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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Disparition de Judas
de Andrea Camilleri
Métailié 2002 /  16,5 €- 108.08  ffr. / 252 pages
ISBN : 2-86424-415-2

"Dossier 51" à l'italienne

A Vigàta - village imaginaire de Sicile où Camilleri campe la plupart de ses intrigues -, le Vendredi Saint est, depuis une vingtaine d'années, l'occasion d'une représentation théâtrale qui attire des spectateurs de toute l'Italie. Son sujet : la Passion du Christ. Les acteurs : les villageois eux-mêmes.

Mais en cette année 1890, un événement inhabituel met le petit village en émoi : le comptable Antonio Patò, honnête fonctionnaire et citoyen respecté qui interprétait le rôle de Judas, disparaît sans laisser de traces après sa dernière scène. Les rumeurs les plus folles circulent parmi les habitants : en interprétant si bien le rôle du dénonciateur de Jésus, le comptable s’est attiré les foudres divines… la mafia aurait fait disparaître un témoin gênant… Patò a été kidnappé et son oncle, le sous-secrétaire d’Etat, ne va pas tarder à recevoir une demande de rançon… jusqu’aux plus invraisemblables hypothèses paranormales sont convoquées. Pour démêler l’écheveau de cette disparition, le délégué à la sécurité publique et le maréchal des carabiniers royaux devront passer outre leur rivalité – et se blinder contre les passions que l’affaire ne va pas tarder à déclencher…

Fidèle à une forme qu’il avait déjà expérimentée dans La Concession du téléphone (Fayard, 1999), Andrea Camilleri compose ce polar inspiré par une anecdote de son maître Leonardo Sciascia sous la forme d’un dossier regroupant des documents épars : rapports d’investigation, articles de journaux, courriers administratifs, photos, dessins, comptes rendus d’interrogatoire, etc. Le narrateur se dissout donc dans une polyphonie rigoureusement agencée, où chaque voix reste toutefois clairement identifiable. Cette multiplicité de tons véhicule souvent l’humour – la déposition du paysan analphabète, les interprétations paranormales de deux scientifiques de Sa Très Gracieuse Majesté s’accusant mutuellement de charlatanerie, la prose ampoulée jusqu’à l’incompréhensible du sous-secrétaire d’Etat – mais aussi une satire acerbe d’une Sicile où la presse, les pouvoirs politiques, l’Eglise et « les » polices sont gangrenés par la corruption. Enfin, elle est l'occasion pour l'auteur de déployer toute sa maîtrise stylistique, multipliant avec jubilation les registres de langue.

Un polar virtuose qui flirte avec la comédie de mœurs et la satire politique : La Disparition de Judas est, décidément, du meilleur Camilleri.


Pierre Brévignon
( Mis en ligne le 14/03/2002 )
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