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Littératureet Romans & Nouvelles  

L'offrande
de Françoise Lefèvre
Le Rocher 2001 /  15.88 €- 104.01  ffr. / 184 pages
ISBN : 2268040267

Le prédateur amoureux

Françoise Lefèvre est l'écrivain de la passion, parfois insensée, souvent dangereuse, toujours obsédante... Elle l'a brillamment montré avec, entre autres, La première habitude (Pauvert, 1974) et Le petit prince cannibale (Actes Sud, 1990, Prix Goncourt des lycéens), l'histoire d'un enfant autiste qui consume l'âme et l'identité de sa mère. Elle chemine aujourd'hui sur les territoires de l'amour secrètement ruiné par une perversité invisible. Et en ramène un roman de splendide facture.

L'offrande s'ouvre sur une série de somptueuses lettres d'amour, celles que Vivien a envoyées à Jeanne, vingt ans plus tôt. Elle était cantatrice, une diva admirée de tous. Lui, correspondant de guerre dans un grand quotidien, n'était - ce premier soir - qu'un spectateur dans la salle... Mais il l'avait bientôt envoûtée de ses mots radieux, torrentiels, fascinants. L'avait entraînée, enivrée et ravie, dans un amour fusionnel et convulsif... Pourquoi Jeanne est-elle perdue aujourd'hui dans une "errance pleine de vide et d'effroi où chancelle sa raison", après avoir vécu tant d'années avec cet homme si séduisant, si magnétique ? Avec celui qui polissait de ses mains les berceaux de leurs enfants à naître, à chacun de ses retours ? Pourquoi est-elle réfugiée dans une maison de repos, errant sans fin à travers la nature devenue hostile, comme rongée de sables mouvants, et qui reflète sa déchirure ?

Le tour de force littéraire de Françoise Lefèvre se dévoile à mi-chemin du roman : Vivien joue les victimes du destin, mais en vérité, il n'est qu'un prédateur inconscient. Sa perversion est claire, tout comme sa responsabilité dans la mort de sa petite fille, qu'il utilise néanmoins pour attendrir Jeanne, la proie. Les merveilleuses lettres d'amour prennent soudain un éclairage tout différent : elles sont un piège qui tiendra la belle encagée, tandis qu'il jouit d'une autre vie, forcément plus intense puisqu'elle reste insaisissable. Avec un sadisme presque calculé, Vivien choisit de détruire une femme au profit d'une autre, afin de mieux savourer le parfum du danger, de la mort... le goût du sang.

Une histoire démodée ? Celle d'une femme séduite et trompée ? Sûrement pas : Françoise Lefèvre nous donne ici une admirable interprétation de la plus banale des trahisons. Le lyrisme extrême de la langue se révèle pleinement maîtrisé, la mécanique dramatique parfaitement huilée. Et restent, après le désastre, ces mots de haute lisse, hantés de fièvre et de chimères impérissables : "Non, tu n'es pas une femme magique, mais qui t'aime et te voit te fait magicienne. N'est pas aimée et métamorphosée qui le veut. Ce que tu recèles en toi engendre et catalyse la métamorphose. Tu es aimée. Crois-le".

Isabelle Nouvel
( Mis en ligne le 08/11/2001 )
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