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Littératureet Romans & Nouvelles  

La dépression des Açores
de Jean-Luc Marty
Julliard 2001 /  15.11 €- 98.97  ffr. / 130 pages
ISBN : 2-260-01591--3

Port de l'angoisse

"Les vagues courtes et blanches harponnent la rade, chassées par un vent de secteur sud-sud-ouest de plus en plus teigneux" : dès les premiers mots, le décor est dressé et de tout le roman, ce vent ne cessera, véritable bruit de fond pour un récit dur mais sans violence. Un récit comme un triple portrait que l'on pourrait aussi intituler : Portrait de port avec dame.

Car ce sont véritablement trois personnages qui entrent en scène successivement : une très violente tempête, admirablement décrite par le narrateur, une dépression venue des Açores et qui tourbillonne de façon inquiétante au-dessus de l'Atlantique jusqu'à s'imposer en force dans le port. Le port ? Difficile de le localiser, difficile même de savoir sur quelle côte il est situé, mais quelle force dans sa description, au point que l'on quitte ce livre en ayant l'impression de savoir enfin ce que c'est qu'un port de commerce ! Tout y est, l'impression de no man's land, les jetées, les cargos rutilants ou plus souvent rouillés, voire même abandonnés par leurs armateurs, - coque, cargaison et équipage - comme ceux qui défrayent l'actualité de temps à autre ; il y a aussi les conteneurs et le bureau d'embauche avec sa petite lumière rouge dont l'extinction signifie que les dockers ne peuvent assumer tous les déchargements et que les non-professionnels peuvent tenter leur chance ; et les odeurs, les hangars, les bruits et bien sûr le bar, le Siam, où se trament des trafics plus ou moins louches.

Il faut dire qu'il y a matière à trafic car y débarquent de temps à autre d'effrayants rafiots surchargés d'émigrés albanais. C'est pour l'auteur l'occasion d'un troisième portrait, très émouvant, celui d'une jeune femme mystérieuse dont il n'apprend que petit à petit le statut de réfugiée, le passé traumatique (que cache son recul instinctif devant le moindre uniforme ?), cette Elena qu'il retrouve dans un camp miteux au bout d'une route dévastée par la tornade et qui sera pour lui l'objet d'une brève rencontre. Elle guette en effet le Rio Apa, attendu avec à bord une centaine de réfugiés "sans eau potable depuis une semaine ni nourriture", et parmi lesquels elle espère trouver son mari.

Le tragique intemporel – tempête et misère humaine - se tisse ainsi avec des faits d'aujourd'hui, unis par un style en plein accord avec le sujet, riche et dense, marqué par un très bel art de la description. Un livre très prenant en dépit de sa brièveté.

Florence Trocmé
( Mis en ligne le 29/09/2001 )
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