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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Gueule de l’emploi
de Vincent Wackenheim
Le Dilettante 2011 /  17 €- 111.35  ffr. / 224 pages
ISBN : 978-2-84263-669-2
FORMAT : 12cm x 18cm

No-Man's-Land

Ceux qui l’avaient lu n’ont pas oublié La Revanche des otaries, réjouissante relecture de l’arche de Noe. Vincent Wackenheim revient avec un texte tout aussi réjouissant sur un sujet qui ne l’est guère : le chômage. Son narrateur, un anonyme, raconte, avec un sérieux imperturbable, les aventures et mésaventures d’un groupe qui se constitue au hasard d’une formation ''Activation –Motivation''. On est un peu entre Les Pieds Nickelés et Les Tontons flingueurs.

D’emblée il y a un bug : Aziz, chauffeur livreur, junior qui donc n’a rien à faire dans ce stage destiné à des cadres sup seniors au chômage. Premier test ! Les six autres participants obligent leur «consultante-référente», Carole, à le garder. La «dynamique de groupe» commence à s’installer ! Autour du narrateur : Marie-Amélie, Paul, Christophe, Bernard, Solange. Pas grand-chose en commun, si ce n’est la perte de leur emploi. Dès le départ, les sept personnes détestent Carole, qui pose le décor dès la première séance: «le quartier, bien qu’excentré, n’est pas sans charme, juste entre les Maréchaux et le périphérique. Pour ceux qui auraient quand même faim, en remontant le boulevard vous trouverez des kebabs, attention à la gastro. Ne longez pas le collège, ils lancent des yaourts par-dessus la grille, et évitez de venir en voiture». Aussi, à la sortie de la séance de présentation, les sept se rencontrent-ils sur des détails fondamentaux : où aller déjeuner ? Aziz les conduit chez son «cousin» Mourad qui tient un kebab garanti sans gastro… Et à partir de là, tout s’enchaîne très vite....

Vincent Wackenheim déroule avec jubilation un récit qui conduit le groupe à s’instaurer en vengeurs à visage découvert des racketteurs de Mourad ; l’expédition ayant été une réussite totale, de fil en aiguille, pourquoi ne pas surfer sur l’idée d’utiliser l’arnaque de façon systématique puisque de toute façon il est évident pour tous – y compris Carole - qu’il n’y a aucun espoir de travail à l’issue du stage ? Appliquant avec efficacité dans la «vraie vie» les méthodes de Carole, le groupe va d’abord réfléchir aux termes à employer, ce qui devient une étourdissante leçon de vocabulaire sur les multiples variations du terme arnaque : «mimer, entuber, tromper, feinter, faire croire, suggérer, niquer, embobiner, faire semblant, et puis aussi bidonner, blouser, persuader, mener en bateau, (…)» : 2 pages de vocabulaire entre Rabelais et Audiard !

De la théorie à la pratique, nos lascars organisent des petites escroqueries puis montent en intensité, et remplissent d’euros à ras bord d’antiques lessiveuses, planquées sous le comptoir de Mourad. «On a quand même continué le stage Activation-Motivation mardi matin neuf heures, vu que c’était toujours là qu’on avait trouvé les bonnes idées lucratives, à croire que ça avait du bon d’être accompagné par un consultant référent». Leurs petits trafics passent longtemps inaperçus, dans une société où, somme toute, chacun arnaque chacun, jusqu’au jour où… tout se dérègle. On n’en dira pas davantage pour réserver au lecteur la surprise finale, la question essentielle étant : comment l’auteur va-t-il se sortir du récit ?

Vincent Wackenheim aligne de longues phrases paragraphes proches du langage parlé, et si l’approche est celle de la farce, cette fable contemporaine scrute avec cynisme le «recyclage» des chômeurs et la place de cette zone «entre les Maréchaux et le périphérique», «non-lieu» s’il en est , donc propre à accueillir ces cadres sup virés.

Un livre tonique, d’un pessimisme allègre et incisif.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 28/02/2011 )
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