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Littératureet Romans & Nouvelles  

Les mal famées
de Anne-Marie Garat
Actes Sud - Un endroit où aller 2000 /  15.11 €- 98.97  ffr. / 213 pages
ISBN : 2-7427-2876-7

Lumière dans le crépuscule

Sous un ciel d'Occupation qui pèse comme un couvercle d'airain, dans un quartier que la menace des bombes a vidé de ses habitants, deux âmes esseulées se réchauffent l'une l'autre devant l'âtre du souvenir des amours perdus, dans une maison abandonnée dont les murs renvoient l'écho de leur solitude en même temps qu'ils constituent un véritable cénotaphe des amants disparus.

Rencontre de deux errances qui portent à leur façon le deuil de leur passion entrevue : Marie Chassagne, cinquante ans de solitude, fruste cordon bleu qui se cramponne en effet avec l'ardeur d'une jeune fille à un amour de jeunesse, un jeune soldat disparu au front en 14-18, et Lise, une couturière repasseuse, placée comme bonne chez des bourgeois, et demeurée fidèle à un serment d'amour chuchoté derrière un pilier d'église. Deux femmes abandonnées devenues, sans se consulter, la mère et la fille l'une de l'autre, et ayant trouvé une sorte de sanctuaire dans une maison loin des quartiers mal famés.

Anne-Marie Garat nous livre un roman tout en ombre portée qui dessine sur les murs d'un gynécée bunkerisé la pantomime torturée de l'effroi de deux femmes retranchées du monde et de la guerre, mères sans enfants, comme en hibernation de la folie meurtrière des hommes, "vieilles de naissance, en train de pourrir, dès le pourrissement même". Des clairs-obscurs jetant une lumière dure et crue sur les ténèbres que l'homme porte en lui-même, la romancière infuse à ses personnages de femme, la force et l'instinct de survie de celles qui doivent sauver ce qui reste d'humanité en l'homme. Fût-ce au prix d'un crime et de la schizophrénie.

Les Mal Famées, c'est Paul et Virginie, ces chastes amants de Bernardin de Saint-Pierre dont les mains ici ensanglantées donneraient leur incarnat aux flots qui les engloutissent : le paradis sombrant dans un bouillonnement sanguinolent, célébrant paradoxalement, par le sang versé, la réunion des amants séparés par la guerre. Car l'enfer d'Anne-Marie Garat, c'est un tombeau sans dépouilles, des veuves dans l'impossibilité de pleurer leurs morts. Mais que le lecteur ne se méprenne. Le personnage virginal de Marie donne la vraie couleur du roman, celle de l'espoir qui sied aux crépuscules, de l'amour vécu comme un don inextinguible, tant il est vrai qu'Aimer est l'anagramme de Marie.

Steven Barris
( Mis en ligne le 04/10/2000 )
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