'autre. Il n'y a là rien de très romanesque – c'est tout à la fois trop sérieux et trop technique – et pourtant l'accroche est efficace, pour qui place la réflexion au-dessus de la sensation.

C'est aussi, finalement, une conception de la littérature qui nous est proposée : H. Laroche la fait discrètement glisser du domaine du divertissement (objectif combien plus omniprésent dans les parutions actuelles) à celui de l'essai argumenté, mais soutenu par une série de métaphores filées et d'images récurrentes qui en relèvent le style.

En affirmant qu'il est tout aussi difficile de vivre sans héritage que de ne pas chercher à le liquider, l'auteur s'aventure en terrain miné, quoique sans renoncer à une grande subtilité d'analyse ; et le pessimisme fondamental sur l'Homme s'épaissit de page en page, au fur et à mesure qu'est étayée cette thèse sans espoir.

Aurore Lesage
( Mis en ligne le 20/11/2009 )
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