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Littératureet Romans & Nouvelles  

Montecore, un tigre unique
de Jonas Hassen Khemiri
Serpent à plumes 2011 /  22 €- 144.1  ffr. / 376 pages
ISBN : 978-2-268-06507-6
FORMAT : 13cm x 20,5cm

Tradaction de Lucile Clauss et Max Stadler

La langue et le père

L’écrivain Jonas Hassen Khemiri est né en Suède d’un père tunisien et d’une mère suédoise. Ses origines métisses ont inspiré son roman, Montecore, Un Tigre Unique, dans lequel il tente de recomposer l'histoire et le portrait de son père. Publié en 2006, ce second roman a reçu de nombreux prix littéraires.

Khemiri reçoit un jour un e-mail d’un ami de son père, Kadir, l'encourageant à écrire un livre sur ce dernier, Abbas de son nom, par ailleurs photographe renommé... et disparu. Le roman déroule deux narrations : les souvenirs de Khemiri sur son père avant leur brouille et le récit de la vie d’Abbas par Kadir. Ce sont donc en fait trois voix qui s'entrecroisent ici, celle du fils, celle du père, et celle de son meilleur ami.

Bien que la ligne entre la fiction et la réalité soit indécise et que l'on puisse considérer le roman comme autobiographique, le récit n’est en rien nombriliste. Avec sa structure complexe, alternant les focalisations, le texte pourra parfois paraître difficile à suivre, mais il captivera le lecteur d'emblée, par la qualité de la langue, volontiers imagée, souvent drôle, et l'exposé d'une relation fragile entre un fils et son père.

Dans les années 70, Abbas, jeune homme tunisien, rêve de devenir photographe. Il tombera amoureux de Pernilla Bergman et décidera de quitter son pays pour elle et la Suède. Malgré ses efforts pour s’intégrer, il restera en marge de la société. En Suède, Abbas trouve en effet froideur et racisme, autant d'obstacles à son acclimatation. Incapable de s'intégrer et frustré dans ses difficultés à faire vivre sa famille par son travail de photographe, particulièrement après que des hommes ont vandalisé son studio, il finit par baisser les bras et décide d'abandonner sa famille et cette société aux mentalités étriquées. Jonas Hassen Khemriri décrit ainsi une Suède hostile à ses immigrés.

L’histoire est alimentée par les commentaires joints de Khemiri et Kadar. Les souvenirs de Khemiri sont mélancoliques et critiques, ils expriment le ressentiment et la colère face à l'abandon. Au contraire, Kadir s’exprime dans une langue enjouée, pour ne pas dire hilarante, et ses récits sur Abbas sont, eux, personnels et détaillés. Les deux hommes se disputent à travers ces histoires et leurs interprétations contradictoires. Mais si leurs perspectives diffèrent radicalement, c’est de leur dialogue que naît la cohésion du roman.

Le thème du langage (la langue écrite et parlée, moyen de communication) est essentiel dans l’histoire. Kadir écrit dans un suédois écorché quand Jonas mêle à sa langue natale l’anglais et le «khemerish», sorte de nov-langue héritée de son père. Les lettres d’Abbas, quant à elles, sont traduites de l’arabe. L’auteur montre ainsi toute la virtuosité de sa plume par son talent à créer une grammaire et sa syntaxe.

Montecore, Un Tigre Unique offre une réflexion sur la question de l’identité, de la culture, de l’intégration et du langage. Jonas Hassen Khemiri joue avec la forme de la biographie et du journal intime, confondant les souvenirs et créant une histoire inventive, compliquée... et captivante.

Christy Dentler
( Mis en ligne le 16/05/2011 )
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